Je me souviens du capitaine Rupprecht Gerngroẞ et du Freiheitsaktion Bayern (F.A.B.). J’ai découvert leur existence par le livre de l’historien allemand H. G. Dahms, « La Deuxième Guerre mondiale » (« Der Zweite Weltkrieg »).
Je me souviens de l’opération Dynamo (26 mai / 3 juin 1940), soit l’évacuation de près de 340 000 soldats de Dunkerque vers l’Angleterre. Je me souviens de l’opération Hannibal (mi-janvier / mai 1945), autre opération navale avec évacuation vers l’Ouest de plus d’un million de soldats et civils allemands de Courlande, de Prusse-Orientale et du Corridor de Dantzig face à l’avancée soviétique. Je me souviens de l’opération Demon (24-25 avril 1941), soit l’évacuation du corps expéditionnaire britannique de Grèce continentale à partir des ports du Péloponnèse vers la Crète et l’Égypte.
Je me souviens de Ramiro Ledesma Ramos fusillé avec Ramiro de Maeztu à Aravaca, le 29 octobre 1936.
Je me souviens de Bazard et Enfantin. Ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas de personnages de BD, style Basile et Boniface.
Je me souviens que Babeuf tenta de mettre fin à ses jours à coups de poignard devant le tribunal qui l’avait condamné à mort, qu’il se rata et fut traîné mourant vers la guillotine. Je me souviens qu’il fallut s’y reprendre à trois fois pour guillotiner Chalier, et imparfaitement puisque la décollation se termina à la main. L’infirme Couthon, l’un des maîtres d’œuvre de la Terreur, mourut lui aussi guillotiné ; et il fallut un bon quart d’heure pour sangler sur la planche ce corps atrophié qui hurlait de douleur suite aux manipulations auxquelles durent se livrer les commis du bourreau. Je me souviens que la Révolution française est pleine d’histoires dans ce genre, du Grand-Guignol, du grotesque et du sanglant.
Je me souviens de « The Persecution and Assassination of Jean-Paul Marat as Performed by the Inmates of the Asylum of Charenton Under the Direction of the Marquis de Sade » ou, plus simplement, « Marat/Sade » de Peter Brook, une représentation de la Révolution française dont je ne me lasse pas et que j’ai faite mienne pour l’essentiel.
Je me souviens que les Portugais engagés durant la guerre civile d’Espagne aux côtés de Franco s’appelaient les Viriatos, du nom de ce chef lusitanien qui s’opposa aux Romains au deuxième siècle av. J.-C.
Je me souviens du plan Dawes, de Gustav Stresemann et du plan Young. Je me souviens que le plan Young qui obligeait l’Allemagne à verser des réparations très élevées durant cinquante-neuf ans fut dénoncé par Alfred Hugenberg et Adolf Hitler.
Je me souviens que le 13 août 1961…
Je me souviens que c’est au cours de la bataille de Fleurus que fut utilisé pour la première fois un ballon captif destiné à renseigner sur les mouvements de l’ennemi.
Je me souviens que Georges-Alexis Montandon, suisse naturalisé français, fut mêlé à toutes les instances antisémites de la Collaboration. Je me souviens que sa femme et lui furent abattus au cours de l’été 1944 à leur domicile de Clamart, 22 rue Louis Guespin, un petit pavillon en meulière à un étage. Je m’en souviens car un ami auquel je rendais visite habitait quelques numéros plus loin. Aucune plaque ne rappelle le séjour de cet « illustre » hôte et je ne suis même pas certain que les actuels occupants de ce pavillon connaissent l’existence de ce personnage qui fut favorable à la révolution bolchevique, membre du Parti communiste suisse puis antisémite compulsif et hyperactif. Il participa notamment à l’organisation au Palais Berlitz de l’exposition Le Juif et la France. Je me souviens que sa mort reste entourée de mystère. Est-il mort chez lui ou bien en Allemagne, au Karl-Weinrich-Kranhenhaus de Fulda où il aurait été transporté ?
Je me souviens d’avoir « dévoré » la somme en deux volumes, « Histoire de la libération de la France », dans Le Livre de Poche, de Robert Aron. Cette lecture reste inséparable de l’ambiance de la pièce où j’en ai lu l’essentiel, une lumière d’hiver parisien, grise et néanmoins lumineuse. Je revois au centre de cette pièce un guéridon Empire et aux murs des estampes japonaises ainsi qu’une aquarelle d’un artiste de l’École de Barbizon, Auguste Allongé, un sous-bois. Je ne puis penser à ladite somme sans que ne me viennent d’abord les touches lumineuses et foisonnantes de ce sous-bois puis bien d’autres détails pris dans une ambiance particulière. Mais parfois c’est cette ambiance qui me vient d’abord, une tonalité générale, et les détails suivent.
Je me souviens de la charge de la 4th Australian Light Horse Brigade, à Beer-Sheva, le 31 octobre 1917 au soir, la dernière grande charge de cavalerie de l’histoire.
Je me souviens que le 16 juillet 1942, la police française…
Je me souviens du Saefkow–Jacob–Bästlein–Gruppe.
Je me souviens des Trümmerfrauen et des tas de briques réutilisables qu’elles empilaient après les avoir dégagées de montagnes de ruines.
Je me souviens du Supermarine Spitfire et de la beauté de son aile elliptique.
