En header, une vue de Mitzpe Ramon dans le Néguev où Bernard Chouraqui développe son projet de Seconde Alliance.
A Bernard Chouraqui, en souvenir d’une belle rencontre au cours de laquelle nous avons parlé de mille choses mais surtout du rôle central et rédempteur d’Israël, ainsi que de la Seconde Alliance.
Les Éditions de La Différence présentent ainsi le livre de Bernard Chouraqui : « La « civilisation » entière repose sur un immense mensonge collectif ; il consiste, par peur, à nier la liberté illimitée de chacun qui, si elle était exercée, mettrait fin à jamais au règne de l’injustice, de la matière et de la mort. Nous mourons parce que nous sommes des lâches et la mort, de ce point de vue, est une symbolisation objectivante de la lâcheté. Dès lors, il devient possible, en triomphant de la peur, de combattre la mort et de retrouver les illuminations du monde sans mort. Enfin réédité, « Le Scandale juif » ouvre une voie : il s’adresse aux Juifs qu’il interpelle en leur demandant de découvrir en eux-mêmes le monde sans mort, présent dans chaque cœur humain et qui, en se révélant aux prophètes d’Israël, a constitué la judéité ; mais ce livre s’adresse surtout aux non-Juifs qui, aujourd’hui, doivent eux aussi entrer dans cet autre lieu de l’être et de l’histoire, rejoignant ainsi la judéité dans le monde-sans-mort. Ainsi se pose le thème de la Seconde Alliance où tous les peuples pénétreront dans le lieu unique de l’humanité entière, où la rédemption cosmique se produira, où Israël et son Dieu les attendent ».
Ci-joint, trois liens. Le premier publié par Mediapart (je précise en passant que je n’ai pas la moindre sympathie — euphémisme — pour ce site et son fondateur Edwy Plenel) s’intitule « Entretien avec le philosophe Bernard Chouraqui : la pensée de l’Inouï » :
Sur cette vidéo Bernard Chouraqui nous expose son concept que sous-tend une intuition prophétique : la pensée de l’Inouï :
Et sur cette autre vidéo Bernard Chouraqui nous livre un constat effrayant sur le monde d’aujourd’hui, constat qui innerve et stimule l’élan prophétique :
Je rends ici compte d’un livre qui m’a été offert et dédicacé par Bernard Chouraqui, chez lui, à Paris. C’est le premier de ses livres, un long essai édité en 1979, dédié à ses parents et à Barbara Weill : « Le scandale juif ou la subversion de la mort ». Le deuxième de ses livres (que je viens de recevoir par courrier) s’intitule « Qui est goy ? Au-delà de la différence ». J’en rendrai également compte dans les mois qui viennent.
« Le scandale juif ou la subversion de la mort » se divise en deux parties : « Vers la Seconde Alliance » et « Histoire de pomme ».
Je me suis attaché dans cet article en deux parties aux pages rassemblées sous de titre de cette première partie qui donne son titre à l’ensemble du livre. La seconde partie fourmille de réflexions en constant foisonnement : don Quichotte, Léon Chestov, Nicolas Berdiaev, Benjamin Fondane, Thomas d’Aquin, Franz Kafka, Dostoïevski, etc., sont quelques-uns de ses interlocuteurs.
Juif pied-noir, Bernard Chouraqui ouvre son livre sur une évocation derrière laquelle se profile Albert Camus, celui de « Noces » et de « L’été ». Il s’interroge sur les rapports entre « pieds-noirs » et Arabes ; il s’interroge sur l’absence d’interrogation, sur l’indifférence de ces « pieds-noirs » envers les Arabes tout en déclarant : « Il est vrai aussi qu’ici, comme l’a écrit superbement Camus, le soleil tue les questions ». Ayant vécu de nombreuses années face à la Méditerranée, j’éprouve très intensément cette réflexion de Bernard Chouraqui, ces pages d’Albert Camus — et, à ce propos, on ne peut oublier ce qu’écrit Jean Grenier.
