Retour sur le rapport de l’EHRC sur l’antisémitisme au sein du Labour
Il y a tout juste un an — le 29 octobre 2020 — Jeremy Corbyn était exclu du Labour qu’il avait dirigé de 2015 à 2020. Cette exclusion faisait suite aux réserves qu’il avait exprimées sur les conclusions du rapport de l’EHRC portant sur l’antisémitisme au sein du Labour remis à son successeur Keir Starmer. La question de l’antisémitisme d’une partie de la gauche n’est pas spécifiquement anglaise. Elle est régulièrement posée en France également. Pourtant, ce rapport a peu été repris par les médias français. K. en présente ici une synthèse. Elle rend compte à la fois de ce que fut la réalité de l’antisémitisme au sein du Labour mais aussi de la manière dont, après la démission de Corbyn, les travaillistes surent le regarder en face. Étrangement, alors qu’une partie de la gauche française s’immisçait volontiers dans les polémiques anglaises pour soutenir Corbyn, elle n’a pas trouvé bon de revenir sur ce rapport.
« En effet, à force d’accuser tout le monde et n’importe qui, à force d’inventer des antisémites là où ils ne sont pas, la banalisation de l’attaque vérifie le vieil adage tiré d’une fable d’Ésope : « à force de crier au loup… » C’est-à-dire qu’à force de lancer de fausses alertes, une vraie alerte ne sera pas prise au sérieux. »
Jean-Luc Mélenchon[1]
Le socialisme anglais a longtemps représenté un modèle alternatif pour les socialistes européens. Marqué par la faiblesse du marxisme en son sein, par des liens organiques avec les syndicats, par une intégration précoce à la démocratie parlementaire et par une pratique réformiste assumée, il a connu un XXe siècle moins agité que ses alter ego européens confrontés à la concurrence communiste et aux affrontements avec le fascisme. Pourtant, cette spécificité britannique a semblé s’émousser au milieu des années 90 lorsque le New Labour de Tony Blair (Premier ministre de 1997 à 2007) amorçait un ralliement au libéralisme économique qu’allaient aussi connaître le SPD allemand de Gerhard Schröder (chancelier de 1998 à 2005) et le Parti Socialiste de François Hollande (Premier Secrétaire de 1997 à 2008). Ce ralliement n’alla pas sans nourrir des critiques au sein des différents partis socialistes européens. En France, Jean-Luc Mélenchon s’en fit le principal porte-voix, quittant en 2008 le Parti Socialiste pour former ce qui deviendra La France Insoumise. Au Royaume-Uni, c’est Jeremy Corbyn qui incarnera la critique du ralliement libéral, mais une critique qui se structurera en tendance interne au parti socialiste britannique. Avec son élection à la tête du Labour en septembre 2015, cette tendance devenait dominante et représentait pour beaucoup de socialistes européens l’espoir d’une sortie de la parenthèse libérale du début du millénaire. Une fois de plus, les évolutions du socialisme britannique prenaient une signification pour l’Europe entière.
L’enquête sur l’antisémitisme au sein du Labour d’un organisme indépendant, l’EHRC
« La maison des Juifs », c’est aussi comme ça que le Labour fut longtemps surnommé, tant le vote juif britannique inclinait majoritairement vers le travaillisme. Mais de ce point de vue-là, le mandat de Corbyn marque une rupture inédite entre le Labour et les juifs britanniques. Rapidement, le parti dut en effet faire face à une vague de démissions[2] ainsi qu’à de nombreuses critiques émanant des représentants de la communauté juive au sein[3] et en-dehors du Labour. Elles entendaient dénoncer un parti gangréné par l’antisémitisme que son leader laisserait prospérer. Une vive polémique éclata notamment en mars 2018, lorsque resurgit une prise de position de Jeremy Corbyn sur Facebook, datée de 2012, dans laquelle il s’opposait au retrait d’une fresque murale (voir image d’illustration de l’article) dans l’est londonien, représentant des banquiers juifs, et reprenant clairement des tropes antisémites. Prise de position sur laquelle il revint alors[4], expliquant ne pas avoir examiné « suffisamment attentivement » cette fresque « profondément antisémite ».
