Audience de 9h43. Cour d’assises. Ile de la Cité. Salle Victor Hugo
Alex Carrimbacus, 25 ans, se lève à la demande du Président de la Cour, Monsieur Franck Zientara.
FZ : Avez vous quelque chose à ajouter pour votre défense?
AC— « Je suis soulagé d’avoir pu répondre aux questions de la Cour et des parties civiles. Je voudrais juste dire aussi que je suis content d’avoir pu revoir ma maman. En ce qui concerne l’affaire, je regrette de n’avoir rien fait, j’aurais du faire quelque chose pour m’opposer à lui (Yacine Mihoub), appeler les secours ou les pompiers. Je suis désolé. Je tiens par ailleurs à remercier mes avocats. »
FZ : Monsieur Mihoub, levez-vous.
Yacine Mihoub, 32 ans : « Je tiens à dire que je n’ai pas tué Mme Knoll et que je suis désolé pour la famille. Je tiens aussi à m’excuser vis-à-vis de ma mère à qui je fais subir tout ça depuis trois ans. »
Mme Khélaf, la mère de Yacine, est appelée à la barre, elle n’a « rien à ajouter », déclare-t-elle au Président.
Les questions qui seront posées durant le délibéré aux jurés sont exposées devant la cour. Le Président Zientara énonce toutes les questions suivantes :
Le meurtrier a t-il commis son acte alors que Mireille Knoll était particulièrement vulnérable ?
Le meurtre spécifié à la question numéro 1 a t-il été commis en raison de l’appartenance vraie ou supposée de la religion juive ?
L’accusé Alex Carrimbacus est-il coupable d’avoir préparé le meurtre?
Le vol a t-il été suivi ou a t-il été précédé de violences?
Le Président Franck Zientara nous lit l’article 353 du code de procédure pénale qui dispose que : « Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :
» Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ? »
En droit pénal français, l’intime conviction est une méthode de jugement permettant de prendre en compte l’acte à juger et la personne dans leur réalité et dans leur subjectivité, en ouvrant aux juges l’accès à tout moyen de preuve : par la parole, par la science, par les éléments psychologiques.
Audience suspendue à 10h, délibéré des jurés jusqu’à 19h50 pile.
Audience criminelle reprise.
FZ : Les accusés levez-vous.
Les réponses aux questions posées sont énumérées par le Président :
Sur la question de la culpabilité de Yacine Mihoub d’avoir commis le meurtre sur Mme Knoll, vulnérable en raison de l’appartenance à la religion juive ; oui à la majorité de six voix au moins.
L’article 356 du Code de procédure pénale précise que : « La cour et le jury délibèrent, puis votent, par bulletins écrits et par scrutins distincts et successifs, sur le fait principal d’abord, et s’il y a lieu, sur les causes d’irresponsabilité pénale, sur chacune des circonstances aggravantes, sur les questions subsidiaires et sur chacun des faits constituant une cause légale d’exemption ou de diminution de la peine. »
Le Président demande aux jurés chargés de se prononcer sur la culpabilité des accusés et sur la peine applicable, d’écrire si oui ou non l’accusé est responsable selon eux du crime qu’on leur reproche. Si, historiquement, les jurés se prononçaient seulement sur la culpabilité des accusés, ils sont désormais des juges à part entière, au même titre que les trois magistrats professionnels (un Président et deux assesseurs) qui siègent à leur côté dans la cour d’assises. La Cour et le jury délibèrent ensemble sur la culpabilité et sur la peine, sans que les magistrats ne disposent de voix prépondérante. Le système de vote est structuré de telle sorte que les décisions se prennent toujours à la majorité des voix exprimées par les jurés.
L’article 359 du Code de procédure pénale (CPP) dispose que : « Toute décision défavorable à l’accusé se forme à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d’assises statue en appel. »
FZ : Alex Carrimbacus coupable de la mort? La cour a répondu non, sur la question du meurtre.
Mihoub sur la complicité : sans objet
Pour AC : la cour n’a pas reconnu les faits sur la complicité. L’article 121-7 du Code pénal énonce qu’: « Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. » Le complice encourt en théorie une peine identique à l’auteur de l’infraction.
YM retenu coupable de vol sur une personne vulnérable et en raison de son appartenance vraie ou supposée à la religion juive.
AC coupable reconnu de fait de vol au préjudice de Mireille Knoll particulièrement vulnérable du fait de son âge (85 ans) et de la maladie dont elle est frappée (Parkinson).
Pour faits de violence ? : oui a la majorité de 6 voix au moins.
Circonstance aggravante d’appartenance à la religion juive.
S’agissant des faits d’incendie :
YM : La cour a répondu oui à la majorité 6 voix au moins.
AC : participation à l’incendie : oui selon la Cour.
Pour la culpabilité de la mère, Zoulika Khélaf : la Cour a répondu oui.