Les Juifs s’assimilaient peu à peu depuis ce jour où ils avaient reçu la nationalité française grâce au décret Crémieux, le 24 octobre 1870. Depuis ce jour, « le judaïsme tendait à devenir pour eux une religion et une culture et non plus ce qu’il avait toujours été pour leurs arrière-grands-parents : une position de rupture d’avec tous les peuples et un refus radical de toutes les cultures ». Les Juifs vont donc se trouver dans une situation d’ambivalence vis-à-vis des Arabes mais aussi d’eux-mêmes. Par contre, ils deviennent de bons français, de vrais français. Exit le Dieu du Sinaï pour l’humanisme occidental athée et permissif. Comme tant d’autres Juifs séfarades de sa génération, Bernard Chouraqui débarque en France en 1962, dans « une ambivalence foncière, pris entre une sensibilité occidentalisée et un judaïsme communautaire ayant évacué sa transcendance. »
Bernard Chouraqui arrive à Paris, ville magnifique mais cruelle pour l’homme qui a vécu dans la lumière de la Méditerranée. Cette grande ville lui fait éprouver la « mort de Dieu », le nihilisme occidental. L’assimilation commencée en Algérie puis le processus d’acculturation provoqué par son arrivée en France attaquent et réduisent considérablement son monde intérieur, ce qui le conduit, dit-il, aux portes de la folie. Dans l’espoir d’y échapper, lui qui n’a presque jamais lu se met alors à lire, à dévorer les livres, ceux des philosophes modernes surtout. Mais ce faisant, il creuse l’angoisse tout en étant de plus en plus convaincu que cette angoisse est la marque même de la liberté. Il fait sienne — et en quelque sorte à son insu — la conception occidentale de l’Être. Pourtant, assez vite, il éprouve des doutes sur l’Être logique des philosophes et sur l’honnêteté de leurs certitudes. Il prend alors ses distances vis-à-vis d’une certaine conception occidentale de l’homme envisagé comme être-pour-la-mort (qu’évoque Martin Heidegger) et il pose cette question : « Si l’homme culturel est un être-pour-la-mort, n’y aurait-il pas plus profondément, au-delà de la culture, un être a-culturel et complètement existentiel qui échapperait à tous les impératifs de l’Être logique, simplement parce que celui-ci, création culturelle, ne serait peut-être que figure ? »
Les questions viennent en rafales : Et si l’angoisse n’était pas expérimentation — et marque — de la liberté mais de la servitude ? Et l’inhumanité de la pensée logique ne ferait-elle pas d’elle un mensonge ? Où aller alors ? Comment échapper à ces énormes mécanismes, à ces machines à broyer ? Comment sauter le mur et retrouver la liberté ?
Bernard Chouraqui prend conscience du nihilisme, aboutissement de la culture de l’Occidental, de ses valeurs et de ses croyances englouties dans le raz-de-marée de la modernité, nihilisme dont ce dernier ne peut se détacher puisqu’il procède de sa propre culture… Et insistons : le nihilisme n’est pas dans ce cas l’impossibilité absolue de l’homme, mais la phase terminale de sa propre culture, d’où les accommodements multiples avec le pire. Ce nihilisme est plus terrible encore pour celui qui vient d’ailleurs, le non-Occidental. Si l’Occidental peut s’inscrire dans ce non-lieu qu’est le nihilisme (puisqu’il procède de sa propre culture, redisons-le), le Juif séfarade ne le peut car il est originaire d’une autre culture. Impossible donc pour lui de s’accommoder du non-lieu. Il lui faut sortir du nihilisme et se porter au-delà des représentations logiques, sauter comme un trapéziste, crever l’écran pour arriver pieds joints dans le lieu caché de la réalité — une réalité accessible à tous —, sa véritable patrie, un lieu où vivre pleinement dans la joie et l’amitié.
Il pressent que les barreaux placés par les philosophes et les savants l’ont été avec la complicité passive des malheureux. Son rejet du vieux monde et de ses savants logiciens ne tarde à se formuler. Fuir la réalité-logique (soit la négation-d’homme) pour le lieu a-logique et merveilleux. Fuir l’ensorcellement. Cette lente préparation portée par l’intuition aboutit à une implosion. Balayé l’Être logique des savants et des philosophes pour la rencontre joyeuse avec des êtres particuliers, avec la liberté individuelle !
