Ypsilantis. Le carnet bleu, été 2015 ( Île d’Yeu, Belle-Île, Ouessant ) – 2/7

2 juillet. Marche dans la brume, une brume tiède, humide, finement distillée. Je pense une fois encore au Vietnam, à Hué. La batterie de la Grande Conche est menacée par l’océan et ses propriétaires ont planté dans le sable d’énormes poteaux en bois destinés à retarder l’action du ressac. Enfant, je jouais dans cette construction du XIXe siècle aujourd’hui confortablement aménagée. On peut y lire l’influence de l’artillerie rayée sur la conception des profils des banquettes de tir. L’entrée est protégée par un pont-levis à contrepoids. La terrasse est munie d’un parapet crénelé avec bretèches qui donnent à l’ensemble un aspect pseudo-médiéval. Le fort de Sarah Bernhardt à Belle-Île-en-Mer a été construit sur ce modèle.

Commencé la lecture de « Combat secret pour Israël » du colonel Benjamin Kagan. Dans sa belle préface, Jean Lartéguy écrit : « Car pour un certain nombre d’hommes dont nous sommes, Israël ne peut pas disparaître, ou alors nous n’aurions plus jamais d’espoir et nous devrions nous résigner à vivre pour toujours dans un monde clos, déterminé par les facteurs les plus humiliants de l’Histoire, dont celui du nombre ». Ces considérations expriment très précisément l’une des raisons de mon sionisme, soit le refus de la loi du nombre, de la pesanteur de la masse. Ces considérations sur Israël sont belles entre toutes et elles sont d’un non-juif.

Jean Lartéguy (1920-2011), l’anti-démagogue, l’anticonformiste, l’homme d’honneur

Un fait peu connu : alors que les attentats contre la puissance mandataire se multiplient, un navire chargé de huit cents immigrants juifs à destination de la Palestine heurte un récif et coule au large de la Syrie. Tous les passagers parviennent à gagner l’île la plus proche et se trouvent dans un pressant besoin de vivres et de médicaments. La RAF répond aussitôt à leur appel et prépare trois avions chargés de les approvisionner. En dépit de mauvaises conditions météorologiques, les équipages décollent et finissent par repérer l’île perdue au milieu des récifs. Ils parachutent six tonnes de marchandises. Trois jours plus tard, un navire de la Royal Navy vient recueillir les rescapés pour les diriger vers… Chypre. Je rapporte cet épisode parce qu’il me confirme dans une impression. La politique anglaise en Palestine ne fut pas dictée par l’antisémitisme mais par de froids calculs ou, plus exactement, elle fut plus dictée par de froids calculs que par l’antisémitisme. L’entente avec les Arabes pesait d’un autre poids, considérant leur nombre et l’immensité de leurs territoires par ailleurs riches en pétrole, un produit stratégique entre tous sans lequel les avions ne volent pas, les navires ne naviguent pas, les tanks ne roulent pas… Il faut suivre pas à pas les tergiversations d’Ernest Bevin.

Étudier la vie de Max Welzer. Ivan Levaï évoque cette haute figure de la Résistance dans « Israël, mon amour ».

613 commandements dont 365 positifs et 248 négatifs (selon Rabbi Simlaï).

Je regrette cette France des gouvernements Pierre Mendès-France et Guy Mollet, amis d’Israël. Je regrette ces Français qui ont soutenu Israël de tout leur cœur, à commencer par le général Pierre Koenig et le ministre de la Défense, Maurice Bourgès-Manoury, des « interlocuteurs chaleureux et compréhensifs » ainsi que les décrit le jeune Shimon Peres.

Albert Camus avait prévu ce lâche soulagement qui accompagnerait la création de l’État d’Israël. Le premier venu pourrait se laver de son antisémitisme sans jamais cesser d’avoir son nez sur Israël, sans jamais cesser de s’adonner au sous-entendu voire à l’injure. En France, la gauche-gauche s’est empressée d’accuser la France d’aider Israël tout en combattant le FLN en Algérie. Et un petit mécanisme mental aussi rudimentaire qu’efficace commença à se mettre en mouvement…

Ariel Sharon bête noire des pacifistes, ces benêts volontiers ignorants (leur morale de pacotille) et toujours soucieux de prendre la pose. Il faut étudier la vie de ce grand soldat et homme d’État avant de le juger selon des critères préfabriqués généreusement mis à la disposition des masses par les mass-médias. Plus je l’étudie, plus je le respecte, plus je me sens seul, ce qui me convient : le genre pote me révulse.

Anouar al-Sadate à l’Assemblée nationale égyptienne, le 9 novembre 1977. Anouar al-Sadate, un grand arabe assassiné par l’ochlocratie.

Simone Signoret tatouée 17329 pour les besoins du film de Moshe Misrahi, « La Vie devant soi », s’efforce de garder aussi longtemps que possible sa « décoration » — pour reprendre son expression.

