La Nouvelle de Jean-Claude Lonka 3/7. « L’Arche de Noé et la naissance du chat »

Dimanche : Part 3

LE DÉLUGE, SUITE

            Noé et ses enfants avaient prévu de chaque côté de la coque des plates-formes de repos pour la famille des phocidés, les morses, les phoques, les otaries, les éléphants de mer qui trouvaient que c’était une bonne idée pas si loufoque que ça, les insectes aériens jouaient les cerfs-volants, les insectes rampant se cramponnaient aux toisons, les acariens tapissaient les couvertures, les roussettes, les pipistrelles, les oreillards, tous les genres de chauves-souris avaient élu domicile dans les angles poutres/solives pour se nourrir de fruits secs éparpillés çà et là alors que le couple de vampires venait chaque soir se coller aux membres des passagers, les araignées, les scorpions, les taons, les morpions et toutes bestioles propagatrices de boutons et de démangeaisons s’étaient laissé aller à une douce torpeur somnolente dans les cales de l’arche, là où l’on déposait tous les excréments, la volaille n’avait qu’à pondre en échange de graines et Noé se prit d’affection particulière pour une poule coucou noire de plumes, tachetés de fins flocons blanc, pondeuse émérite et affectueuse.

Il l’appelait « Coukèlè ». Elle venait vers lui en dodelinant de la tête comme n’importe quel gallinacé, mais il trouvait dans le balancement de sa préférée de la majesté. À ses yeux elle ne marchait pas, elle dansait, elle ne caquetait pas mais papotait, elle n’avait pas un œil ridicule mais des yeux de biche alors que la biche qui logeait au deuxième étage avait une coquetterie dans son regard. Cette poule était la sienne et personne à part lui ne venait pour lui prendre ses œufs. Coukèlè reconnaissait son bienfaiteur et son coq n’avait strictement rien à dire.

Pour la nourriture il n’y avait pas de stock de viande mais les exocets attirés par les quelques lumières que donnaient les vers luisants se laissaient prendre sans filet et sans filer plus loin et le poisson ne manquait pas à l’extérieur. Les herbivores savaient qu’un étage entier regorgeait de foin, de graines, d’herbe et de légumes secs.

Mais hélas trois fois hélas les rongeurs commençaient à se promener partout à la recherche de provision et de lieux de promenades inédits, car le rat des villes comme le rat des champs ainsi que ses cousins proches ou éloignés aimaient prendre la route toute la sainte journée sans qu’aucun doute en eux ne vienne s’immiscer et la nuit venue, plutôt que de prendre un repos mérité, ils préféraient se nourrir et faire la fête au détriment de la tranquillité d’autrui et quand la souris dansait, toutes les autres espèces ne pouvaient fermer l’œil.

            Le premier esclandre eut lieu quand une souris grimpa le long des vertèbres d’une girafe pour admirer le zoo « archique » et non pas archaïque ni anarchique sur le dessus de la tête de celle-ci, bien calée entre les deux cornes de l’animal emmanché d’un long cou. La girafe accompagnée de son mâle était venue sur le pont pendant une légère accalmie afin de bénéficier d’une meilleure vue et parce que Noé lui avait poliment demandé de faire une inspection des environs, craignant le contact avec un iceberg, les eaux étant devenues glacées car des poissons volants arrivaient congelés et tombaient sur le plancher en émettant des bruits : Tic, tac, nic.

La girafe d’un naturel débonnaire n’apprécia pas la hardiesse affublée de goujaterie de la grisette qui pour se dédouaner de sa folle grimpette eut comme argument pour se défendre lors de son jugement de faire croire qu’elle était encline à jouer un meilleur rôle de vigie, puisque juchée sur la tête d’un animal haut de forme en le dépassant.

Noé, Sem, Japhet, Cham ainsi que leurs épouses ne sourirent pas devant le plaidoyer de l’avocat marmotte à la barre du tribunal improvisé sous la Présidence de Noble le roi lion et des Cours, celle du roi et celle de la justice.

Tout un chacun savait qu’autrefois un passereau de la famille des régulidés qui se reconnaît à sa couleur olive, sa petite taille et à sa couronne dorée, avait pris le nom de roitelet, parce que juché sur le crâne d’un aigle royal, lors d’un spectacle réel qui devait sacrer pour roi l’oiseau qui volerait le plus haut dans le ciel, avait gagné son nom par ce subterfuge. L’accusée souris fut réprimandée par la Cour de justice qui lui ordonna de ne plus jouer les acrobates sur qui que ce soit et comme les souris se ressemblaient toutes, il fut conseillé à sa fratrie de suivre l’avertissement.

