Il faut relire ce qu’écrivait, le 10 septembre 2001, Jacques Tarnero et qui parut dans Le Monde, édition datée du “11 septembre 2001”. Relire. Et bien réaliser que “le papier” a … juste 20 ans.
Quel est cet acharnement à ne vouloir voir du conflit israélo-palestinien que la culpabilité d’Israël alors que la vérité de ce conflit a explosé au grand jour à Durban ? Quel est cet acharnement à refuser de lier ces informations qui, de Kaboul à Alger, d’Islamabad au Caire, alimentent la tragédie qui se joue tous les jours à Jérusalem sous nos yeux ouverts et aveugles ?
L’appel de Théo Klein dans la page Débats du Monde (6 septembre) est noble et généreux. Il se fonde sur le pari que l’intelligence et la générosité irriguent le cœur et l’esprit des hommes. L’honneur d’Israël résiderait dans le geste qui aiderait et saluerait la naissance de l’Etat de Palestine. Soit. Mais ces gestes symboliques n’ont-ils pas déjà été faits à Camp David, à Taba il y a un peu plus d’un an ? Aujourd’hui, est-ce cela le fond du problème ? Est-ce le manque de Palestine qui fonde l’ivresse meurtrière et haineuse qui fait tituber le monde arabe et le monde musulman dans une stupéfiante régression ? Celui qui s’est fait exploser avec sa bombe dans une pizzéria à Jérusalem l’a-t-il fait pour que la Palestine voie le jour ou pour tuer du Juif ?
Théo Klein parle de paix, d’Etat, de peuple en lutte pour reconquérir une dignité nationale. Il semble que ces catégories ne soient pas celles qui ont été utilisées à Durban lors de la Conférence mondiale des Nations unies sur le racisme. Il semble que les passions qui agitent le monde arabo-musulman se situent ailleurs, dans un autre registre que celui du politique. Pourquoi est-ce en Egypte, pays qui a signé la paix politique avec Israël, que se développent les mouvements négationnistes les plus radicaux (ceux qui mettent en cause la réalité de la Shoah) ? L’Egypte n’a-t-elle pas récupéré la totalité de ses territoires ? Le Liban, dont Israël s’est retiré, manifeste-t-il une volonté de paix, alors qu’il est sous domination syrienne ?
On peut parler de paix avec un ennemi qui partage un minimum commun. L’épuisement réciproque peut être fondateur d’un même langage. L’illusion serait de croire que l’on peut parler de paix avec celui qui fonde son projet de vie sur l’anéantissement de l’autre. L’OLP a-t-elle abandonné sa charte pour mieux adopter celle du Hamas ?
Tant que le conflit israélo-palestinien était resté dans les catégories politiques d’un conflit national – deux peuples pour une même terre -, il pouvait trouver une solution, celle que Théo Klein propose, le partage et la création de deux Etats. Faut-il rabâcher que cette idée a déjà été par trois fois repoussée par la partie arabe, en 1948, en 1970 à Karthoumet, l’été 2000 à Camp David ? On peut, on doit, comme le propose Théo Klein, forcer l’idée pour qu’enfin la chimère palestinienne donne corps à un Etat adulte et responsable.
Mais est-ce cela l’essentiel ? La folie qui nourrit les passions arabes se résorbera-t-elle avec cette création ? N’y a-t-il pas là une majestueuse illusion à penser qu’aujourd’hui c’est par ce biais qu’elle reculera ?
Que lisons-nous sur la carte de ce monde ? Nous apprenons qu’en Egypte, ce sont des homosexuels qui sont pourchassés non seulement au nom des codes de la vertu islamique mais surtout parce que la confirmation de leur satanisme viendrait de leurs liens avec des “agents sionistes”. Ce procès moyenâgeux a des antécédents dont le caractère obsessionnel phobique “sionisto-sexuel” pourrait faire rire s’il n’avait pas d’effets tragiques. Il y a trois ans, un supposé aphrodisiaque corrupteur de la vertu des femmes de haute Egypte était identifié, après enquête, dans un chewing-gum importé d’Israël. Le “complot sioniste” a ceci de commun avec les femmes, dans l’imaginaire islamiste, qu’il partage le statut de victime expiatoire, de causalité démoniaque du malheur arabe.
Que se passe-t-il chez les talibans afghans ? Un procès est fait à des Occidentaux représentant des ONG humanitaires accusées de prosélytisme chrétien. Les employés afghans seraient passibles de la peine capitale, coupables d’apostasie.