Ni les démissions, ni les polémiques, n’empêchèrent Jeremy Corbyn de se maintenir à la tête du Labour. Ce n’est qu’à la suite de la défaite historique du Labour de décembre 2019, imputable à ses errements sur la question du Brexit, que Corbyn démissionna avant d’être remplacé par Keir Starmer. En octobre 2020, quelques mois après le changement de direction à la tête du Labour, les conclusions de « l’Enquête sur l’antisémitisme au sein du Parti travailliste » (Investigation into antisemitism in the Labour Party) furent rendues par l’EHRC[5]. La Commission pour l’Égalité et les Droits de l’Homme (Equality and Human Rights Commission, désormais EHRC) est un organisme britannique public et indépendant, accrédité par les Nations Unies, créé en 2007 à la suite de l’Equality Act 2006 (complété par l’Equality Act 2010). Son rôle, tel que décrit sur son site, est de « lutter contre la discrimination, promouvoir l’égalité des chances et protéger les droits de l’homme », et il dispose à cette fin de différentes prérogatives légales, qui – comme il le précise – vont de l’assistance et du conseil à la réalisation d’enquêtes et d’actions en justice.
L’enquête menée par l’EHRC a été initiée dès le mois de mai 2019 « à la suite de graves inquiétudes publiques concernant des allégations d’antisémitisme et d’un certain nombre de plaintes officielles adressées [à l’EHRC][6] » (p. 5 du rapport), émanant notamment de Campaign Against Antisemitism (ONG britannique fondée en 2014.et du Jewish Labour Movement[7]. L’enquête visait à déterminer si le Labour avait enfreint l’Equality Act 2010, dans son attitude envers le judaïsme et les juifs, par l’intermédiaire de ses employés ou agents. Elle cherchait également à mesurer la manière dont le Labour avait mis en œuvre les recommandations de précédents rapports – notamment le rapport de la spécialiste des droits civiques Shami Chakrabarti de 2016, commandé par Jeremy Corbyn lui-même à la suite de premières polémiques sur l’antisémitisme au sein du parti -, et si le Labour avait mis en place une procédure de traitement des plaintes pour antisémitisme en son sein qui soit légitime, cohérente et efficace.
L’enquête s’est basée sur l’examen de 70 dossiers d’enquête relatifs à des plaintes pour antisémitisme faites au sein du parti (sur plus de 220 plaintes identifiées), 58 ayant été sélectionnés par l’EHRC, et 12 proposés par le Labour. L’EHRC a également examiné des témoignages au sein du parti travailliste et de différentes organisations, dont le Campaign Against Antisemitism, le Jewish Labour Movement et The Jewish Voice for Labour[8].
Un rapport accablant mettant en évidence une « culture » problématique
Dans son développement comme dans ses conclusions, le rapport est accablant sur la gestion qui a été faite des cas d’antisémitisme sous l’ère Corbyn, et plus particulièrement du traitement des plaintes pour antisémitisme. Plus largement, il conclut que le parti est responsable « d’actes illégaux de harcèlement et de discrimination » (p. 6).
Outre les cas éminemment problématiques que nous allons aborder plus en détail, il semble qu’une forme de désinvolture ait marqué la stratégie de lutte contre l’antisémitisme, à rebours de l’engagement de Jeremy Corbyn sur une politique de tolérance zéro vis-à-vis de l’antisémitisme. Le rapport de l’EHRC note par exemple dès l’abord que malgré l’engagement du Labour à collaborer avec eux, de nombreuses difficultés ont été constatées dans la transmission des documents, si bien que l’EHRC s’interroge sur l’engagement réel du Labour à coopérer. Surtout et plus largement, le rapport « met en évidence une culture à l’intérieur du Parti qui, au mieux, n’a pas fait assez pour prévenir l’antisémitisme et, au pire, pourrait être considérée comme l’acceptant» (p. 101).
Plusieurs cas permettent selon le rapport de tenir le Labour pour responsable de harcèlement envers les juifs. En effet, en vertu de l’Equality Act 2010, un parti politique peut être tenu pour légalement responsable des comportements illicites de ses agents dès lors que ces agissements sont commis dans le cadre de leurs fonctions au sein du parti, en tant qu’élu (membre du parlement, maire, etc.) ou en tant que membre des différentes instances du parti[9].
