Richard Malka, Prix de la Laïcité. « Aujourd’hui, c’est le temps de l’action, de l’engagement et du combat, c’est le temps du réveil »


Il y a un an, j’avais préparé un discours pour cette cérémonie avant qu’elle ne soit reportée. C’est dommage qu’il ne soit plus d’actualité parce que, sincèrement, il était très bien écrit ! J’avais prévu de vous dire pourquoi je suis tant attaché à la laïcité et je vous aurais raconté mes parents : simples et modestes, venus du Maroc, naturalisés, d’une culture et d’une religion différentes de celle de leur pays d’accueil et qui, pourtant, tous les 14 juillet, se réveillaient très tôt pour allumer leur télé en noir et blanc et assister au défilé militaire, comme si c’était une fête merveilleuse. Le rêve de mon père, tailleur pour dame dans un petit atelier de confection du boulevard Montmartre où il passait 10 heures par jour sur sa machine à coudre, était d’avoir un fils polytechnicien qui défile sur les Champs Elysées. Plus classiquement – et ce n’est pas une blague – leurs enfants sont devenus médecin, ingénieur et avocat. A cette époque-là, la méritocratie était une garantie d’égalité et de justice et non un gros mot synonyme de racisme systémique pour les beaux esprits qui dirigent une école du côté de la rue Saint-Guillaume qui fut jadis républicaine.

J’aurais aimé que mon père soit là aujourd’hui. Il aurait été si heureux du chemin parcouru depuis le quartier réservé aux juifs à Meknès jusqu’à la maison commune de la ville lumière ou je vous remercie de nous accueillir, Madame la Maire. Mes parents s’inscrivaient dans la continuité de ces juifs ashkénazes qui, avant-guerre, choisirent de vivre en France parce que c’était le pays de Victor Hugo, celui de l’égalité des droits, celui qui avait fini par désavouer son armée elle-même au profit d’un simple capitaine, en allant jusqu’à le décorer de la Légion d’honneur, parce que, oui, il était innocent ; et c’est un révisionnisme indigne de suggérer le contraire aujourd’hui encore. Ce que ces étrangers aimaient de la France, c’était la République laïque.

Je vous aurais dit que jamais, à l’école publique, je ne me suis senti rejeté ou différencié et que mes identités multiples : français, juif, arabe aussi à bien des égards, ont pu se concilier harmonieusement, grâce à cette laïcité. Et qu’ainsi j’ai pu découvrir d’autres familles, dont la vôtre, celle des libres penseurs. Quand on est serein avec sa différence, on n’a pas besoin d’en faire un étendard, ce qui permet d’aller vers l’autre plutôt que de se recroqueviller sur ses origines ou sa religion, quelle qu’elle soit. C’est rare et c’est précieux. Au travers de mes combats, je cherche surement à remercier cette République et à œuvrer pour que les générations futures puissent bénéficier de cette même chance, ce qui n’est malheureusement plus le cas, parce que c’est l’époque des replis identitaires et, si nous y résistons plus que d’autres pays, nous ne parvenons plus à fabriquer cet universalisme. Nous n’y parvenons plus pour de nombreuses raisons mais surtout parce que nous avons cessé d’en être fier et que nous n’osons plus transmettre cette transcendance qui est la nôtre.

Mais il y a un temps pour tout – eh oui, ma liberté de parole va jusqu’à citer l’ecclésiaste – et ce n’est plus le temps du récit.

J’avais prévu de vous raconter un fragment d’histoire de la laïcité qu’Elisabeth Badinter m’avait confié mais vous en serez privés aussi car ce n’est pas davantage le temps de l’histoire.

J’avais prévu de vous dire que la laïcité est la fille ainée des Lumières mais le temps de philosopher est également révolu.

Aujourd’hui, c’est le temps de l’action, de l’engagement et du combat, c’est le temps du réveil, pour être fidèle à ce que nous incarnons aux yeux du monde et pour lui offrir un autre modèle que le communautarisme anglo-saxon qui a enfanté d’un monstre que l’on appelle wokisme, qui est la séparation de tous d’avec tous, ce qui conduira à la méfiance de tous à l’égard de tous puis à l’hostilité puis aux conflits de tous contre tous.

Votre prix m’aidera ; il m’honore, me touche au-delà de ce que vous pouvez imaginer, mais de la même manière, ce n’est plus le temps des récompenses.

Vous êtes les protecteurs d’une idée malmenée, torturée et trahie depuis des décennies par nombre d’enfants gâtés de ce pays aux titres plus ronflants les uns que les autres, qu’ils soient membre du collège de France ou sociologues au CNRS.
Vous êtes les défenseurs d’une idée qui est bien plus qu’une idée, c’est un rêve de paix et de coexistence heureuse face à un monde rongé, d’un côté, par un mouvement de radicalisation de l’Islam dont les premières victimes sont les musulmans et les musulmanes qui veulent vivre libres et, de l’autre, par une idéologie anglo-saxonne obscurantiste qui transforme des bibliothèques en buchers, retire des tableaux des musées et font des université, de gigantesques terrains de chasse aux sorcières excluant toute contradiction.

Vous êtes ceux grâces à qui la religion restera une affaire privée, parfaitement respectable, à condition qu’elle ne vienne pas écraser nos vies, amputer notre créativité, enchainer notre liberté.