Que se passe-t-il en Algérie ? Des femmes célibataires sont bastonnées par des bandes de furieux, traitées de prostituées parce que célibataires. C’est aussi au Pakistan que des femmes sont vitriolées au nom des mêmes exigences de vertu. Faut-il rappeler les dizaines de morts, les familles assassinées, les jeunes égorgés, les filles kidnappées toutes les semaines en Algérie ?
Faut-il faire l’inventaire du monde arabe qui s’est posé à Durban en porte-parole de l’antiracisme ? De quel côté se trouve aujourd’hui le totalitarisme ? Où se trouve le fascisme ? Qui a fait de la haine de l’autre la matrice de son système éducatif ? Qui remet au goût du jour le mythe des crimes rituels commis par les juifs ? Qui fait réciter à des enfants une forme renouvelée des Protocoles des Sages de Sion ?
Quel rapport cela a-t-il avec Durban et la Palestine ? Cela met en évidence l’absence de démocratie dans le monde arabo-musulman qui regroupe la quasi-totalité des Etats terroristes. C’est pourtant ce même ensemble qui s’est retrouvé uni à Durban pour condamner Israël au nom des droits de l’homme. Peut-on en rire ? L’Europe va sans doute hausser les épaules et considérer que Durban ne relevait que du folklore d’un Orient excessif…
Il y a bientôt une année, la mort en direct d’un enfant palestinien avait désigné aux opinions publiques la culpabilité des soldats d’Israël. En plein moment d’examen de conscience sur le passé algérien autant que vichyste, il y avait là une aubaine à peu de frais : pouvoir transférer sur ce juif israélien les culpabilités additionnées de Papon et d’Aussaresses. Quelle chance ! Ces juifs, éternels emmerdeurs, brandissant leur Shoah, enfin pris la main dans le sac de leurs propres crimes ! José Bové, qui a tout compris de la situation en trois jours de visite, est déjà allé proposer du roquefort aux Palestiniens. Nous avons même eu droit, dans le feu croisé haineux, au succès d’un livre concluant à l’illégitimité d’Israël, pour la raison que “l’industrie de l’Holocauste” serait pire que la Shoah elle-même.
Le malheur palestinien est réel. La détresse des jeunes Palestiniens est réelle. La catastrophe pour les Palestiniens est réelle. Personne ne la conteste même si son instrumentation destinée à la mettre en balance avec la Shoah relève de la propagande. La revendication palestinienne est légitime. Les Palestiniens ont droit à ce que les juifs réclamaient pour eux-mêmes : le droit de vivre libres à l’intérieur de leur Etat. Mais ce droit ne saurait se fonder sur la négation du droit de l’autre. Il ne saurait se bâtir sur le projet d’anéantissement de l’autre.
En cultivant cette chimère, en signifiant aux Israéliens qu’ils doivent devenir minoritaires dans leur propre Etat, au nom du “droit au retour”, la revendication palestinienne trahit la volonté ultime de destruction de l’Etat juif. En prétendant que Jérusalem serait dépourvue de toute identité juive, c’est à un négationnisme identitaire que se prêtent certains discours.
Mais à qui incombe la faute de ce malheur palestinien, de cette “humiliation arabe” ? Au “complot sioniste” ou à la corruption dénoncée par certains Palestiniens ? Cette incapacité à porter un regard critique sur leur propre histoire interdit aux peuples arabes de penser la stagnation ou la régression politique qui sont le lot commun des Etats qui les rassemblent.
Israël n’est pas un Etat au-dessus de tout soupçon. La politique de ses dirigeants n’est pas au-dessus de la critique. Ce à quoi Israël est confronté depuis sa naissance ne relève pas de la critique de sa politique. Aucun autre Etat au monde n’a été et n’est à ce point victime du déni répété et reformulé de son droit à être.
Il aura fallu plus de cinquante ans à des esprits éclairés pour percevoir la réalité de l’avenir radieux proposé par le stalinisme, dissimulée sous le sympathique manteau des mots du progressisme. Combien de temps faudra-t-il pour voir la réalité politique de l’antisionisme ? Ce progressisme des imbéciles aura été aussi émancipateur pour les masses arabes que le communisme le fut pour l’imaginaire occidental, soviétique, africain, chinois ou vietnamien.
L’espoir de Théo Klein se fonde sur ce qu’il y a de commun dans l’idée d’humanité. Au regard de l’Histoire, on demande à vérifier car c’est d’abord un immense sentiment de solitude qui unit aujourd’hui le peuple juif. Et si à Durban, comme jadis à Nuremberg ou à Moscou, c’était une nouvelle barbarie qui se levait ?
© Jacques Tarnero
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