Les agaceries se calmèrent pendant une semaine puis les chicaneries reprirent ainsi que les larcins. La cave à fromages fut visitée de fond en comble, mais la malversation ne laissa planer aucun doute sur les visiteurs. Les plinthes en bois rongées, puis perforées permirent de connaître les coupables immédiatement. Les trous ne dépassaient pas les cinq centimètres par cinq et les crottes minuscules faisaient autant d’indices à charge.

La Cour se réunit à nouveau mais la marmotte qui déboussolée par la météo était entrée en hivernage n’avait pu assumer son rôle d’Avocat, ce qui fit qu’un putois se chargea d’endosser la robe de Défenseur.

La souris accusée et représentante de sa famille parla de souffrance psychique culinaire, car, dit-elle, la souris aime varier les menus. En agitant ses fines moustaches, elle exprima son attirance olfactive et sensuelle, le fromage dégageait une odeur enivrante et la rendait folle. Puis elle parla de la perte de notion du temps, il lui semblait que cela faisait beaucoup plus qu’une semaine qu’elle avait subi sa peine, pour elle des années s’étaient écoulées. Une clameur s’éleva de la foule comme une ola et Noé sous le regard profondément écœuré du Roi Lion dut taper sur son bureau avec sa sandalette pour faire taire l’assemblée.
Le hibou ulula :

  • Je demande la peine de mort pour ce vol inqualifiable de nourriture !
  • Moi, aussi je demande la peine de mort ! hua la panthère en félin huant.

La femelle guépard feula en dardant ses yeux verts vers la coupable :

  • Si vous me la laissez, je l’égorge ! Et le mâle de se lécher les babines.

Le cochon dit :

  • Vous jetez l’infamie sur tous les rongeurs et les hommes s’en souviendront, croyez-en mon expérience !

Le goret grogna, le panda pendit des mâchoires mais l’assemblée comprit qu’il disait : « Qu’on la pende », le cheval hennit, la cane à son corps défendant cancana, l’ânesse réclama son droit, l’élan n’en eut aucun, le wapiti vint en mangeant mais ne dit rien et le wallaby sut que la souris n’avait pas d’alibi. Alors…

Les végétariens et les végétaliens ne voulurent plus végéter, les carnivores montrèrent les crocs et les insectivores bourdonnèrent. Le roi lion leva la patte et Noé prit la parole.

  • Accusée, vous êtes averti, déjà que vous avez dépassé les limites en camouflant des congénères et en vous reproduisant à la vitesse grand V alors que les places sont réservées pour un couple de chaque espèce, vous avez manqué de respect en montant à la tête de la girafe, vous avez auparavant, sans que cela vous soit imputé par manque de témoignage, glissé dans la trompe de l’éléphante qui par peur a saccagé son habitat, depuis cette incident elle a une anxiété irraisonnée des petits rongeurs, elle ne pourra pas guérir avant longtemps et ses barrissements en vous voyant nous nouent les tripes et maintenant vous affamez vos semblables et nous les humains parce que vous dévorez notre nourriture. Vous méritez cent fois de disparaître, mais mon rôle n’est pas de tuer qui que ce soit et je ne me le pardonnerai pas. Si vous ne vous reprenez pas et que vous vous égarez encore une fois, je serai hélas dans l’obligation d’en référer à D… qui a d’autres queues de chats à fouetter que de trouver une solution pour obliger les souris et les rats à se comporter correctement. Vous êtes prévenue, n’en soyez plus une et n’y revenez plus !

La souris ricana intérieurement; elle venait de sauver sa tête, celles de sa colonie, la colonie de tous ses cousines et elle espérait que le débarquement aurait lieu pour bientôt, de plus personne n’avait compris ce que Noé avait voulu dire à propos de queue de chat à fouetter, car si tout un chacun avait saisi le sens du verbe fouetter, « chat » ne voulait par contre strictement rien dire. Dans l’Arche rien qui ne s’appelait « chat » et depuis la création du monde jusqu’à ce jour, rien ni personne ne pouvait attester qu’il en avait vu la queue, si queue il y avait et d’ailleurs rien ne prouvait rien.

