Né à Bruxelles, Richard Kenigsman passe une licence en sciences commerciales et financières tout en cultivant sa fibre artistique dans les académies de peinture et de musique (violon). Fondateur d’un laboratoire pharmaceutique, il s’affirme au fil du temps en tant qu’artiste à part entière. Peintre, sculpteur, dessinateur, il a revisité, avec humour, la question de l’identité juive et des traces de mémoire qui s’y rattachent. Exposé aux quatre coins du monde, il vit et travaille à Bruxelles.
DEFINITION : Quelle serait votre définition de la culture juive ?
Je dirais que définir, c’est finir, c’est donc mettre des limites. Et il n’y en a pas. Je ne suis pas à même de faire des définitions, ni sur le judaïsme ni sur qui est Juif ni sur ce qu’est la culture juive… Y a-t-il une culture juive ? Je n’en sais rien.
A titre d’exemple, je me suis occupé, un temps, du Musée juif de Belgique et la question rédhibitoire était toujours la même : « un hippopotame peint par un peintre juif a-t-il sa place dans les collections du musée ou une synagogue peinte par un peintre non-Juif a-t-elle sa place dans le musée ? » On est au cœur de la question !
Définir la culture juive relève, pour moi, de la théorie, par contre l’expression de cette culture à travers des objets ou une œuvre d’art – livre, tableau, musique – au cas par cas, fait sens.
RESSENTI : Comment définiriez-vous votre culture juive ? Comment la vivez-vous ?
La première partie de ma production artistique était judéo-centrée. Je tournais en dérision les clichés, religieux ou profanes, et exposais dans les musées (Bruxelles, Paris, New York) et espaces juifs. Aujourd’hui, je pense avoir exprimé, tel un citron, toutes les gouttes de cette inspiration dans mes créations. En peinture, j’explore aujourd’hui l’abstraction.
La peinture abstraite serait-elle juive ?
Serais-je en train de devenir de plus en plus artiste et de moins en moins juif ?
En fin de compte, les artistes juifs, même les plus célèbres, comme Chagall, touchent à l’universel : en parlant de leur village, ne parlent-t-ils pas du monde entier et de l’humanité entière ?
C’est quoi être juif, par Richard Kenigsman
MUSIQUE : Quels sont vos musiciens juifs « de prédilection » ? !
La musique étant universelle, je ne la pense jamais en juive et non-juive. Mais voyons ce répertoire. Mon enfance a été bercée de MUSIQUE YIDDISH ET LITURGIQUE. Ensuite, j’ai été vers des thèmes empreints de « sensibilité juive », d’artistes, juifs et non-juifs, qui avaient le talent de faire vibrer cette sensitivité avec des tonalités en mineures. Je me suis ensuite émancipé au contact d’autres types de musique. Les airs manouches et tziganes me touchent beaucoup, j’adore les jouer au violon, un instrument que mon père pratiquait également.
Pour l’anecdote, enfant, adolescent, je pensais qu’on ne pouvait bien jouer du violon que si on était David OÏSTRAKH, Yehudi MENUHIN ou Jascha HEIFETZ, qui étaient tous juifs. Ma théorie a bien évolué et on peut constater que les grands interprètes d’aujourd’hui sont plutôt Coréens ou Japonais.
Et donc, comme ce que j’évoquais pour la question du musée juif : des compositeurs non-juifs ont créé des thèmes juifs – c’est le cas, par exemple, de Max BRUCH, Maurice RAVEL, Igor STRAVINSKY – quand d’autres compositeurs juifs, comme George GERSHWIN qui a composé un opéra jazz, ne s’expriment pas au nom du judaïsme…
LITTERATURE : Quels auteurs, quels livres, vous ont-ils touché ?
Je pense aux auteurs « classiques » qu’on lisait quand on était ado : Isaac BASHEVIS SINGER, Chaïm POTOK. Quand un auteur juif était publié, on se jetait dessus! Tout ce qui était en rapport avec le shtetel, évidemment, m’a touché. J’ai aussi approché les textes talmudiques ou philosophiques, aux commentaires passionnants.
Je citerai aussi Un monde disparu de Stefan ZWEIG, le poète AGNON, inoubliable, l’œuvre de Philip ROTH, Si c’est un homme de Primo LEVI. Mes parents ayant souffert de la Shoah, j’ai lu beaucoup d’ouvrages à ce sujet dont des témoignages sur les pogroms en Russie, aussi.
Je (re)lis actuellement :
Samuel BECKETT : l’extraordinaire Malon meurt n’est pas sans évoquer le judaïsme ;
François JULLIEN : La joie est plus profonde que la tristesse et d’autres essais. Le philosophe se tourne vers la culture chinoise ;
Clément ROSSET : ses entretiens autour du thème de la joie me renvoient, bien entendu, à Baruch SPINOZA !
