Je voudrais aborder la formule “masculinité toxique” qui est très en vogue dans les discours de certaines féministes. Ce syntagme, lorsqu’on le recherche sur Google, donne 129000 résultats pour le pire et pour le meilleur. Le premier article qui sort est celui du magazine pour femmes Grazia. Le journal propose un article sur la “masculinité toxique” en prétendant expliquer comment ce concept “gâche la vie des femmes, mais aussi des hommes”.
Définie comme “la constellation de traits masculins socialement régressifs au service de la domination, de la dévaluation des femmes, de l’homophobie et de la violence gratuite“, la référence à Une étude (il y a toujours une étude ou des études pour inspirer le bêtisier contemporain), sur la masculinité toxique dériverait des travaux d’un … homme, ce qui érige immédiatement le syntagme en concept indiscutable.
Bah, oui, on a compris que quand c’est un homme qui dit que les hommes sont toxiques, et quand c’est un Juif qui dit que les sionistes sont des nazis, que c’est un fou qui dit que les psychiatres sont malades et que c’est une femme qui vous dit que les femmes sont dominées par l’hétérocispatriarcat blanc, c’est forcément vrai.
Une “masculinité toxique” est le contraire de la “masculinité saine”, comme l’explique doctement une doctoresse ès sciences de masculinités dans la thèse intitulée Entre “masculinité toxique” et nouvelles masculinités contemporaines : une redéfinition plurielle des masculinités au prisme du traitement médiatique du mouvement #MeToo (un mouvement inclusif qui cherche à transformer la société par l’éducation d’une masculinité saine)[1].
Les bonnes sœurs de la santé masculine sont à l’image de Humpty Dumpty: vous leur demandez ce qu’elles veulent dire par ce charabia, elles vous répondront ainsi: “les mots signifient exactement ce qu’il me plaît qu’ils signifient… ni plus, ni moins”.
L’homme est donc forcément mauvais, toxique, nuisible à la femme, sujet à la rééducation, à la déconstruction, à l’assainissement.
Mais comme nous n’avons pas leur science, nous pouvons nous appuyer quand même sur la culture qui nous a faits advenir à ce que nous sommes aujourd’hui, en supposant qu’on parle de la culture commune. Selon la tradition juive qui, n’en déplaise aux obsédés de la tenaille identitaire, contient en elle les principes de l’universalisme : l’homme est complémentaire à la femme (tout comme elle lui est complémentaire).
(Re) lire la Genèse ! Et de préférence en bonne traduction, au cas où vous n’êtes pas à l’aise avec la langue de Dieu. En hébreu, la première occurrence du mot “homme” (אדם) correspond à “être humain”.
Si seulement les rééducatrices spécialisées connaissaient la blague juive “Qu’est-ce qu’un père juif ? –Une mère normale”…
La masculinité c’est déjà mal, on les a vues démasculiniser les sciences[2] et se demander comment démasculiniser le cerveau[3] (à quand la lobotomisation ?), mais voilà qu’elle est en plus “toxique”.
Métaphore de toxicité
La masculinité toxique est une métaphore (figure de prédilection de très littéraires démasculinistes), porteuse de l’idée d’empoisonnement. La masculinité, cette essence de l’homme, est déclarée vénéneuse. L’adjectif se trouve également dans la littérature para-savante parlant des personnalités “toxiques”, à savoir manipulateurs, narcissiques, pervers etc. qui agissent “mal” sur autrui. On a beau chercher les critères de la toxicité, on n’en trouvera pas. Parce qu’il s’agit de la perception subjective. Mais voilà la différence fondamentale : les personnes toxiques peuvent être de deux sexes, pardon de cinquante, à en croire les recommandations des commissaires du Genre, or, la masculinité toxique, elle, est déclarée l’apanage des mecs seuls. Je ne m’appuie que sur « des études » en disant cela ? Car, on ne trouve pas “des études” sur “la féminité toxique”, uniquement des opinions[4] intéressantes.
Il y a aussi des projections et des fantasmes.
Souvenons-nous de l’accusation des lépreux et des Juifs empoisonneurs de puits. L’image du Juif a été pendant très longtemps associée dans l’inconscient européen à celle d’empoisonneur. D’où le champ sémantique qu’on retrouve dans les clichés “poison juif”. Les Juifs empoisonnent les puits comme les hommes empoisonnent les femmes, et la vie et la tranquillité de ces dernières. Les safe spaces sans hommes ? “Interdit aux Juifs” ! Le procédé discursif est identique, il suffit juste de manipuler la langue.
Pour les théoriciennes castratrices, la masculinité est liée au patriarcat (car elles confondent tout : l’ordre social, l’ordre psychique, le sexe, le genre, l’homme, la femme, la mère terre et qu’en sais –je, tout est fluide, tout est construit par les élucubrations verbales et par les performativités langagières). Or, le patriarcat est un type d’ordre social qui n’existe plus, en Afghanistan peut-être ou à Gaza, alors que la masculinité est un ensemble de propriétés ou traits attribués à un homme dans une société donnée. La masculinité n’est pas un homme avec un organe sexuel masculin.
Le “patriarcat” est lié au père, si on parle du psychisme, plutôt à la figure du père symbolique. On voit bien qu’il s’agit de contester à sa racine le substrat symbolique de la paternité. Les psychanalystes Bella Grumberger et Jeanine Chasseguet-Smirgel ont appelé cet univers L’univers contestationnaire. Il y a à la base de cette posture un fantasme parricide. Il s’agit toujours de tuer le père (le Juif symbolique). La loi symbolique a été constituée pour la culture occidentale par le judaïsme. C’est l’homme Moïse qui reçoit les Tables de la Loi. Et c’est cette religion de la Loi, insupportable, qui devient l’objet de haine qui perdure.
