Daniel Sarfati. « Un vivant qui passe »

« Un vivant qui passe » est un entretien qu’a accordé Maurice Rossel à Claude Lanzmann, pendant le tournage du film « Shoah ».
Le film est déjà long et cet entretien n’y figurera pas.
Claude Lanzmann attendra 1997 pour le diffuser sous forme de film et de livre.

Sami Frey en fait une lecture au Théâtre de l’Atelier, où il joue les 2 rôles, l’interviewé et l’intervieweur. Il est assis à un pupitre, seul, en costume sombre, le visage émacié.

Le Dr Rossel, est courtois, affable, plein de bonne volonté, il se souvient de certaines choses pas d’autres.
Il n’a pas été délégué du CICR par vocation : « J’étais officier de l’armée suisse et nous occupions les frontières, c’était un métier horriblement abrutissant et j’aurais fait n’importe quoi plutôt que de rester à faire ce travail d’idiot… »

Pourquoi l’Allemagne ?

« Parce que personne d’autre n’en voulait.

Quelle était l’ambiance à Berlin en 1942 ?

Plutôt agréable, et avec la délégation helvétique nous logions dans une propriété superbe au bord du lac Wannsee. »

Et puis, un jour, il décide « d’aller prendre des renseignements sur des camps »

On vous avez parlé de camps d’extermination ? demande Lanzmann.

« Non jamais. Le mot extermination, je ne l’ai jamais entendu. »

A Auschwitz, il est reçu par, croit-il, le commandant du camp.
« Un jeune homme très élégant, bien, aux yeux bleus, très distingué, très aimable. », qui lui dit avoir fait des courses de bobsleigh à St Moritz.

Il ne lui pas posé beaucoup de questions. Pas le temps.
Il n’a pas vu grand chose.
Oui quand même, des colonnes de détenus en pyjama rayé. « Très maigres, des squelettes ambulants, avec un regard intense… »

Lanzmann insiste :
« Vous saviez qu’ils étaient déportés en masse et qu’ils allaient tous mourir ?
Oui. J’en ai parlé dans mon rapport en rentrant à Berlin. »
Personne ne lit les rapports.

Un silence.
Lanzmann reprend.

« Maintenant Dr Rossel, on parle de Theresienstadt. »
Theresienstdadt, un « camp modèle », à 50 km de Prague, pour les notables, les artistes, que Rossel visite en juin 1944.
Pour lui c’est « un camp de privilégiés, un camp de juifs riches ayant les moyens de payer leur séjour. »

Lanzmann garde son calme et élève à peine la voix :
« A Theresienstdat, il y avaient 5000 morts par mois. Ça n’était qu’une façade, une mascarade que donnaient les nazis. Les conditions y étaient, en réalité, atroces, et les gens étaient ensuite déportés à Auschwitz, à Treblinka, sans arrêt, sans arrêt, ça n’a jamais cessé. »
Le Dr Rossel en convient.
« Oui. On a du me cacher des choses. »

Lanzmann enfonce le clou.
« Ce vieux monsieur, le Dr Eppstein, dont vous parlez dans votre rapport, comme de quelqu’un de privilégié, de passif…C’était quelqu’un d’extrêmement courageux qui a prononcé un discours pour encourager les juifs à résister. Il a été exécuté par les nazis d’une balle dans la nuque. Trois mois après votre visite. »

Fin de l’entretien.
Le rideau tombe. Au loin on entend le bruit des trains aux wagons plombés.
Des applaudissements.
Pas de rappels. L’émotion est trop grande.

© Daniel Sarfati

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