Peut-être pourra-t-on dire que je prends les thèmes juifs par tous les bouts tout en me détournant de plus en plus d’un certain judéo-centrisme. Serait-ce une façon d’être juif, en ne voulant pas absolument vibrer avec tout ce qui est juif…
ARTS PLASTIQUES : Un peintre, sculpteur, artiste, œuvre juive…
Au niveau pictural, mes préférences ne sont pas particulièrement juives : j’aime Bonnard, Matisse, Rembrandt, Giacometti, Picasso, Bacon ou Mark ROTHKO… qui est juif mais qui ne peint pas au nom du judaïsme. Il a fait partie du Color Field painting movement, mouvement qui a consisté à dégager la couleur de l’objet, à se libérer de la représentation, évoluant vers la peinture abstraite. Le seul sujet, c’est la peinture elle-même. J’ai écrit un texte là-dessus, disant que ma peinture « a le dernier mot », telle l’interprétation, jamais figée, d’un texte. Et cette pensée me plaît parce qu’elle rejoint la pensée juive qui ne s’épuise jamais à commenter, à indéfiniment dégager du sens d’un texte comme devant une peinture de Rothko. Je ressens le même émoi devant ses toiles qu’emporté dans une œuvre musicale : l’émotion est immédiate, sans médiation d’histoire, d’anecdote, de représentation ni de réflexion : c’est juste la couleur en tant que telle, des notes de couleur, la couleur d’une note…
7EME ART : Quels films, réalisateurs, documentaires, vous reviennent-il en mémoire ?
Je pense aux films :
LE GOLEM (1920) de Paul Wegener et Carl Boese,
THE JAZZ SINGER (1927) d’Alan Crosland avec Al Jolson,
YIDDLE MIT’N FIDDLE (1937) – une comédie musicale yiddish de Joseph Green et Jan Nowina-Przybylski, réalisée aux Etats-Unis, avec l’actrice Molly Picon;
YENTL (1983) de Barbra Streisand,
SHOAH (1985), incontournable, dans un autre genre, de Clause LANZMANN,
et puis il y a aussi quelques programmes actuellement sur Netflix : Les formidables SHTISEL, UNORTHODOX ou L’UN DES NOTRES. Tout cela est un peu à la mode, me semble-t-il, mais je ne boude pas mon plaisir.
PENSEE JUIVE : Etes-vous proche de la/d’une pensée juive /d’un philosophe ?
Je pense au Livre des Questions d’Edmond JABES. Créateur d’aphorismes juifs, l’auteur invente des dialogues talmudiques. Son univers est aussi inventif que poétique. Je peux être touché par les aphorismes de Nietzsche mais ceux de Jabès poète sont particulièrement inépuisables. J’ai eu l’occasion, par deux fois, d’illustrer un poète, écrivain et philosophe belge Jacques Sojcher, livres publiés aux éditions Fata Morgana (Trente-huit variations sur le mot juif et Eros errant).
Et puis ma femme étant psychanalyste, je ne peux pas oublier Sigmund FREUD !
Sinon, je suis les émissions de Marc-Alain OUAKNINE ; le psychanalyste Daniel SIBONY et le rabbin Delphine HORVILLEUR sont des amis. Il est fascinant d’écouter les commentaires des personnes qui puisent des perles, riches de nouvelles réflexions, dans les textes, tradition et pensée – juives ici, en l’occurrence.
SOUVENIR : Pourriez-vous nous confier un moment de partage et de joie de culture juive ?
Il s’agit de l’adoption de notre fils Jonah et de sa conversion qui s’en est suivie. Après avoir accompli toutes les démarches ardues pour adopter notre enfant, nous avons eu à cœur, mon épouse et moi, de l’amener au judaïsme, selon la ritualité.
La conversion « guiour », c’est la présentation par le père de son enfant devant la communauté juive. Ce fut un événement majeur dans ma vie, dans la vie de mon couple, un rite de passage aussi important que ma bar-mitsvah ou mon mariage.
Le judaïsme religieux, halachique, a joué le rôle légal faisant en sorte que l’enfant, en étant présenté au « yishouv » a été adopté au sein du judaïsme. Cette valeur-là a été actée au sein de la synagogue orthodoxe. Le judaïsme de notre enfant relève du « triple AAA » comme disent mes amis financiers. J’y tenais et ce fut une aventure extraordinaire.
Découvrez ou retrouvez les œuvres de Richard Kenigsman ici
A.K.
En savoir plus:
https://www.tribunejuive.info/2020/05/18/richard-kenigsman-lorsquun-artiste-deconfine-et-ote-son-masque/
http://www.borislehman.be/soupage/retouchesetrep.html
Ce n’est pas un article de Tribune Juive, c’est un article de JMAG, le webzine de la Maison de la Culture Juive. « Jud1icausette » est un concept de JMAG! Pourquoi n’est ce pas indiqué !
TJ, comme toujours, indique le lien et les sources précises. Mieux: le logo de la Maison de la Culture juive a été cherché et publié.
Merci!
Madame, Monsieur,
Vous avez édité sur « Tribune Juive » un article qui est notre propriété intellectuelle (de la Maison de la Culture Juive asbl): « Judaicausette avec Richard Kenigsman ». Nous sommes honoré que nos parutions vous plaisent hélas elle ne peuvent être réutilisées sans renvoi à notre site et à sa source. A savoir :https://maisondelaculturejuive.be/pensee-juive/judaicausette-avec-richard-kenigsman/
Je vous remercie de corriger au plus vite
Bonjour: Voulez-vous regarder de près avant de venir pour la 2e fois vous plaindre, car avant même que vous ne réagissiez, vous étiez, dès première publication, mentionné. Comme « toujours nous faisons ». Je me suis même donné le mal d’insérer votre logo, cherché et trouvé par mes soins. Ainsi, je vous propose de retirer votre « bien ». Je ne l’ai pas encore fait car Richard Kenigsman est non seulement un ami personnel de longue date, mais encore un contributeur de notre journal, auquel il a toujours offert ses originaux. Je ne compte donc rien ajouter de plus à l’insertion. Je vais vous remplacer par un texte offert par Richard sur « L’Adoptant Adopté ». Salutations. Sarah Cattan pour Tribune juive