Près d’une vingtaine de cas d’agents officiels du parti, parmi ceux étudiés par l’EHRC (« la partie émergée de l’iceberg », selon l’expression du rapport, p. 8), sont considérés comme « borderline ». De nombreux autres sont considérés comme des cas d’attitudes clairement antisémites mais issues de membres « ordinaires » du parti, et dont le Labour ne peut donc pas être tenu pour responsable. Deux principaux cas sont en revanche détaillés dans le rapport, ceux de Ken Livingstone et Pam Bromley[10].
Le Labour responsable de harcèlement[11] : les cas de Ken Livingstone et Pam Bromley
Député de la Chambre des communes de 1987 à 2001, maire de Londres de 2000 à 2008 et très proche de Jeremy Corbyn, Ken Livingstone était membre de l’organe directeur du Labour, le National Executive Committee (NEC), au moment des faits. En 2014, la future députée travailliste Naz Shah avait partagé sur Facebook un post proposant de « transporter » la population israélienne aux États-Unis[12]. Le post comportait une image montrant l’État d’Israël incrusté dans celui des États-Unis avec le commentaire : « problème résolu » (problem solved). Un autre de ses posts Facebook comparait l’État d’Israël à l’Allemagne nazie, expliquant, avec le hashtag #IsraelApartheid : « Nous ne devrions jamais oublier que tout ce que Adolf Hitler a fait en Allemagne était légal » (« We should never forget that everything that Hitler did in Germany was legal »).
Ces posts de Naz Shah, élue députée du Labour en 2015, ressurgissent en avril 2016 et créent une vive polémique. La députée s’excuse alors publiquement[13] et devant le Parlement pour ses propos. Elle est rapidement suspendue par le Labour le temps d’une enquête administrative [14]. Suite à ce retrait, Ken Livingstone intervient à plusieurs reprises dans les médias pour nier le caractère antisémite des posts de Naz Shah, expliquant que les critiques à son égard font partie d’une campagne de diffamation menée par le « lobby israélien » pour stigmatiser toute critique d’Israël comme étant antisémite, et miner le mandat de Jeremy Corbyn. Il ajoute que Hitler avait soutenu le sionisme en 1932, « avant de devenir fou et de finir par tuer six millions de juifs »[15]. Ces propos suscitent de vives réactions, plus d’une centaine de députés travaillistes demandant son exclusion du parti. Mis en retrait suite à ces propos le temps de l’enquête, il sera finalement sanctionné d’une suspension de deux ans du parti[16].
L’EHRC conclut au caractère antisémite des propos de Ken Livingstone, ayant eu pour effet de « créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant pour les membres et les futurs membres du parti travailliste, en particulier ceux qui sont juifs » (p. 107). Elle conclut également à la responsabilité du Labour dans la conduite de Ken Livingstone, dans la mesure où il occupait des fonctions officielles au sein du Labour.
Conseillère municipale du parti travailliste à Rossendale (Lancashire), Pam Bromley a, quant à elle, posté un certain nombre de messages sur Facebook pour lesquels le Labour a reçu de nombreuses plaintes l’accusant d’antisémitisme. Ces posts remontant au moins à 2017 déploient certains préjugés antisémites classiques, comme l’idée que le peuple juif contrôle le monde financier. Pam Bromley y explique également que les plaintes pour antisémitisme au sein du Labour sont de pures fabrications, et suggère que les juifs ont fomenté un complot pour prendre le contrôle du parti travailliste, faisant référence notamment à une « cinquième colonne[17] ». Suspendue en avril 2018, Pam Bromley a été expulsée du parti en février 2020. L’EHRC estime cependant que le Labour peut être tenu pour responsable de son attitude, dans la mesure où elle exerçait des fonctions officielles, mentionnées explicitement sur son compte Facebook, et a utilisé pour certains de ces posts son compte Facebook officiel de conseillère municipale.