S’agissant de ces faits, culpabilité de YM sur les faits de meurtre, la Cour a indiqué que les deux accusés se renvoyaient sans arrêt la responsabilité.
La Cour pas convaincue par les protestations d’innocence de Monsieur Mihoub, s’agissant des faits de meurtre; car existence d’un contentieux latent entre Yacine Mihoub et Mireille Knoll.
La Cour souligne que cette déception a entretenue chez YM une haine sourde (cf conversation téléphonique du 6 juin 2018). La Cour souligne le caractère prévisible de l’issue houleuse, voire dramatique, de la rencontre entre Yacine et Mireille le jour des faits.
Violences incontrôlées, alcoolisme certain mais aucune pathologie déclarée pour YM.
Responsabilité pénale totale de par l’absence de pathologie psychiatrique.
La Cour rappelle que la thèse de YM sur le fait que MK se serait couchée seule est reconnue impossible, car elle ne pouvait pas le faire seule, avait besoin de son infirmière car rencontrait beaucoup de difficultés à se mouvoir.
Il est précisé également dans cette motivation que YM se qualifie de leader et de dominant, alors que AC serait, selon les dires de YM, « une âme sensible, qui va se faire bouffer en prison ». Quand Yacine accusait Alex du meurtre en se disant terrorisé par son acte de cruauté, la Cour a rappelé que ce n’était pas le comportement de quelqu’un qui se qualifie de « tétanisé par la peur » devant AC, quand Yacine se qualifie lui-même de « dominant, leader ».
Sur le caractère antisémite
Sur le caractère antisémite : la Cour est convaincue outre son caractère crapuleux, que le crime a été commis avec la motivation de la haine contre les juifs.
La croyance de Mihoub que des richesses étaient cachées dans l’appartement de Mireille Knoll d’apparence très modeste a aggravé son cas, où selon ses dires, les Juifs sont « tous blindés » ou ont tous « une bonne situation ».
De plus, les inscriptions « Les frères Kouachi ne sont pas morts pour rien » et « RIP Coulibaly » sur les murs de sa cellule à Fleury-Mérogis ont aggravé son cas.
Ses affirmations devant la Cour en ont choqué plus d’un, comme celle où il fait référence au terroriste ayant mené l’attentat de L’hypercacher en 2015: « Coulibaly était un mec bien ».
S’agissant de l’incendie : il est reconnu par l’intéressé.
Pour la Cour, AC est non coupable du crime de meurtre car aucun élément de la procédure qui montre qu’il y aurait participé.
La seule présence passive ne peut pas caractériser la criminalité sans présence d’acte positif.
Pour la mère : la Cour n’a pas cru à sa version des faits. Carrimbacus a affirmé avoir bien vu qu’elle avait jeté des objets (portable et objets de MK) dans le vide ordure et lavé le couteau. AC a toujours affirmé qu’elle a été mise au courant du décès de MK.
On se souvient de la phrase aussi impitoyable que tranchante de Yacine à sa mère, quelques minutes après le meurtre en arrivant au 7e étage : « La vieille du deuxième n’est plus de ce monde ».
Le Président nous cite ces séries d’articles des Codes de procédures pénales et Code pénal : articles 221, 229-1, 131-26-2, 132-9 du Code pénal, et les articles 800-1 et 362 du Code de procédure pénale.
Récidive du 7 décembre 2014 où il avait été condamné déjà.
Pour Yacine Mihoub : Peine de réclusion criminelle à perpétuité pour les raisons suivantes : l’extrême gravité des faits du meurtre de onze coups de couteau sur une femme très vulnérable de 85 ans, frappée par la maladie Parkinson et caractérisée par son incapacité à se mouvoir normalement. Mobile du meurtre caractérisé par un intérêt financier et surtout par l’antisémitisme. Absence totale d’empathie nous rappelle le Président Zientara, son insensibilité aurait frappé la Cour, avec par exemple la décision de mettre le feu au risque de causer beaucoup d’autres victimes, y compris sa mère au 7e étage du même immeuble. En plus du feu, il aurait ouvert le gaz dans la cuisine, ce qui aurait pu mener à des conséquences dramatiques. Sa joie et son calme après le drame, relatées par Alex et par d’autres amis dans le bar, traduisent son absence totale d’empathie. L’incapacité à se remettre en cause, son intolérance à la frustration, son alcoolisme et le fait que les infractions ont été commises en récidive ont été des arguments décisifs pour la condamnation.
« Réclusion criminelle à perpétuité avec période de sûreté de 22 ans pour Mr Mihoub ».
Après plus de neuf heures de délibéré, les jurés ont déclaré Yacine Mihoub seul coupable du meurtre aggravé de l’octogénaire et l’ont condamné à la réclusion criminelle à perpétuité (avec 22 ans de sûreté).