Ivan Levaï : « En réalité, la diplomatie française a viré à cent quatre-vingts degrés, entre le moment où Guy Mollet, à l’automne 1956, pressait Israël de s’associer à l’opération franco-anglaise sur le canal de Suez, et l’arrivée des gaullistes au pouvoir. Pour une bonne raison : si Paris avait obtenu l’aide d’Israël contre Nasser, c’était en contrepartie de la promesse d’associer les savants israéliens aux chercheurs français travaillant à la bombe A. Guy Mollet ainsi que Pierre Mendès-France et Maurice Bourgès-Manoury y avaient consenti ». Cette coopération entre les deux pays se poursuivra jusqu’à ce que le général de Gaulle l’apprenne, deux ans plus tard, lors de son retour au pouvoir.

Morvan Lebesque le presque oublié (1911-1970)

Morvan Lebesque cité par Ivan Levaï : « Je suis sioniste parce que je souhaite que le peuple juif soit à jamais libéré de ces deux sentiments qu’on lui porte tour à tour, et qui sont généralement avilissants : la haine et la pitié. Avilissants pour celui qui les donne. Et avilissants pour celui qui les reçoit. Ni « mort aux Juifs » ni « ces pauvres Juifs ». Je suis sioniste parce que le sionisme est nécessaire à l’équilibre du monde. »

3 juillet. Vingt-cinquième anniversaire de la mort de ma mère. Malgré sa longue et terrible agonie, je n’ai jamais cru à sa mort : sa mort ne cessa de se présenter à moi comme une impossibilité, tout simplement. Lorsque j’ai compris qu’elle était morte, elle m’est apparue plus vivante, avec ses traits reposés. J’ai vécu cette période comme protégé par une force qui émanait probablement d’elle. Et dois-je taire ce trait de caractère qui me présente volontiers la présence comme absence et l’absence comme présence ?

Ma sympathie a priori pour les philosophes empiristes anglais. Deux traits les caractérisent : au niveau du savoir, c’est l’expérience sensible qu’ils jugent fondamentale ; au niveau de l’éthique, ils s’intéressent avant tout à la manière dont les hommes organisent leur vie dans la société et l’État. Leur empirisme et leur sens civique sont fortement liés. Contrairement à nombre de penseurs du continent (et pensons en particulier aux Allemands), les penseurs anglais se détournent de la recherche de l’absolu. Ils élaborent une éthique sociale et des vertus civiques en se gardant de se référer à un absolu. L’absolu les inquiète, ils n’y flairent rien de bon. L’absolu s’oppose à l’effort d’adaptation que suppose la vie civile faite de compromis. Rien dans la vie sociale ne doit prétendre à une validité éternelle. Fascinante réflexion de Jeanne Hersch : « On perçoit chez eux (les philosophes empiristes anglais) une préférence pour ce qui est relatif — qui correspond peut-être, étrangement, à un sens profond pour ce qu’implique d’historiquement concret et d’unique tout acte de libre décision. »

Un point d’histoire ou comment mettre les points sur les i. La dénomination « golfe Persique » remonte à l’Antiquité. Elle est employée par Strabon (une source non iranienne donc) et nombre d’auteurs… arabes. La dénomination « golfe Arabique » (Arabian Gulf) est le fait d’un certain sir Charles Belgric, représentant du Royaume-Uni dans la région à partir des années 1930. En 1966, dans un livre consacré à la côte méridionale du golfe Persique, il écrit (et c’est une première) que les Arabes préfèrent nommer cette mer « golfe Arabique ». Avant de revenir en Angleterre, et de publier son livre, l’individu en question contamine les Arabes des Émirats de la côte sud du golfe Persique en leur balançant son idée, une manière d’attiser une rivalité. Emberlificotés avec les Arabes, mais désireux de ménager la chèvre et le choux — pardonnez-moi l’expression —, les Français concoctent « golfe Arabo-Persique ». Bref, j’invite ceux qui me lisent à proscrire l’usage de « golfe Arabique » au profit de « golfe Persique », ce dernier ayant pour lui plus de deux millénaires d’histoire tandis que l’autre a été concocté par un obscur fonctionnaire désireux de créer un contentieux. Guerre des noms aussi avec « Macédoine », depuis la proclamation de la République de Macédoine en 1991. Afin d’éviter son usage, les Grecs disent « Fyrom » (Former Yougoslav Republic of Macedonia) car pour eux le nom « Macédoine » (Μακεδονία) appartient exclusivement à leur patrimoine, comme le soleil rayonnant de Vergina que Skopje finira par modifier sur son drapeau, sous la pression d’un embargo grec.

La version de la Megali Idea ((Μεγάλη Ιδέα) défendue au Traité de Sèvres par Eleftherios Venizelos

L’idée grecque d’enosis (Ένωσις), soit l’union de la Grèce et des communautés grecques dispersées. Voir Chypre et le coup d’État de 1974 fomenté par les colonels. Pour ma part, j’évite résolument de dire « Istanbul », un nom qui manque de prestige ; il n’y a que « Constantinople ». La Megali Idea (Μεγάλη Ιδέα), soit rassembler tous les territoires peuplés de Grecs (territoires alors intégrés à l’Empire ottoman) dans un vaste État-nation, avec Constantinople comme capitale. Cet espoir commença à prendre forme en 1913. A l’issue de la Première Guerre mondiale, les Grecs s’assurèrent le contrôle de Smyrne et son arrière-pays. Leurs troupes menacèrent même Constantinople. Mais en 1922 advint la Grande Catastrophe (Μικρασιατική Καταστροφή).

© Olivier Ypsilantis

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