Un traitement erratique et politisé des plaintes pour antisémitisme
Le rapport revient longuement sur les lacunes du processus de gestion interne des plaintes pour les cas d’antisémitisme. Les plaintes déposées par les membres du parti doivent en effet permettre d’enquêter sur une potentielle rupture du code de conduite. Depuis 2018, ces plaintes sont enregistrées sur Internet, et examinées d’abord par une instance du Labour, le Governance and Legal Unit (GLU), qui décide s’il faut ou non réaliser une enquête. Si c’est le cas, le GLU réalise l’enquête et en transmet les résultats au National Executive Committee (NEC), qui juge s’il y a ou non infraction, sa gravité et la sanction appropriée. Si nécessaire, une audition peut être organisée par le National Constitutional Committee (NCC).
Or, dans les cas examinés, l’EHRC conclut à de graves carences dans le traitement des plaintes pour antisémitisme : elle juge les réponses données par le parti à ces plaintes comme globalement incohérentes et opaques. Elle indique que ni les plaignants ni les accusés n’ont été tenus au courant correctement du traitement et des résultats des plaintes, elle signale des délais trop importants en vue de les instruire, elle remarque une tenue de registre inexistante et note une désinvolture criante dans le traitement de ces plaintes, lesquelles sont parfois purement et simplement oubliées. L’EHRC mentionne notamment (p. 70) le cas d’un conseiller du Labour qui, en 2016, a partagé l’image d’un banquier juif, Jacob Rothschild, sur sa page Facebook, avec une légende disant que la famille Rothschild et d’autres institutions, dont la City de Londres et le Vatican, « possèdent nos news, nos médias, notre pétrole, et même nos gouvernements ». La plainte à laquelle ce commentaire a donné lieu n’a jamais été traitée.
Aucune orientation générale ou procédure déterminée n’a donc été donnée pour établir ce qui peut ou non être considéré comme de l’antisémitisme, ni les sanctions à appliquer en fonction de la gravité des faits. Aucune raison n’est donnée des décisions prises, pour les sanctions comme pour les classements sans suite, et aucun compte-rendu n’est fait des discussions qui donnent lieu à ces décisions. De plus, les personnes en charge de traiter les plaintes pour antisémitisme ne reçoivent aucune formation pratique spécifique pour mener à bien leur tâche. L’EHRC conclut ainsi que « les preuves montrent clairement que le système de traitement des plaintes pour antisémitisme présentait de graves lacunes. Il en résulte que les personnes déposant des plaintes pour antisémitisme ont été mal servies par leur parti politique et que les personnes répondant aux plaintes ont souvent été traitées injustement » (p. 73).
L’EHRC pointe également un traitement politisé des plaintes pour antisémitisme via des ingérences politiques, ce qui induit que le traitement des plaintes ne suit pas les procédures officielles. Cela a pu conduire à des décisions prises pour des raisons politiques et non sur la base de l’examen des faits, conduisant potentiellement à un effet discriminatoire. En effet, dans la procédure officielle, les équipes de Corbyn, en tant que leader de l’opposition (Leader of the opposition, LOTO), ne sont pas censées intervenir dans le traitement des plaintes. Or, l’EHRC a découvert des preuves de leur intervention dans différents dossiers de plainte pour antisémitisme, à certaines périodes de manière systématique. L’un d’eux concerne directement Jeremy Corbyn. Une plainte avait été émise en avril 2018 contre lui suite à l’affaire de la fresque murale. Alors que la décision de procéder ou non à une enquête doit être prise par le Governance and Legal Unit, un mail des équipes de Corbyn a demandé à ce que la plainte soit classée sans suite, estimant que « la plainte elle-même semble être bien en deçà du seuil requis pour une enquête » (cité p. 44).
Dans l’affaire Ken Livingstone, Jeremy Corbyn semble être intervenu directement, cette fois pour demander sa suspension. Faite sous les pressions médiatiques et politiques, et contre les procédures officielles prévues par le Labour, la suspension de deux ans a été confirmée ensuite par les instances disciplinaires du parti, provoquant la colère de ceux qui au sein du Labour souhaitaient son expulsion. En effet, à la différence du cas de Naz Shah, dont la réintégration a été accueillie favorablement par les représentants juifs du Labour du fait de ses excuses répétées, Ken Linvingstone n’a jamais regretté ses propos[18], et traîne par ailleurs derrière lui plusieurs polémiques liées à des propos douteux sur les juifs. En 2005 notamment, alors maire de Londres, il avait comparé un journaliste juif qui l’interrogeait à un gardien de camp de concentration, des propos entraînant une vive polémique et sa suspension pour un mois de ses fonctions.