La période de sûreté est une période pendant laquelle la personne condamnée à une peine privative de liberté sans sursis ne peut pas bénéficier d’aménagements de peine : no de placement à l’extérieur, ni de permissions de sortir, ni de semi-liberté, ni de libération conditionnelle. Concrètement la période de sûreté revient à fixer une durée d’incarcération incompressible. Cette période de sûreté peut être automatique, on parle alors de sûreté légale car elle résulte d’un texte spécifique. Le juge n’a pas à la prononcer il peut seulement en modifier le quantum. En droit pénal il est question du « quantum de la peine » lorsqu’on se réfère à l’importance de la condamnation prononcée.
De son côté, Alex Carrimbacus a écopé de quinze ans de réclusion criminelle, avec une période de sureté des deux tiers, pour vol aggravé.
AC condamné donc a 15 années de réclusion criminelle pour les faits de vol aggravé, suivant la mort d’une femme vulnérable de 85 ans, 2/3 de la peine. La Cour le rend coupable de l’incendie et pas seulement complice. Son casier judiciaire n’a pas arrangé les choses, il était sorti de prison le 17 janvier 2018 deux mois avant le meurtre. Le Président nous rappelle également que l’expert psychologue avait décelé un trait « borderline » chez Carrimbacus.
Par ailleurs, et in fine, la mère de Mihoub, Mme Khélaf, écope de 3 ans d’emprisonnement dont 2 ans avec sursis pour «destruction de preuves», notamment pour avoir fait disparaître une bouteille de porto et nettoyé l’arme du crime. Elle aurait également exercé des pressions sur les victimes, ce qui a été retenu par la Cour. La Cour a prévu un aménagement de la peine de étention d’un an à domicile sous bracelet électronique compte-tenu du casier judiciaire vierge de l’accusée.
La Cour aurait, selon cette hypothèse, ainsi suivi pas à pas le raisonnement de l’Avocat général, Jean-Christophe Muller, qui, la veille, avait pris soin de départager les accusés en exprimant très explicitement et clairement son point de vue : «La mort de Mireille Knoll repose sur les épaules de Yacine Mihoub», il est «le responsable unique» de ce «meurtre particulièrement sauvage».
Alex Carrimbacus et Yacine Mihoub ont la possibilité d’interjeter l’appel sous 10 jours.
Audience criminelle suspendue 20h10
Reprise à 20h19, audience civile.
Maitre Sébastien Journé, avocat des Parties Civiles: a des questions pour les Parties Civiles. Les avocates Maîtres Weill-Raynal et Boisgard demandent au Président un euro symbolique pour leurs associations respectives.
Maître Weill-Raynal: « un euro symbolique pour notre association ». Il s’agit du BNVCA, le bureau national de vigilance contre l’antisémitisme.
Maître Valérie Boisgard, autre avocate de la Partie Civile : « un euro symbolique pour Avocat sans frontières »
La Défense : le dommage qui est causé n’est pas le même que l’incendie. AC a été condamné pour des faits délictuels et pas des faits criminels. les préjudices doivent être établis distinctement.
Aucune observation de l’Avocat général.
La décision sera rendue par mise à disposition au greffe le 6 décembre.
L’audience civile est levée.
Remerciements
Je tiens à remercier Thierry Toubiana, qui m’a mise en contact avec Sarah Cattan.
Je remercie chaleureusement Tribune Juive de m’avoir publiée depuis mon premier compte-rendu, et des remerciements particuliers à Madame Sarah Cattan, qui m’a accordé sa confiance immédiatement et qui m’a attribué avec l’accord d’André Mamou la qualité de reporter et d’auteure à la rédaction sur cette affaire.
Merci à L’UEJF (Union des Étudiants et Étudiantes Juifs de France) d’avoir eu l’initiative d’organiser ces sorties entre militants au Tribunal à la Cour d’assises pour nous permettre d’assister au plus près à ce procès. Nous avons vu la justice de notre pays opérer à l’état brut, au plus proche de la Famille Knoll, des Parties Civiles et de leurs avocats pour leur montrer notre présence, notre soutien et solidarité.
Merci à Mickaël Szerman pour sa disponibilité et pour ses renseignements sur le déroulé du procès.
J’aimerais également adresser de sincères remerciements à toute la famille Knoll qui nous a, tout au long de ce procès, donné une véritable leçon de vie et de dignité en se battant jusqu’au bout pour faire reconnaître le caractère antisémite du meurtre.
Merci à Daniel et Allan Knoll pour leur confiance dans ma rédaction des compte-rendus d’audience. Que l’ « âme de leur maman » repose en paix, après trois ans et demi de lutte pour lui rendre justice. Un soulagement s’impose enfin. #JusticepourMireille.
© Levana Ederhy
Compte rendu d’audience rédigé par Lévana Ederhy, 21 ans, étudiante en deuxième année de droit, et militante UEJF.
Compte rendu juste parfait.
Bravo pour ce travail exemplaire .
Merci beaucoup !