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La Bibliothèque nationnale de France (BnF) célèbre en son site François-Mitterrand le centenaire de la naissance du poète Edmond Jabès (1912-1991).
Né dans une famille Juive polyglotte, cet intellectuel est contraint à fuir l’Egypte nassérienne antisémite pour se réfugier en France. Cet auteur exigeant, rigoureux et généreux a produit une œuvre protéiforme – poésie, aphorismes, maximes, etc. – en langue française, centrée autour d’interrogations sur l’exil, l’hospitalité, l’identité, la judaïté tragiquement marquée par la Shoah.
« J’ai quitté une terre qui n’était pas la mienne, pour une autre qui, non plus, ne l’est pas. Je me suis réfugié dans un vocable d’encre, ayant le livre pour espace », a écrit Edmond Jabès dans Un étranger avec, sous le bras, un livre de petit format (1989).
Un poète en exil
Edmond Jabès est né en 1912 au Caire (Egypte), dans une famille Juive francophone et de nationalité italienne sans avoir vécu dans la péninsule italienne.
Il écrit et publie dès 1929.
Il fonde avec Georges Henein une maison d’édition sensible au surréalisme: La Part du sable.
En 1930, il débute sa correspondance avec Max Jacob, poète français Juif converti au catholicisme. Une amitié se noue entre le poète célèbre et Edmond Jabès, élève de ses leçons de poésie, notamment lors de leur rencontre à Paris en 1935 : « Fais-en moins, et serre davantage. Le nombre de pages ne compte pas, mais la qualité et la densité ».
Il se lie aussi avec la poétesse Andrée Chédid.
Cet agent de change publie en 1945 sa correspondance avec Max Jacob.
En 1957, l’antisémitisme dans l’Egypte dirigée par Nasser et la guerre du canal de Suez obligent la famille Jabès à fuir ce pays pour la France.
Dans cette épreuve, Edmond Jabès prend alors conscience de son judaïsme. Il obtient la nationalité française en 1967.
Publié en 1959, Je bâtis ma demeure d’Edmond Jabès réunit ses poèmes et aphorismes rédigés de 1943 à 1957.
Les souvenirs et images d’Egypte – Le Caire, désert – nourrissent de manière importante ce poète exilé. Cette culture orientale imprègnent imprègne et inspire son œuvre questionnée par le « silence de Dieu » lors de cette indicible Shoah.
Débuté en 1959 et édité par Gallimard en 1963, Le Livre des Questions « marque un infléchissement dans son écriture : il mêle poésie, intrigue, paroles de rabbins, questionnement sur Dieu, mais aussi sur la condition des Juifs, et surtout sur la Shoah, dont l’horreur l’a profondément marqué ».
Edmond Jabès se lie d’amitié avec d’autres intellectuels : Jean Grenier et Gabriel Bounoure dès la période égyptienne, puis après l’arrivée à Paris, René Char, Michel Leiris, Jacques Derrida, Maurice Blanchot, Paul Celan ou Emmanuel Levinas.
Edmond Jabès travaille aussi avec des artistes, parmi lesquels Antoni Tàpies, Olivier Debré, Eduardo Chillida, Jean Degottex qui illustrent certains de ses ouvrages.
Ses écrits sont publiés par La Nouvelle Revue française (Gallimard).
Primé par de nombreux Prix – Prix des Critiques (1970), Prix des Arts, des Lettres et des Sciences de la Fondation du judaïsme français (1982) -, Edmond Jabès participe à des colloques et donne des conférences aux Etats-Unis, en Israël et en Europe.
« Ma langue maternelle est une langue étrangère. Grâce à elle, je suis de plain-pied avec mon étrangeté », écrit Edmond Jabès dans Le Livre du dialogue (1984).
En 1987, le compositeur Luigi Nono compose une partition sur Le petit livre de la subversion hors de soupçon (1982, Gallimard).
Il « a affronté à travers ses écrits la question de l’écriture et de l’être-dans-le-livre. On ne peut qu’approuver Roger Caillois qui lui attribue un verbe unique […] dans la prose française contemporaine ».
Dans son œuvre poétique, notamment Je bâtis ma demeure (1959), Edmond Jabès « questionne la place de l’étranger, ainsi que la figure du Juif, qu’il considère comme « l’autre » par excellence, toujours en exil ».
La singularité de son œuvre, qui a influencé notamment Jacques Derrida et marqué Paul Auster, a été soulignée par René Char.