Quel que soit le sens de ces interventions, l’EHRC estime qu’elles ne sont pas légitimes, ajoutant de l’incohérence et de l’opacité aux procédures disciplinaires du parti : « nous constatons que l’implication du LOTO [Leader of the opposition] dans les plaintes individuelles pour antisémitisme ne s’inscrivait pas dans le cadre de la procédure de traitement des plaintes du parti travailliste, et ne constituait donc pas une approche légitime pour déterminer les plaintes. Ce processus a entraîné un manque de transparence et de cohérence dans la procédure de traitement des plaintes. Il a créé un risque sérieux de traitement discriminatoire réel ou perçu dans des plaintes particulières. Il a aussi fondamentalement miné la confiance du public dans la procédure de traitement des plaintes ». (p. 50)
Si l’EHRC note que des progrès ont été faits dans le traitement des plaintes pour antisémitisme à partir de 2019, ces multiples carences, et particulièrement les faits d’ingérence politique, rendent selon l’EHRC le Labour responsable de discrimination indirecte[19].
Légèreté sélective et électrochoc au sein du Labour
Si de telles carences apparaissent particulièrement coupables aux yeux de l’EHRC, c’est également parce qu’elles ne semblent concerner que l’antisémitisme. L’EHRC note en effet que le traitement des plaintes pour antisémitisme est différent du traitement des plaintes que l’on trouve sur d’autres sujets. Le rapport prend ainsi à plusieurs reprises l’exemple du traitement des plaintes pour harcèlement sexuel, pour lesquelles les procédures sont cohérentes, transparentes et efficaces, et réalisées par un personnel spécifiquement formé. De plus, un certain nombre des carences liées au traitement des plaintes avait déjà été signalé par le rapport Chakrabarty de 2016, dont les recommandations n’ont finalement pas été suivies.
L’EHRC ne peut faire autrement que de soupçonner, dans le meilleur des cas, un désintérêt pour les questions liées à l’antisémitisme, mettant directement en cause la direction du parti sous l’ère Corbyn : « Le parti travailliste a montré sa capacité à agir de manière décisive lorsqu’il le souhaite, en introduisant une procédure sur mesure pour traiter les plaintes pour harcèlement sexuel. Il est difficile de ne pas conclure que l’antisémitisme au sein du parti travailliste aurait pu être combattu plus efficacement si la direction avait choisi de le faire. » (p. 101).
Ce rapport, publié en octobre 2020, a fait l’effet d’une bombe au sein du Labour. Keir Starmer, qui en succédant à Jeremy Corbyn à la tête du Labour a fait de la lutte contre l’antisémitisme une de ses priorités, a parlé d’un « jour de honte » pour le parti travailliste. Il a indiqué accepter sans aucune limite les conclusions du rapport et s’est engagé à mettre en œuvre toutes les recommandations qui y sont formulées via la mise en place d’un plan d’action. Peu après les déclarations de Keir Starmer, Jeremy Corbyn a cherché à minimiser la portée du rapport, estimant que le nombre d’antisémites au sein du Labour avait été exagéré. Keir Starmer a alors pris la décision de suspendre Jeremy Corbyn, le 29 octobre 2020. Réintégré quelques semaines plus tard, Jeremy Corbyn reste néanmoins, pour l’instant, interdit de siéger dans l’opposition travailliste à la chambre des Communes.
Les échos français des polémiques du Labour de Corbyn
Parmi les grands partis européens issus du socialisme, il en est un qui s’invita souvent dans les polémiques relatives à l’antisémitisme au sein du Labour, c’est La France Insoumise. Lors d’un voyage en Angleterre en septembre 2018, son leader, Jean-Luc Mélenchon dénonçait ainsi « un tissu de reprises sans recul ni preuve de la propagande de Netanyahou (…) » avant d’affirmer : « en général quand une campagne électorale voit un homme de gauche être traité d’antisémite c’est qu’il n’est pas loin du pouvoir. » Et de conclure, « Bref le bon vieux rayon paralysant est en plein fonctionnement ici. Écœurant. » Manipulation israélienne, ou manipulation des dominants, la question de savoir qui instrumentaliserait un antisémitisme inexistant pour nuire à Corbyn n’était pas clair, mais le cœur de l’argument était posé : il n’y a pas d’antisémitisme.