Vous êtes ceux pour qui ce qui est insupportable et offensant ce n’est pas de dire du mal d’une religion, d’une opinion ou d’une croyance mais c’est accepter qu’une jeune fille de 16 ans soit déscolarisée, menacée 100.000 fois, et contrainte de vivre comme Salman Rushdie dans notre pays. Vous êtes ceux qui n’accepteront jamais qu’une ancienne candidate à la présidence de la République, de gauche, puisse accabler cette jeune fille et que des universitaires nous expliquent qu’il faudrait renoncer au droit de critiquer les religions parce que ça fait de la peine à certains. Vous êtes ceux qui n’accepteront pas le retour d’une idéologie moyenâgeuse et qui ne trouveront jamais d’excuse à ceux qui tuent.

Vous êtes ceux qui ne supporteront jamais le pas-de-vaguisme dans nos écoles et dans nos collèges, accompagné et encouragé par la hiérarchie de l’Education nationale, par des syndicats et des fédérations de parents d’élèves. Vous êtes ceux qui ne renonceront jamais à enseigner la liberté d’expression. Nous, nous ne sommes pas de la Ligue des droits de l’homme qui n’a plus de droit de l’homme que le nom.

Ceux qui n’accepteront pas de quelconques accommodements parce que, pour reprendre une formule de mon ami Philippe Val, la laïcité est ou n’est pas et vouloir l’accommoder c’est vouloir améliorer la coque d’un bateau en y perçant un trou. Et les premiers naufragés seront les femmes, les homosexuels et tous ceux qui n’entrent pas dans les cases des cerveaux fanatiques. Et des trous, on en a percé beaucoup, dans le monde éducatif, sportif, associatif, dans des entreprises, dans tellement de territoires perdus.

Vous êtes ceux qui auront le courage et la force morale de refuser les discours d’exclusions et de haine mais aussi l’idéologie victimaire parce que ces deux idéologies disloquent tout et ne créent que de la haine et de la violence. Ce sont des poisons, l’une comme l’autre.

Vous êtes ceux qui ont le devoir de réinventer la gauche en lui interdisant de rester silencieuse sur ces questions. Le peuple de gauche n’attend que cela et depuis trop longtemps !

Nous, nous voulons jouir de la liberté et il fut un temps où c’était un slogan de gauche avant qu’une partie d’entre elle – pas vous, Madame la Maire – ne soit trop occupée à dresser des listes de mal-pensants dans leur propre camp et à justifier le communautarisme.

Les coups ont été rudes depuis 20 ans. Nous avons été islamophobes, extrémistes laïcards, ringards, appartenant à l’élite blanche – ce qui, en ce qui me concerne, est quand même un comble – uniquement parce que nous n’acceptons pas d’être privés du plaisir de rire de caricatures, que nous souhaitons qu’une crèche puisse faire le choix de la neutralité religieuse, et que nous ne voulons considérer ni les couleurs ni les religions ni les origines.

Vous, vous savez que nous n’inventons pas ces dangers, parce que si nous les inventions alors nos amis ne seraient pas morts, il n’y aurait pas eu de juifs tués à l’hyper casher, ni de policiers dans les rues, ni d’hommes d’églises, ni de passants, ni de jeunes aux terrasses et Samuel Paty n’aurait pas été décapité.

Notre combat pour l’universalisme ne vise qu’à banaliser l’islam comme le judaïsme, le protestantisme, le christianisme. Pour libérer, pour que la religion ou le genre ou la sexualité deviennent indifférents plutôt que prépondérants. Pour que l’on puisse oublier cinq minutes sa religion, son genre ou son orientation sexuelle et ce n’est pas grave et ce n’est pas une trahison ! Pour paraphraser Aristide Briand, la laïcité n’est pas une hostilité mais une libération ! Est-ce que l’on peut encore tenir ce discours à gauche ? Est-ce que je peux dire que cette obsession à revendiquer ses différences me donne la nausée parce que c’est le contraire de la complexité humaine, que c’est un appauvrissement de notre humanité qui, cher Monsieur Mélenchon et chère Madame Rousseau, ne peut nous mener qu’à des guerres tribales… Ça ne va pas arranger vos affaires pour l’union des gauches, ça…

Précisément parce que l’universalisme est en danger – et ce n’est certainement pas le candidat dont tout le monde parle qui le défendra – on en voit aujourd’hui l’intérêt bien davantage qu’hier. Il y a une attente massive qui n’est pas satisfaite et ce vide permet à tous les discours populistes de séduire. Mais c’est à nous de proposer des alternatives. C’est à nous de proposer un autre chemin parce que la nature a horreur du vide et si nous ne le faisons pas alors nous ne pourrons pas nous plaindre que d’autres recueillent les suffrages de ceux qui n’en peuvent plus. C’est à la gauche de parler de la fierté d’être universaliste, laïque et méritocrate. C’est à nous de forcer le destin !

Vous me remettez ce prix à ce moment crucial et il me sera d’autant plus utile que ce n’est plus le temps des compromis mais celui de nous faire entendre, d’exiger, de reconquérir et c’est à portée de main car nous sommes – l’immense – majorité de ce pays.

Quelques mots pour finir, pour vous dire, qu’ici, pour moi, ce sera toujours le temps du souvenir, celui de Charb, qui en 2012 était à cette même place, comme président du jury. Vous étiez là, Anne Hidalgo, et beaucoup d’entre nous aussi.
Charb, si tu es là-haut en train de fumer des cigares avec le dieu des juifs, des chrétiens et des musulmans… on continue le combat et on ne lâchera rien.

Merci.

© Richard Malka

CLR Les Prix de la Laïcité décernés à Laurent Bouvet, Kamel Daoud, Rachel Khan, Richard Malka, Leila Mustapha (CLR, 10 nov. 21)

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