Jacques Neuburger répond à Michèle Chabelski : « La lachnorere »

La lachnorere peut être associée à la gourmandise, chère Michèle: Ton leikhe est vraiment meilleur que celui d’Ursule, ah, si, l’autre samedi je suis allée chez elle à goûter, son leikhe était d’un pâteux, je te dis pas, sa troisième était là, je me demande comment on l’a mariée celle-là, franchement, entre nous, mais elle est d’un moche, quoi, et puis elle porte si mal ses bijoux, on dirait une vitrine de la rue de la Paix, enfin, c’est pas notre affaire, pour en revenir à ton leikhe, tu vois, par rapport à celui d’Ursule, yapafoto, il est vraiment meilleur, quoique moi, je mettrais un peu moins de sucre, d’autant que si je puis me permettre, tu ne m’en voudras pas, hein, entre vieilles copines, les fêtes approchent, il faut faire un peu gaffe, et je me demande si pendant tes vacances à Rabat tu ne te serais pas un peu laissée aller sur les zlabias et les cuisses de dames comme on disait chez nous à Oran…..

Sur le plan de la luxure, aucun doute, on peut transposer, évidemment, techniquement cela pose des problèmes plus complexes sauf peut-être dans le cas de situations d’absolue altérité linguistique ou culturelle….

Ah, médire, quelle évidente volupté, tout particulièrement avant kippour, puis y repenser avec remord durant une longue journée à la choule tout en observant Victor, Maurice, Aimée et Suzette, voilà qui permet, refait à neuf, de repartir pour une riche année conversationnelle.

Évidemment, être médisant demande du métier, de l’entraînement, à défaut de quoi on pourrait blesser l’autre, ce qui serait regrettable.

On pourrait même être méchant. Ou devenir abominablement gaffeur.

Être à la source de drames humains…

Alors, on se souvient de l’histoire du « Kiguelrebbe »…

Alors, on se souvient de l’histoire du « Kiguelrebbe »…

Ce rebbe modeste, savant, humain, qui desservait une synagogue bien modeste, peu rémunératrice. …

Un ami le pistonne pour une grande synagogue à Cracovie.

Il vient, il fait un sermon qui enchante le conseil, il chante en emportant l’adhésion de tous, et le soir il est invité chez le président. Il chante le kiddouche, il charme les dames, il attendrit les messieurs.

Mais arrive le kiguel, avec ses raisins, ses amandes, ses pruneaux, encore tiède….

On sert le rebbe, il goûte, s’en ressert, ressert encore, sous les yeux ébahis de tous il finit le kiguelè en trois minutes….

Le charme est rompu, il retourne dans sa province où la rebetzin lui fait maigre accueil.

Et on le brocarde: désormais il ne sera que le « kiguelrebbe »…

Trente ans passent, finalement il est quand même nommé à Cracovie, mais dans une synagogue moins prestigieuse.

Il rencontre le Président de la première choule, un vieux monsieur désormais, et qui lui dit: Enfin, qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là, pourquoi cette attitude incompréhensible? – Et le rebbe, le « kiguelrebbe », de répondre: La vieille bonne, très vieille, maladroite, au lieu de parfumer le kiguelè avec de la sliwowitz, elle avait versé de l’huile pour les lampes de chabbes…. C’était immangeable, alors j’avais peur pour elle que les autres ne s’en aperçoivent et qu’elle ne soit renvoyée…

Cette histoire, chère Michele Chabelski, ma mère parfois me la racontait, avec des détails, des commentaires, un charme d’un autre monde, Ah la gourmandise comme tu disais, cela me donne soudain envie de goûter un kiguelè, un kiguelè au parfum d’autrefois…

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