Je me souviens d’Amilcare Cipriani l’Italien et de Jaroslaw Dombrowski le Polonais, deux héros de la Commune, deux héros de la liberté. Je me souviens qu’Amilcare Cipriani s’engagea chez Garibaldi à l’âge de quinze ans puis combattit en Crète et en Grèce contre l’Ottoman avant de revenir en Italie pour combattre l’Autrichien. Je me souviens qu’après s’être engagé dans la légion garibaldienne puis s’être battu aux côtés des Communards, à Paris, il revint en Grèce après un long périple de déportation, de réclusion, d’exil, il y revint pour s’engager dans la guerre de 1897 contre l’Ottoman, au cours de laquelle il fut blessé.
Quant à Jarowlaw Dombrowski, noble polonais et officier, il soutint à Varsovie l’insurrection polonaise de 1863 contre l’Empire russe. Exilé, il se mit au service de la Commune de Paris qui le nomma successivement aux plus hauts postes militaires. Il fut tué sur la barricade de la rue Myrha. N’oubliez pas Jarowlaw Dombrowski et Amilcare Cipriani !
Je me souviens d’Élizabeth Dmitrieff, membre de la Commission exécutive de l’Union des femmes pour la Défense de Paris et les soins aux blessés, chargée de l’organisation des ateliers coopératifs et qui rêvait de fonder une Internationale des femmes afin de promouvoir l’égalité femmes/hommes. Cette femme d’une grande beauté, d’à peine vingt ans et « habituellement vêtue de noir et toujours d’une mise élégante » (selon les rapports de police) se battit sur les barricades et soigna Léo Fränkel, l’un des responsables de la Commune, au cours de la Semaine sanglante. Rentrée en Russie, elle épousa un condamné à la déportation et le suivit en Sibérie. Je me souviens de tant de femmes diversement engagées dans la Commune, rien à voir avec les Tricoteuses jacobines et les Furies de guillotine de la Révolution française.
Je me souviens que les Vendéens désignaient les soldats de la République par les « Bleus », à cause de la couleur de leur uniforme.
Je me souviens qu’au cours de son long procès, Antoine Quentin Fouquier (dit Fouquier-Tinville), membre du Tribunal révolutionnaire et grand pourvoyeur de la guillotine, ne cessa de répéter qu’il n’avait fait qu’appliquer la loi.
Je me souviens de Jean-Baptiste Carrier, de ses « bateaux à soupape » et de ses « mariages républicains » célébrés dans le « fleuve révolutionnaire », la Loire. Je me souviens qu’au cours de ces massacres qui firent quelque dix mille victimes, il organisait des orgies nocturnes avec viol des « suspectes » de la haute bourgeoise nantaise.
Je me souviens de Jean-Marie Collot (dit Collot d’Herbois), massacreur à Lyon comme le fut Carrier à Nantes, Collot d’Herbois complice des massacres de la plaine des Brotteaux où des centaines de « suspects » furent traités par paquets au canon et à la mitraille.
Je me souviens du général (de complaisance) Pierre-Mathieu Parein (dit Parein du Mesnil), obscur gratte-papier devenu président de la commission révolutionnaire de Lyon qui va commettre sous la houlette de Collot d’Herbois et de Fouché les pires excès. Étudiez les méfaits de cet assassin, un assassin comme la Révolution française en a tant donnés. Il termina sa vie paisiblement, après avoir été appelé au Ministère de la Police par Fouché.
Ce « Je me souviens » m’en fait venir un autre. Je me souviens qu’un certain René Bousquet, responsable de l’assassinat de nombreux Juifs et Résistants, mena une vie confortable après la Libération mais qu’il ne mourut toutefois pas dans son lit.
Je me souviens de Jacques Nicolas Billaud (dit Billot-Varenne), avocat sans clientèle, auteur d’une comédie qui fut jouée et moquée dans sa ville natale, La Rochelle, bref, un médiocre par ailleurs peu avenant, l’un des principaux responsables des massacres de septembre. Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, deux compères sanglants.
Je me souviens que Marat, comme nombre de révolutionnaires d’alors, était un frustré. En effet, jamais il ne se remit de l’absence de succès de son « Traité sur les principes de l’Homme » (où il se moque notamment de Malebranche et Condillac), un écrit que Voltaire ridiculisa.
Je me souviens de Bertrand Barère (dit Barère de Vieuzac), surnommé l’« Anacréon de la guillotine ».
Je me souviens que dans la bibliothèque d’une tante, française du Maroc et gaulliste de la première heure, figuraient de nombreux livres sur l’Afrique française et sur le général de Gaulle, notamment dans ses relations avec le général Giraud. C’est d’ailleurs par des livres dégotés dans sa bibliothèque que j’appris qui était le général Giraud, dans des livres au papier jauni et à l’odeur particulière, celle des livres qui ont durablement séjourné sur les côtes de l’Atlantique.
Je me souviens qu’à la fin de la guerre, l’hôtel Lutetia, à l’angle du boulevard Raspail et de la rue de Sèvres, servit de point de rassemblement pour les prisonniers et déportés. La mémoire des hôtels, du Lutetia en particulier…
Je me souviens de la mort volontaire de Charles Delescluze sur la barricade du Château-d’Eau.
Je me souviens que Jean Jaurès prit la défense de Dreyfus et que, ce faisant, il s’opposa à certains socialistes dont Jules Guesde qui voyait en Dreyfus un officier et un bourgeois. Jean Jaurès leur rappela qu’en l’occurrence il n’était plus question de classe mais de l’humanité elle-même, « au plus haut degré de misère et de désespoir ».
Je me souviens de thèse/antithèse/synthèse chez Hegel et de thèse/antithèse chez Proudhon, avec équilibre entre les contraires, exit donc la synthèse. Je me souviens que ce faisant Proudhon coupa en quelque sorte ses griffes à la dialectique hégélienne.
© Olivier Ypsilantis
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