Le Roi Lion après l’intervention de Noé rugit intérieurement et depuis le début des problèmes avec les rongeurs, il se rendait bien compte qu’il n’avait pas d’autorité sur eux. De plus, même avec sa force et sa vélocité, il ne pouvait pas dans l’Arche les attraper, même les guépards se sentaient grotesques. Les souris, les rats et consorts se faufilaient dans le moindre trou réalisé par leurs quenottes rongicides.

Le lion, quelque peu amer, ne regardait plus sa lionne et la délaissait. Il se promenait, toujours en chasse, mais combien de fois il avait laissé échapper sa proie, combien de fois quand cavalant la langue pendante, il s’était cogné sur un bas de porte ou sur un pan de mur et ce fort heureusement devant aucun témoin mais tout de même sa fierté en avait pris un rude coup. Alors il rejoignait tardivement, voire à l’aube, sa couche, et sa lionne malgré de grandes léchouilles râpeuses, n’obtenait plus aucun câlin de son mâle à la crinière fauve.

Elle se sentait délaissée Dame Fière… inutile. Les nuits lui semblaient longues et les jours aussi. Les animaux détestaient la monotonie, d’ailleurs la paresse n’était en rien comparable à la platitude des heures où il ne se passait rien.

Courir après une proie, la rattraper ou la laiersé filer, se nourrir, jouter avec un ou une autre de son espèce, grimper aux arbres, se battre pour son territoire, se réunir le soir au point d’eau, regarder le coucher de soleil, son lever, flirter, se câliner, faire l’amour, chercher des poux dans la tête de ses camarades au sens propre comme au sens figuré, mettre bas, allaiter ses petits, les surveiller, jouer avec eux, leur apprendre à chasser, leur apprendre les bonnes manières, accompagner un ancien qui part rejoindre ses ancêtres dans l’au-delà… tout ça avait un sens mais tout ça manquait cruellement.

Thotho était un babouin hamadryas.

Il vivait dans une région aride qui lui convenait bien, quelque part vers la mer Rouge, dans des pays qui s’appelleront un jour Egypte, Ethiopie, Somalie, Djibouti, Arabie Saoudite, Yémen, dans une région que les explorateurs catalogueront de corne de l’Afrique.

Mue par une subite impulsion, il avait pris sa compagne par la main et dans son langage simiesque, il lui avait fait part de son appréhension de l’avenir. Il avait rêvé que les eaux allaient fondre sur la terre et que nul morceau de rocaille, pitons rocheux, monts ou montagnes ne serait assez haut pour y échapper car l’hamadryas ne grimpe pas aux arbres, il ne se sent bien que sur les rochers. Il était certain que pour survivre, il fallait se mettre sous la protection d’un être humain, cette espèce qu’il exécrait mais qu’il reconnaissait volontiers comme ayant énormément de compétence en cas de difficulté.

Thithine sa compagne avait rigolé, mais comme elle aimait son Thotho elle se laissa embarquer et c’est ainsi qu’ils arrivèrent chez Noé.

Au début la nouveauté, la visite de l’Arche, les rencontres avec des animaux qu’elle n’avait jamais vus de sa jeune vie comme le yack, le tamanoir, le phacochère ou l’ornithorynque les langages des autres, tout lui semblait merveilleux. Mais une femelle babouin n’était pas faite pour naviguer, le mal de mer…

Certes Thotho était un compagnon idéal et il excellait pour la faire rire, surtout en imitant Noble le Roi Lion, c’est vrai qu’avec sa crinière ou plutôt son manteau qui s’arrête au bassin (les femelles n’ont pas de manteau) et la façon d’ouvrir sa grand gueule en poussant des rugissements il était un vrai phénomène, mais petit à petit, la pluie qui tapotait méticuleusement sur les parois, le clapotis de l’eau loin dans le vacarme de la journée et qui était un supplice dans les nuits sans sommeil, la nourriture apportée à la même heure sans se fatiguer pour aller en chercher, ce mini rocher minable dans sa carré, et comme Noé avait recommandé l’abstinence… l’ennui… Thithine déprimait et les psy animaliers n’existaient pas.

© Jean-Claude Lonka

Jean-Claude Lonka intervient souvent dans Yiddish Pour Tous, Le blog de l’Association des Amis de Yiddish pour Tous.

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Jean-Claude Lonka

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