Mais l’injustice n’en est pas moins ici et là, partout. Comment comprendre la mort ? Par la liberté, une fois encore, la liberté qui enjambe la mort, le malheur et l’injustice et qui rend chaque individu indestructible. C’est du lieu de la liberté première qu’il faut interroger la mort et, ainsi, inverser son pouvoir qui semble tout-puissant en commençant par poser ce postulat : Étant donné que « je » suis immortel, de même que tous les êtres, pourquoi mourons-nous ? Et pourquoi mourons-nous alors que nous sommes immortels, immergés dans la réalité parfaite ? Car ce lieu de la réalité parfaite est aussi le seul lieu où la liberté peut se perdre, une perte qui prend forme dans la mort, symbole et objectivation de cette perte, d’une limite que nous expérimentons en l’envisageant comme inéluctable, d’où la puissance dominatrice de cette croyance qui incite l’homme à opposer à une réalité qu’il juge incontournable l’appareil des religions, des mythes, des mystiques, des vérités, des lois, des sagesses, des certitudes…
La mort comme perte humaine de la liberté, la mort comme produit de la peur, la mort produite par nous-mêmes en opposition à la Légèreté originelle, seule réalité face au fantasme de la mort et de la peur et de leurs constructions, autant de forces néfastes venues de nous-mêmes qui croyons en l’inéluctabilité de la mort, qui sommes prisonniers de la logique de notre idolâtrie de la mort. La mort comme construction de la peur, un monde auquel l’homme tente de s’adapter confirmant ainsi et la peur et la mort…
Le péché le plus originel : discriminer entre Adam et Éve, briser l’harmonie entre eux pour les précipiter — et nous précipiter avec eux — dans cette croyance en la matière dont découle l’idée du corps, idée pesante entre toutes. Ainsi, les êtres passèrent de la liberté et de la plénitude à l’asservissement et à la mutilation. La pudeur n’était rien d’autre que la croyance en la matière dont procédait l’idée du corps, une croyance où se fixa l’idée de mort, une « vérité » fatale. Cette croyance structura le conformisme et l’aliénation, dressa l’homme et la femme l’un contre l’autre, et l’enfant eut à subir cette rivalité.
La réalité de la « matière » qui n’était que fantasme se mit à enserrer la vie de l’homme, de la naissance à la mort. La vie toute entière se trouva dominée par la réalité de la « matière », un fantasme. La dualité entre l’être et l’avoir s’instaura et on oublia que l’avoir était le foyer de la mort. Et voulant s’identifier avec l’avoir, l’être se matérialisa et l’histoire de notre vie devint l’histoire de notre mort. La civilisation se cristallisa autour de notre peur et nous fit mortels. Or, c’est par la mort de la peur que nous aurions pu avoir raison de la mort et en revenir à la Légèreté radieuse. La peur, l’inversion de notre statut originel, promotrice d’une contre-réalité mortelle et fantasmatique. La peur comme dichotomie, expulsant l’homme hors de lui-même et du monde pour le précipiter dans l’irréalité ; et l’expulsion de la peur — la mort de la peur — comme retour à l’incorruptibilité, à la Légèreté radieuse et à l’unité, unité en nous-mêmes et avec le monde.
Dieu, non pas le Dieu des savants et des philosophes, « immémoriale canaille qui légalisait la réalité fantasmatique et mortelle », mais Dieu racine de la Création, loin de la pesanteur humaine.
A mesure qu’il s’émancipe, Bernard Chouraqui comprend que ce bien suprême, la liberté (le recentrage dans ce monde-ci, en un lieu où tout est possible), est une conception issue du peuple juif, son peuple, par la voix de ses prophètes. Le particularisme juif ou la mort déterritorialisée, placée au centre de l’histoire, scandaleusement, dans le but d’attirer à lui tous les peuples. Le particularisme juif est bien un universalisme : rupture avec l’histoire mortelle et ouverture à la rédemption par la Thora. Le sacrifice interrompu d’Abraham où la révélation de Dieu comme anti-mort. Le scandale d’Israël annoncé par Isaïe et Ezechiel pour la rédemption du monde. Le Shabbat comme attestation de la valeur suprême de chaque personne, valeur plus précieuse que l’univers entier. Israël, scandale pour les nations : d’où la suspicion particulière dont il est l’objet. Retour à la Liberté première, retour à Israël et ouverture à la Doctrine des Deux Vérités : l’Élection et la Rédemption.
(à suivre)
© Olivier Ypsilantis
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