Le lendemain de la défaite de décembre 2019, Jean-Luc Mélenchon reprenait la plume pour dénoncer les erreurs du leader socialiste anglais et en tirer les leçons : « Corbyn a dû subir sans secours la grossière accusation d’antisémitisme à travers le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud. Au lieu de riposter, il a passé son temps à s’excuser et à donner des gages. (…) Je n’y céderai jamais pour ma part. Retraite à point, Europe allemande et néolibérale, capitalisme vert, génuflexion devant les ukases arrogante des communautaristes du CRIF : c’est non. Et non c’est non. ». La dernière phrase activant l’imagerie antisémite du groupe juif organisé donnant des ordres à des politiques à genoux fera beaucoup parler. Mais le présupposé de base restait le même : pour Mélenchon l’accusation d’antisémitisme formulée à l’endroit de Corbyn était « grossière ».
Quelques semaines plus tard, Mélenchon revenait une dernière fois sur les accusations formulées à l’encontre de Corbyn dans un post de son blog consacré « à l’antisémitisme comme prétexte » utilisé à son tour contre Bernie Sanders : « Après la campagne harcelante contre Jeremy Corbyn et les lourdes insinuations contre moi, c’est au tour de Bernie Sanders d’être accusé d’être antisémite. » Le rapport de l’EHRC a levé le voile sur la réalité que cachait cette « campagne harcelante ». Pourtant, Jean-Luc Mélenchon n’a jamais cru bon d’y revenir. Le « Jour de honte » du Labour n’a pas encore fait rougir outre-manche. Faut-il en conclure que le Labour ne sera pas un modèle cette fois-ci ?
© Milo Lévy-Bruhl & Adrien Zirah
Notes
1 | Antisémitisme : un bon prétexte contre Sanders aussi, décembre 2019 |
2 | voir Le Monde, 17/10/2019 |
3 | voir Le Monde, 11/12/2019 |
4 | voir Le Monde, 03/04/2018 |
5 | Le rapport final publié en octobre 2020 est en accès libre sur le site de l’EHRC. |
6 | « Following serious public concern about allegations of antisemitism and a number of formal complaints made to us. » Sauf mentions contraires, les pages indiquées dans le corps du texte renvoient au rapport. |
7 | The Jewish Labour Movement, précédemment connu sous le nom de Poale Zion (Britain) de 1903 à 2004, est l’une des plus anciennes organisations socialistes (« socialist societies ») affiliées au parti travailliste britannique. |
8 | The Jewish Voice for Labourest une organisation créée en 2017 au sein du Labour pour ses membres de confession juive, visant à lutter contre toute forme de racisme et d’antisémitisme. |
9 | Les différents cas pour lesquels le Labour peut être tenu pour légalement responsable des agissements de ses agents sont détaillés dans l’Annexe 3 du rapport, p. 112-116. |
10 | Ces deux cas font l’objet d’une description détaillée dans l’Annexe 2 du rapport, p. 105-111. |
11 | L’EHRC définit dans le chapitre 2 de son rapport (p. 20-23) le cadre juridique utilisé pour considérer que des actes illégaux ont été commis au sein d’un parti politique. Dans le cadre de l’Equality Act 2010, « le harcèlement désigne un comportement non désiré lié à la race, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (p. 22) |
12 | Voir Le Figaro, le 27/04/2016 |
13 | Idem |
14 | Elle sera réintégrée en juillet 2016 après avoir réitéré ses excuses, notamment lors d’une visite à la synagogue de Leeds |
15 | voir Le Monde, 07/04/2017 |
16 | Ken Livingstone finit par démissionner du Labour en mai 2018. |
17 | On peut trouver les posts Facebook en question aux pages 108-109 du rapport. |
18 | voir Le Monde, 29/04/2016 |
19 | Dans le cadre de l’Equality Act 2010, la discrimination indirecte signifie le fait « d’appliquer d’une politique ou une pratique qui désavantage particulièrement les personnes d’une certaine race ou d’une certaine religion par rapport à une personne qui ne partage pas leur race ou leur religion » (p. 21). |
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