Homeira Qaderi, femme et écrivain, la double peine pour une Afghane

“Les Etats-Unis ont trahi les Afghanes” , répond Homeira Qaderi à Valérie de Graffenried pour Le Temps

Mon état d’esprit n’est pas bon, j’ai l’impression de mourir de seconde en seconde.

Homeira Qaderi, qui a vécu en exil en Californie, nous écrit depuis Kaboul, où elle craint pour sa vie. Ecrivaine et professeure de littérature – elle a enseigné dans plusieurs universités -, elle est une infatigable militante des droits des femmes. Elle a par ailleurs travaillé comme conseillère pour le gouvernement afghan sur les questions d’égalité et d’équité. Quand les talibans ont pris le contrôle de sa ville, Herat, pour la première fois, elle n’avait que 13 ans et a été privée d’école. Mais, bonne élève et surtout déterminée à ne pas lâcher son éducation, elle a commencé à enseigner en secret à ses camarades, dans sa cuisine, puis sous une tente de réfugiés qui faisait office de mosquée.

Nous étions comme des souris, silencieuses et nerveuses, cachées dans les murs, pour échapper à un chat affamé qui pouvait bondir sur nous à tout moment, écrit-elle.

Mariée à l’âge de 17 ans, Homeira Qaderi a vécu en Iran, puis est retournée en Afghanistan en 2018. Elle a été menacée plusieurs fois de mort à cause de ses écrits.

Son dernier livre, Dancing in the Mosque: An Afghan Mother’s Letter to Her Son, (2020), est un cri adressé à son fils, Siawash, dont elle a été longtemps séparée, quand son mariage a pris fin.

Quand elle a cherché à revoir son fils pour la première fois après plusieurs années, son mari l’a menacée en appelant la police.

Elle a finalement pu le voir, mais en se faisant passer pour une simple amie. Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’elle était sa mère. Il la croyait morte. C’était ce que son père lui avait fait croire. Le nom d’Homeira ne figure d’ailleurs même pas sur l’acte de naissance.

Pour l’écrivaine, son dernier livre reste le meilleur moyen de s’adresser à son fils. Elle s’attarde sur la situation des femmes afghanes, et raconte la sienne. Sous l’occupation soviétique, puis sous les talibans.

Les livres ont toujours eu une place particulière dans sa vie.

Lorsque les talibans ont envahi sa ville, son père, un professeur de littérature, avait un rituel: enterrer les livres de la famille sous un mûrier du jardin, pour les sauver.

Leur liberté. Il les déterrait une fois par année, pour les nettoyer. Puis les replaçait sous le mûrier.

Dans les livres extraits de la boîte enfouie sous terre, il n’y avait pas de burqas. Il n’y avait pas de filles fouettées avec des branches de grenadier et elles n’étaient jamais échangées contre des chiens de combat, écrit-elle, dans Dancing in the Mosque. Il n’y avait pas de fille donnée au saint homme âgé de la ville, pas de fille battue qui se jetait dans un puits pour éviter d’être lapidée à mort. Il n’y avait pas de fille forcée par son père à porter des vêtements de garçon et à jouer le rôle du fils de la famille. Dans ces livres enfouis, les femmes ne murmuraient pas leurs histoires à l’eau ou n’allaient pas dans les cimetières pour parler de leur solitude avec les morts.



Aujourd’hui, Homeira Qaderi peine à trouver les mots. Nous avons échangé avec elle en plusieurs fois, alors qu’elle espère toujours trouver un vol pour quitter le pays.


Dans quel état vous trouvez-vous actuellement?
Je suis à Kaboul ces jours. En tant qu’écrivain, je n’arrive pas à me concentrer sur l’écriture du livre sur lequel je travaille. Je suis triste et fatiguée. Les habitants de ma ville ont peur. Ils voient tous leurs rêves futurs se transformer en illusion. Les femmes, surtout les filles, ont perdu tout espoir. C’est difficile de voir Kaboul dans un tel état de perte et de désespoir. Tout le monde est confus.