Le principe de contestation consiste à s’attaquer au cadre éthique de la culture judéo-chrétienne. Les psychanalystes en ont identifié et dénoncé le danger : la contestation de la tradition est au cœur de la destruction des filiations que garantit le nom du père (pour elles, c’est de la masculinité qu’il s’agit). Or le monde contemporain se distingue justement par ce qu’Alexandre Mitscherlich a appelé “la société sans père” dans son ouvrage de 1969 Vers la société sans pères. Le père n’est pas un simple géniteur biologique, c’est celui qui vient infliger le traumatisme de séparation entre une mère et l’enfant, c’est celui qui représente l’autorité (et pas le pouvoir ou la domination), et qui ne fait précisément que la représenter.
Je cite ici Thierry Lamotte, un psychanalyste qui s’est penché sur cette problématique qui devrait être expliquées aux activistes du chaos et autres destructrices de la culture judéo-chrétienne pour qui le réel et le symbolique relève de l’homme en chair et en os.
“Un père qui prétendrait incarner réellement l’autorité serait dans la même situation que Napoléon, lorsqu’il s’est mis à se prendre pour Napoléon : un fou ou un tyran. Napoléon savait bien, au début de sa carrière, qu’entre l’homme Napoléon et le Général Bonaparte, il y avait un hiatus, qu’au fond il n’était qu’un homme. C’est au moment où l’un et l’autre – l’homme ordinaire et le chef de guerre – se sont confondus, qu’il a basculé dans la figure, qu’on peut considérer tyrannique de l’Empereur Napoléon 1er. De la même façon, un père sait bien qu’entre l’homme et la fonction, il y a une coupure, et qu’occuper cette place de l’autorité comporte toujours une part d’imposture. Lorsque s’efface cette coupure, surgit la figure tyrannique du père abusif, du père autoritaire, violent”.
Ces cas existent, sans aucun doute, mais c’est de la mauvaise foi incroyable que d’en faire la situation ordinaire de toute paternité, ce qu’au fond, prétendent décrire les judéobutlériennes[5]
C’est en cela qu’on peut comprendre dans quelle mesure l’autorité limite le pouvoir : l’autorité limite aussi bien le pouvoir du père que celui de l’enfant. (Le problème d’un grand nombre de familles monoparentales c’est justement cette absence de figure limitatrice, dont le point d’appui est l’autorité).
Le paradoxe de la métaphore meetoïste
Si la loi est symbolique, le féminisme meetoïste et inquisitorial, lui, n’est pas dans le symbolique, les balanceuses des porcins n’ont de rapports que littéraux avec la loi, c’est l’homme haïssable qui l’incarne, malgré les métaphores diverses. Et c’est là le paradoxe de ce mouvement. Elles prennent tout au pied de la lettre (ce qui indique bien que pour elles, la loi, symbolique, donc ouverte à l’interprétation, est remplacée par la norme, qui s’applique à la lettre). La fiction ? Connais pas. “Liaisons dangereuses” -roman ? Non. Texte sexiste sur les “Relations toxiques”[6] “Votre beauté nous ensorcelle” -poème d’amour ? Non. Male gaze et eye rape. “Autant en emporte le vent” –”culture du viol“. Je parie que seul Abélard trouve encore grâce à leurs yeux, sa toxicité lui ayant été enlevée.
C’est que la figure du père symbolique est incarnée par l’homme réel. Par l’homme blanc, car elles ne considèrent pas, dans leur racisme primitif, les hommes “racisés” comme possible incarnation de la loi. D’où l’appel à tout “démasculiniser”.
La démasculinisation et la mise à mort
Comme naguère l’appel à “déjudaïser la langue” des fascistes italiens, “déjudaïser la catastrophe”, “déjudaïser le christianisme”, l’appel à démasculiniser (à se débarrasser de la masculinité toxique) touche à se débarrasser de l’essence de l’être, de l’autre. Il s’agit là d’une véritable incitation à la haine, à une sorte de mise à mort symbolique de l’homme au rejet de l’hétérosexualité, à la destruction sociale, subventionnées par les instances universitaires, par les maisons d’éditions et par les sociétés de production et de diffusion qui font leur choux gras sur la propagande de la déconstruction totale. Non mais, franchement, vous imaginez ce qui se serait passé si des colloques universitaires se tenaient sur le sujet de la déjudaïsation du monde académique ? Je n’arrive pas à voir la différence avec la démasculinisation.
Comme disent Pirkei Avot (les Maximes des Pères) “Là où il n’y a pas d’hommes, tâche, Toi, d’en être un !
[1] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02565377
[2] https://institut-du-genre.fr/fr/ressources/actualites-du-genre/seminaires/seminaires-2020-2021/article/demasculiniser-les-sciences
[3] https://www.binge.audio/podcast/parler-comme-jamais/faut-il-demasculiniser-notre-cerveau
[4] https://www.lepoint.fr/debats/la-feminite-toxique-existe-t-elle-12-01-2019-2285251_2.php
[5] Les disciples de Judith Butler (la mère de la théorie du Genre)
[6] Voir Belinda Canon, « Relations toxiques », Le Monde 25 août, 2021
© Yana Grinshpun
Linguiste, analyste du discours, Maître de Conférences en Sciences du Langage à l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle UFR Littérature Linguistique Didactique, Yana Grinshpun est particulièrement intéressée par le fonctionnement des discours médiatiques et par la propagande dans tous ses états.
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