Il donne ses manuscrits à la BNF en 1990. Un fonds complété par celui de ses filles et dont l’exposition présente « une centaine de documents, manuscrits, livres, photographies, mais aussi dessins et œuvres d’artistes proches du poète ». Le visiteur peut donc apprécier les états successifs de la création littéraire et de la réflexion de cet auteur-dessinateur, ainsi que les œuvres d’artistes inspirés par ses poèmes.
« L’entrée à la BnF grâce à un don de ses filles du dernier manuscrit auquel Jabès travaillait avant sa mort, Le Livre de l’Hospitalité (1991), invite à prendre comme fil directeur de l’exposition les thèmes de l’exil et de l’hospitalité si souvent abordés par ce poète exigeant et généreux, dont l’œuvre apparaît toujours aussi actuelle ».
Citations
« J’ai d’abord cru que j’étais écrivain, puis je me suis rendu compte que j’étais juif, puis je n’ai plus distingué en moi l’écrivain du juif, car l’un et l’autre ne sont que le tourment d’une antique parole » (Cahier de Yukel)
« Il n’y aura jamais assez d’heures pour venir à bout de la mémoire ».
« Venir au monde en poète, c’est être dans le monde autrement qu’en y résidant ».
« Rien n’est donné. Tout est à prendre – à apprendreQuoique tu fasses, c’est toi que tu espères sauver. C’est toi que tu perds ».
« L’Egypte, Le Caire, le désert, c’est tout le paysage de mon enfance ; à peine mes yeux ouverts, c’est, avec le visage des êtres qui me sont chers, ce qui s’est présenté à ma vue. J’en ai été profondément marqué. Tant de souvenirs gisent au fond de mes écrits. Je continue de vivre avec et ce vécu échappe au temps. »
« Tu parles toujours à partir d’un silence contre lequel tu te briseras.Il n’y aura jamais eu, derrière et devant nous, que le même silence.Le premier ».
« Je crois à la mission de l’écrivain. Il la reçoit du verbe qui porte en lui sa souffrance et son espoir. Il interroge les mots qui l’interrogent, il accompagne les mots qui l’accompagnent.
« Les paroles m’écartèlent ».
« Mon exil de syllabe en syllabe m’a conduit à Dieu ».
« Les mots sont des fenêtres, des portes entrouvertes dans l’espace ; je les devine à la pression de nos paumes sur elles, aux empreintes qu’elles y ont laissées ». (Le livre des questions)
« Le désert, c’est le vide avec sa poussière. Au cœur de cet univers pulvérisé, dans son absence intolérable, seul le vide conserve sa présence ; non plus comme vide, mais comme respiration du ciel et du sable ».
« Auschwitz est, dans mes livres, non point uniquement en tant que summum de l’horreur, mais comme faillite de notre culture ».
« L’incertitude de Dieu est pareille au flux et au reflux de la mer. Elle engendre la parole par laquelle l’homme proclame sa certitude ». (Le livre des questions).
Edmond Jabès, manuscrit autographe, Le Livre du partage, BnF, département des Manuscrits
Edmond Jabès, Ca suit son cours, Editions Fata Morgana, 1975, p. 38-39, illustration d’Antoni Tapies© Fondation Antoni Tapies,Barcelone / ADAGP, Paris 2012BnF, Arsenal
Edmond Jabès, Les pieds en l’air, poèmes précédés d’une lettre de Max Jacob, Couverture et illustrations de Mayo – Editions : La Semaine Egyptienne, Le Caire, Alexandrie, 1934BnF, département des Manuscrits
Edmond Jabès, La mémoire et la mainéditions Fata Morgana, 1987
double page avec un dessin d’Eduardo Chillida à droite© Zabalaga -Leku, ADAGP, Paris 2012BnF, département des Manuscrits
Edmond Jabès, manuscrit autographe : Le Livre des Questions, Le Retour au livre, vol 2BnF, département des Manuscrits
Edmond Jabès, dessin Le Livre du partage, BnF, département des Manuscrits
Edmond Jabès, manuscrit autographe, Le Livre du partage, BnF, département des Manuscrits
Edmond Jabès, Les Mots tracent, Paris, Librairie Les pas perdus, 1951 Couverture de Max Ernst, Collection « L’Âge d’or » dirigée par Henri Parisot© ADAGP, 2012BnF, Département des Manuscrits
Robert Groborne. Une Lecture du Livre des Ressemblances d’Edmond Jabès, notes manuscrites1984, éditions Aencrages and co. © ADAGP, 2012BnF, Arsenal
Edmond Jabès, manuscrit autographe du Livre des Questions IBnF, département des Manuscrits
http://www.veroniquechemla.info/2012/06/edmond-jabes-lexil-en-partage.html
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