Comment Kaboul a-t-elle été transformée depuis l’arrivée des talibans dimanche?
La peur se lit dans les yeux de chacun. Les combattants talibans, armés jusqu’aux dents, se déplacent dans la ville et effraient les femmes. La ville a pris l’apparence d’une base militaire. Je me promène dans la ville et je vois que tout est en désordre. Les gens ne font rien, comme s’il n’y avait pas de travail, pas d’emploi, pas d’école.

Avez-vous peur pour votre vie et celle de vos proches?
Les talibans ont déclaré une amnistie générale, mais nous n’avons enfreint aucune loi pour laquelle l’amnistie s’applique. Avec tout cela, je ne suis pas sûre de ce qui va nous arriver, à moi et à ma famille. J’ai l’impression que mon esprit et mon coeur ont cessé de fonctionner. Je n’arrive même pas à l’expliquer.

Comment voyez-vous l’avenir des femmes afghanes sous les talibans?
Si les talibans n’autorisent pas les femmes à étudier ou à travailler, la situation va devenir très grave. Des centaines de milliers de veuves travaillent dans ce pays, elles sont les soutiens de leur famille. Je suis également responsable de ma propre vie et de celle de mon enfant. Comment sera ma vie si je ne peux pas travailler?
Ils affirment que les femmes pourront « travailler conformément aux principes de l’islam » et que la burqa – le voile intégral – ne sera cette fois pas obligatoire. Des promesses vides et vaines?
La crainte d’un retour à l’ère de la violence contre les femmes nous inquiète énormément. Nous craignons de ne pas être en mesure de participer au développement de notre société. Si ce pays redevient un monde exclusivement masculin, c’est vraiment effrayant.

Les Etats-Unis ont-ils une responsabilité morale dans ce qui est en train de se passer?
Les Etats-Unis sont venus en Afghanistan pour leurs propres intérêts. L’Amérique réussit bien à vendre des idées. Les Etats-Unis ont trahi les femmes d’Afghanistan. L’Amérique, avec les seigneurs de guerre locaux, a détruit notre pays. Ce qui s’est passé à l’aéroport de Kaboul est une terrible tragédie. Des gens s’accrochent désespérément à des avions militaires et tombent ensuite en plein vol. Comment pouvons-nous oublier cela? Les Etats-Unis pensent-ils avoir fait leur devoir en évacuant ceux qui les ont aidés?

Vous avez connu le régime des talibans à l’âge de 13 ans. Quelle comparaison avec la situation actuelle?
A mon avis, les talibans n’ont pas changé. Ils n’ont pas étudié pendant cette période, mais étaient dans les tranchées de guerre, et s’ils ont étudié c’était dans des écoles pakistanaises qui promeuvent l’extrémisme. Ils essaient maintenant de montrer un visage favorable au monde. Parce qu’ils doivent avoir le soutien de la communauté internationale. Je ne sais pas comment ils traiteront les gens après ça. Certains sont pleins d’espoir. J’étais pleine d’espoir les deux ou trois premiers jours. Maintenant, je vois les talibans fouetter les gens.

Vous avez reçu des menaces de mort. Jusqu’où êtes-vous prête à vous battre pour continuer à défendre les droits des femmes, toujours plus menacés?
Ces jours, je suis très frustrée. Je pense qu’il est inutile de parler des droits des femmes. La vie est très dure, et l’atmosphère étouffante. On ne me permet pas de parler. Il est complètement inutile pour moi de rester dans ce pays si je ne peux pas écrire sur les sujets que j’aime.

Pensez-vous avoir la responsabilité d’élever la voix, même si vous êtes en danger?
Tout le monde a cette responsabilité. Hommes et femmes. Mais quand je vois que je suis seule dans ce domaine, j’ai encore plus peur. Après m’être exprimée récemment sur notre chaîne de télévision Tolo, j’ai reçu des centaines de messages et mes amis m’ont demandé pourquoi je l’avais fait et pourquoi je me mettais en danger.

Si vous deviez sauver une seule chose parmi vos biens des mains des talibans, ce serait…
Ma bibliothèque”

Le Temps, samedi 21 août 2021

https://www.letemps.ch/monde/homeira-qaderi-etatsunis-ont-trahi-femmes-afghanes

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