Le Billet de Maxime Tandonnet. « Urgence sanitaire: où étaient nos représentants? »

Selon l’article 34 de la Constitution de 1958, « la loi fixe les règles concernant […] les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. » La protection de la liberté et l’encadrement de son exercice est ainsi la première des missions du Parlement. D’ailleurs depuis l’Acte d’Habeas corpus de 1675 la protection des libertés est bel et bien la vocation centrale de tout Parlement dans une démocratie libérale.

Le prolongement de « la période transitoire de sortie d’état d’urgence sanitaire » dont (l’échéance dont l’échéance est prévue au 15 novembre 2021), sollicité par le gouvernement jusqu’au 31 juillet 2022 soulève de nombreuses interrogations au regard de ces principes. De fait, le régime de « sortie d’état d’urgence » ressemble à celui de l’état d’urgence en soi et ses conséquences sont significatives en termes de libertés publiques. Il donne la possibilité à gouvernement de restreindre les libertés en dehors du cadre parlementaire.

Le pouvoir exécutif peut ainsi limiter les déplacements, les possibilités d’utilisation des transports collectifs et les interdire dans les territoires où le virus circulerait activement ; restreindre l’ouverture des établissements recevant du public (commerces, cafés, restaurants, théâtres, cinémas…) ou des lieux de réunion ainsi que leur accès (mesures barrières, jauge de personnes…) voire les fermer provisoirement ; interdire ou encadrer les rassemblements, les réunions et les manifestations. Durant cette période, le passe sanitaire peut être imposé aux voyageurs et pour accéder à des lieux ou événements accueillant du public pour des activités culturelles, sportives ou de loisirs ou des foires ou salons professionnels.

De fait, ce choix traduit une banalisation ou normalisation d’un état d’urgence sanitaire (ou équivalent) qui aura été en vigueur pendant presque deux années. Dès lors que son usage est ainsi normalisé et s’inscrit dans une logique de long terme, il sort de la définition d’un pouvoir d’exception.

Or, le covid 19 ne se présente plus en France ou ailleurs en Europe comme une menace de provoquer une hécatombe. Il constitue une part dérisoire des 1400 à 1900 décès quotidiens en France. En ce moment, le tabac et l’alcool tuent environ dix fois plus (344 morts/jour). La population est au quatre-cinquième vaccinées de même que la quasi-totalité des personnes à risques. Dès lors que le vaccin constitue une protection efficace, conformément au discours officiel, ni la France ni l’Europe ne sont désormais confrontées à la menace d’une nouvelle épidémie dévastatrice. Le covid ne disparaîtra sans doute jamais complétement et il faudra s’habituer à vivre avec lui comme une maladie saisonnière. Le prolongement indéfini de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire, sa banalisation en dehors d’une menace d’hécatombe, est donc un choix crucial sur le plan de la conception française des libertés publiques.

Dans ce contexte, face à une situation qui met en jeu l’essence même et la raison d’être de la démocratie libérale ou parlementaire – l’absentéisme parlementaire est particulièrement incompréhensible. Que seuls 261 députés sur 577 aient voté le prolongement du régime de « sortie de l’état d’urgence sanitaire » constitue une authentique anomalie au regrd des principes de la démocratie. Ainsi, le taux de participation à ce vote tellement emblématique et stratégique pour le Parlement n’a pas dépassé les 45%… Les parlementaires, qui sont élus et rémunérés pour voter les lois s’abstiennent ainsi à 55% au sujet d’une loi qui, de fait, touche à l’essence même de leur mission. Et après, les mêmes s’indigneront du même taux d’abstention des électeurs aux scrutins locaux ou nationaux…

Cet effacement du pouvoir législatif sur un sujet qui concerne les libertés publiques pose la question de l’avenir de la démocratie française. La Constitution de 1958 dispose que le peuple exerce la souveraineté par ses représentants et par la voie du référendum. Ce dernier est aboli de fait depuis la victoire du non au référendum constitutionnel de 2005. La souveraineté parlementaire est désormais largement vidée de sa substance. Il reste l’élection présidentielle tous les cinq ans, dont nous savons surtout depuis 2017, que ses résultats sont largement influencés par le matraquage médiatique ou sondagier et le jeu des scandales. Peu importent les mots qui sont utilisés pour qualifier cette évolution et prêtent au reproche d’exagération : « soft totalitarisme », « dictature ou autoritarisme sanitaire »… On peut en débattre à l’infini. Ce qui est certain, c’est qu’un tournant décisif est en train de se produire dans la conception française de la liberté et de la démocratie libérale. Le régime politique français est entré dans une autre logique qui certes, n’a pas encore de nom.

© Maxime Tandonnet

https://www.lefigaro.fr/vox/politique/ou-etaient-nos-representants-lors-du-vote-crucial-sur-le-prolongement-de-l-urgence-sanitaire-20211022

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2 Comments

  1. La démocratie, la VRAIE, la parfaite, l’idéale : c’est simple.
    Vu que les citoyens ne sont pas des clones il n’en existe pas deux qui soient d’accord sur tout.
    DONC que chaque citoyen fonde son propre parti politique et vote pour lui-même.
    C’est l’égalité absolue des droits et des libertés.

    ET l’ingouvernabilité totale ; donc le chaos illimité. La nature ayant horreur du vide cela donne lieu, à chaque fois, à la tyrannie ; en passant souvent par la guerre civile.

    D’où TOUS les systèmes de gouvernance, divers et variés, qui peuvent se réclamer de la démocratie.
    TOUS ont pour finalité de déplacer le curseur pour s’éloigner de la perfection ; car qui veut faire l’ange fait la bête.
    MAIS où va-t-on avec le curseur et où s’arrête-t-on ?

    Divers réponses existent ; DONT le système français actuel. AUCUN n’est parfait.
    Le système français dit « cinquième République », merci CDG, résulte surtout de l’expérience de la quatrième République qui donnait le vrai pouvoir au parlement (régime des partis, disait-on ; ou « la chambre introuvable ») ; ingouvernable, la France changeait de tête tous les six mois.

    L’auteur, espérant plus de pouvoir au parlement, semble vouloir se rapprocher de ça. Pas moi.

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