C’est sur Facebook que j’ai découvert le talent de Michele Chabelski . Comme nombre d’entre nous, je suppose. Par ses chroniques.
Je suis tombé par hasard, un jour, sur une chronique évoquant une journée passée avec ses petits-enfants.
Quoi de plus banal, diriez-vous peut-être? Oui, banal, quotidien, quotidien comme une journée de Colette avec ses chats.
Car en effet, tranchant avec toutes les publications aimables, agréables, bien écrites, que nous pouvons croiser sur les réseaux sociaux, l’écriture saisissait le lecteur que j’étais: ce que je lisais n’était pas un post parmi d’autres, non, c’était un texte écrit d’une plume d’écrivain, une plume à la Colette ai-je ce jour-là pensé.
Les mots étaient justes, sensibles, parfois inattendus, faisant mouche, les mots se faisaient personnages dans les phrases de Michèle Chabelski, des phrases rapides, dansantes, la page toute entière dans la banalité apparente du récit se faisait expérience singulière, scène de genre, mise en scène, théâtre, ballet.
Arrivé à la fin de la chronique on se disait: quoi, déjà? Alors on la relisait, lisait de nouveau, trouvant ici une nouvelle note tendre, là une nouvelle note ouvrant sur le rêve, la poésie, ici encore un autre trait d’humour…..
Lisant pour la première fois une page écrite par Michèle Chabelski, j’avais soudain cette impression d’avoir fait la connaissance d’un ami, d’une amie, comme la première fois qu’on ouvre un livre et qu’on se dit: celui-ci, je le glisse dans ma poche, nous allons faire un bon bout de chemin dans la vie ensemble.
C’est ainsi que je suis devenu un de ses fidèles lecteur, un parmi des milliers de ses quotidiens abonnés, et comme tant d’autres parfois laissant un commentaire sur sa page. Et puis un jour quelque chose d’autre s’est produit, une sorte de révolution dans l’écriture de ces chroniques: ces pages jour après jour se suivaient, se succédaient, s’enchaînaient, constituant peu à peu, matin après matin, page après page, un ensemble cohérent, un tout en constitution, un véritable récit romanesque en devenir, un peu comme ces grands romans de Dickens ou de Balzac paraissant en feuilletons…..
Quel bonheur! Je l’avoue: combien de fois n’ai-je pas attendu dès six heures du matin l’instant où je verrais enfin apparaître la page du jour, cette chronique que nous imaginons Michèle Chabelski écrivant bien avant l’aube, bien avant toute une journée active, la tablette sur les genoux, la tasse de café posée non loin sur quelque petit plateau.
C’est que Michèle Chabelski est une sorte de génie de l’écriture intimiste, d’instinct ou d’effort je ne sais, mais son écriture excelle dans une analyse jamais appuyée, toujours légère, élégante, dansante, des ressorts du cœur humain, une évocation de l’intériorité des personnages rien qu’en mettant l’accent sur un geste, une attitude, un mot: rien n’est lourd, rien n’est pesant chez elle, son écriture est légère, sa plume se fait ballerine, et même dans les pages plus graves ou plus douloureuses.
Je disais plus haut que lisant pour la première fois quelques lignes d’une de ses chroniques j’avais eu l’impression de me trouver en territoire ami, d’avoir fait la connaissance d’un ami, d’une amie: c’est que sous le propos, et peu importe le sujet, le thème abordés, sous la phrase, toujours si élégante, on entend d’autres musiques, une sorte de polyphonie: diverses musiques, diverses langues, le yiddish, le russe, cette yiddishkeit d’un monde désormais en demie teinte dans nos souvenirs, la langue d’un certain Paris aussi, ce Paris du Marais et des Halles qui lui aussi appartient au passé, tout ceci entrecroisé en une sorte de contrepoint avec un appétit de bonheur, la langue de la modernité, la joie du désir, de l’amour, de la passion.
Le récit de Michèle Chabelski, Des années twist aux années tweet, évoque le tracé d’une existence, l’existence de la narratrice, par évidence inspirée de l’existence de l’auteur. Mais il convient de ne dire ceci qu’avec la plus grande prudence: l’auteur est un écrivain, une écrivaine, qui en tant que telle joue avec les mots, joue des mots – il n’y a pas ici, non plus que chez tout autre romancier, de clefs à chercher, les personnages, les faits sont peut-être inspirés de personnages ou de faits « réels » mais la seule « réalité » qui compte pour le lecteur, celle que le lecteur peut faire sienne, c’est la réalité des mots, des phrases, de tout cet imaginaire romanesque qui est là sur ces pages, devant nous.
Il faut lire ce récit. Chacun, sans doute, sera sensible, plus sensible, à tel ou tel aspect de ce texte. Pour ma part, et dans le désordre, certaines pages m’ont particulièrement touché, ou frappé. Par exemple telle page où la narratrice évoque la rencontre de son propre père avec sa fille qui vient de naître, telle page où elle évoque la première rencontre de sa mère et de son père, page écrite avec un brûlant mélange de passion et de la prudence de qui ne peut avoir vécu cette scène que par le biais de l’imagination.
Toutes ces pages qui évoquent la passion amoureuse, la rencontre, la déception, le détachement et le désamour, la souffrance de ne plus aimer, le vide sentimental, l’inattendu d’une nouvelle passion aussi au moment où l’on ne croyait plus la trouver, tout ceci si finement analysé et tout ceci narré avec la vraie pudeur des vrais artistes, cette pudeur semblable à celle d’un Manet peignant une odalisque nue: tout est dit mais toujours si joliment, si tendrement. Il y a beaucoup de pages aussi qui donnent à penser la condition féminine, le sort de la femme, le conflit entre des représentations sociétales où la femme, finalement, ne serait qu’une annexe destinée à engendrer l’héritier mâle attendu et la difficile volonté de la femme d’être reconnue comme un être à part entière, une personne avec des désirs et une volonté de dignité et de bonheur: car le récit de Michèle Chabelski n’est pas une simple biographie, c’est une réflexion qui se poursuit, se construit, une véritable réflexion sur la société et sur la difficile liberté de la femme toujours à conquérir, toujours à défendre.
En effet si il y a un caractère important à retenir de ce premier roman, c’est que c’est un texte non seulement poétique et sensible, retraçant toute l’histoire d’une génération, mais aussi un texte intelligent, un livre qui donne à penser, un livre qui invite à une réelle réflexion sur les relations entre personnes dans la société. Vraiment, c’est un livre, un vrai livre, à lire – pour le plaisir, pour le bonheur, l’enchantement, et pour se sentir intelligent en le lisant.
Un dernier mot: une question que je me pose à moi-même, un personnage m’a-t-il particulièrement ému? C’est difficile à dire entre toutes ces figures si vivantes, si sensibles… J’ai une hésitation entre la figure du père et celle de la grand-mère… Lisez, lisez, vous me direz…
© Jacques Neuburger
Un magnifique compte rendu de ce premier livre de Michèle Chabelski, qui trace non seulement un beau portrait d’une auteure, mais qui aussi nous révèle la finesse d’analyse que nous offre Jacques Neuburger.
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