Charly Perez. Le Coiffeur

Ce matin je me suis promené dans les rues de Tunis. J’avais oublié de me raser. J’ai vu un sèche-linge dehors : cela signifie qu’il y a un coiffeur à proximité !

Je rentre. Il m’accueille avec un sourire extraordinaire. Il y a des clients qui attendent mais Lui me donne la préférence.

Me voilà assis dans un très gros fauteuil.

Que fait-on ? me dit-il.

Je lui réponds: Ravalement total !!!!

Il m’a compris. Il déploie une vieille serviette autour de mon cou, me dépose une pincée de savon à barbe sur le visage, prend un blaireau et commence à m’étaler tout ça sur la peau.

Je ressemble au Père Noël. A un monsieur vieux de 2000 ans.

Je le regarde faire : il aiguise à plusieurs reprises son rasoir sur une lanière de cuir afin de bien l’affûter.

J’aime ce bruit.

De ses deux doigts, il détend la peau et me rase.

Il me pince le bout du nez en s’appliquant pour mieux travailler.

Il fait ça deux fois suite : je saigne. Il prend une pierre ponce et cicatrise tout ça.

Il me relève la tête. Rase ma gorge. Détend la pomme d’Adam.

J’entends la radio qui diffuse des versets du Coran. J’entends plusieurs fois Allah Akbar.

J’ai confiance en lui : il sait ma judéité.

 Il m’asperge d’eau de Cologne. Ça pique.

Il change de serviette. Me plonge la tête dans un vieux lavabo. Me demande si l’eau n’est pas trop chaude. Il me shampouine à deux reprises. Me relève la tête brusquement.  Sèche le tout. Il commence à me raser le crâne. Taille mes sourcils. S’en prend aux poils du nez et des oreilles. Vérifie mes cils.

Il prend une pincée de Pento qu’il m’étale sur la tête sans ménagement. M’asperge d’ eau de Cologne et masse mon cerveau pollué. Je suis en train de renaître. Un oiseau gazouille et crie son amour de la Vie…

Il a fini son ouvrage. Me souhaite 1000 bonheurs. Me fait 1000 bénédictions. Mes oreilles adorent.

Il me demande 10 dinars. Je lui en donnerai bien davantage.

Il passe une grosse brosse pour débarrasser ma veste des derniers cheveux.

Il me dit Nar deglas nar jasmin Reviens me voir. La prochaine fois je ne te ferai pas payer tellement tu me rappelles mes anciens clients juifs qui me manquent tant!! Mais où êtes-vous ?? Pourquoi vous êtes partis ??

Et moi je lui ai répondu : On ne nous a pas demandé de rester…

Voilà…

J’ai décidé d’aller faire cirer mes chaussures mais ça c’est une autre histoire !!!

Oui j’aime le luxe, les Palaces, Que l’on s’occupe du moi avec attention. J’aime qu’on me dise des mots magiques. J’aime le regard des jolies filles. Et je vous pose la question : Qui n’aime pas ça?? 

Je suis impeccable. Je me sens beau. Je suis beau !!!

J’ai mis mon borsalino et pris ma canne : Je ressemble à mon père. Je suis mon père !!! Je le ressuscite. Rêve de tous les enfants.

Nul besoin de faire un dessin : je suis trop heureux en Tunisie. Shabbat Shalom

© Charly Perez

Charly Perez a la nostalgie de sa vie en Tunisie, marquée par une coexistence pacifique et une tolérance qu’il dit ne pas retrouver à Netanya: “A l’époque, on célébrait Hanouka et on attendait L’Aïd puis Noël. Je prenais plaisir à me mêler, à La Goulette, à la foule pour prendre part à la procession de la Madone de Trapani, festivité qui réunissait Chrétiens, Juifs et Musulmans chaque 15 août. Je n’ai pas non plus retrouvé en Israël les rabbins humbles de ma Tunisie. Les religieux en Israël ont trop de pouvoir…”

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