« Voici ma tribune publiée ce matin par Le Figaro. Elle essaye d’expliquer en gros que les personnes défavorables à l’extension du passe sanitaire aux actes de la vie quotidienne méritent autre chose que le tsunami de mépris qui s’exprime dans la presse, la politique et les médias.
Les « antipasse » ne sont pas la plupart d’entre eux, contre le principe d’une vaccination ou « antivaccins ».
Ils se disent préoccupés par les conséquences pour les libertés d’une société de contrôle numérique s’appliquant aux aspects les plus courants de la vie quotidienne. Ils refusent une société banalisant la surveillance (dans les restaurants, les terrasses et les grandes surfaces) et la délation – de manière tragiquement inutile ou disproportionnée.
Ils dénoncent le discours apocalyptique sur covid 19, vécu comme une sorte de peste bubonique exterminatrice, justifiant ces mesures. Ils déplorent les conséquences discriminatoires de ces mesures pour des personnes dépourvues de passe sanitaires – et n’y peuvent strictement rien (raison de santé par ex).
Certains commentaires, dans une déferlante vengeresse, réagissant à mon article, sont absolument fascinants. Au-delà du mépris (hautement revendiqué), ils expriment la puissance de la rage collective dans la quête du pestiféré (le « non vacciné », ou « l’antipasse » présenté comme coupable d’égoïsme et une menace pour la collectivité) et la capacité d’asservissement et d’aveuglement d’une foule sous l’emprise de la peur.
En lisant cela, on se dit que tout devient possible: il n’y a plus aucune limite ».
Maxime Tandonnet: «De quel droit méprise-t-on les anti-passe?»
Depuis la déclaration du chef de l’État annonçant l’extension du «passe sanitaire» aux activités de la vie quotidienne (restaurants, bars, transports en commun, grandes surfaces commerciales), rarement les réactions favorables de la «France d’en haut» politique, médiatique, intellectuelle, n’ont été aussi consensuelles sur les plateaux de télévision ou de radio. Nul ou presque ne trouve à redire à son principe: «reconnaître le civisme, c’est faire porter les restrictions sur les non-vaccinés plutôt que sur tous». Le choix politique est bel et bien de sanctionner les réfractaires: «Donc ça va être primauté aux vaccinés et vie de merde (sic) pour les non-vaccinés» selon des propos d’un haut responsable anonyme, largement cités par la presse.
Ainsi, à de rares exceptions près (dont les voix de M. François-Xavier Bellamy, Mme Lydia Guirous, M. David Lisnard ou M. Julien Aubert), le mouvement LR, principale opposition parlementaire, s’est largement rallié à la parole élyséenne, notamment les candidats déclarés ou supposés à l’élection présidentielle.Or, en ce moment, la France dite d’en haut est frappée de stupeur face à un mouvement de contestation anti-passe qui réunit, selon les chiffres mêmes de la police, plus de 200.000 personnes chaque samedi dans tout le pays en plein mois d’août et s’annonce durable. Elle tente de diaboliser ce phénomène en assimilant le rejet du passe sanitaire à un simple combat d’arrière-garde antivaccin manipulé par des idéologues obscurantistes et «complotistes».Ce mouvement tient largement à des convictions et à des idées, sinon à des idéaux, qui transcendent les clivages sociaux, idéologiques et politiquesLe sens profond de ce mouvement paraît largement échapper aux «élites» dirigeantes, politiques ou médiatiques françaises. Il diffère des «gilets jaunes» et ne semble pas relever essentiellement d’une réaction de la «France périphérique» ou des « ronds-points» face à la bourgeoisie aisée et mondialisée. Il se présente comme touchant une large gamme de la population française: étudiants, professionnels et salariés de tous milieux et couvrant différentes sensibilités politiques. Il ne s’explique pas – ou seulement de manière marginale – par des revendications catégorielles, contrairement aux «gilets jaunes», qui protestaient à l’origine contre la taxe carbone.En vérité, ce mouvement tient largement à des convictions et à des idées, sinon à des idéaux, qui transcendent les clivages sociaux, idéologiques et politiques. Voilà ce qui le rend quasiment incompréhensible aux élites dirigeantes françaises qui ont depuis longtemps perdu le sens de ces mots. Que des manifestations aux cris de «Liberté! Liberté!» puissent venir troubler le repos estival de la France d’en haut suscite de sa part la plus totale sidération. Aujourd’hui, beaucoup de Français moyens montrent, contre toute attente, qu’ils croient encore à la notion de liberté comme d’ailleurs à celle de responsabilité (et n’ont aucunement besoin de leçons de morale sur le lien entre l’une et l’autre.Dans leur majorité, ces manifestants ne s’opposent pas au principe du vaccin, mais réclament le libre choix en la matière. Ces protestataires refusent une société qui abuse des procédés numériques pour restreindre la liberté d’aller et venir et opérer une différenciation des droits en fonction du statut sanitaire des uns et des autres. Ils s’interrogent sur l’extension de la vaccination anti-Covid-19 aux plus jeunes (pourtant non menacés, sauf cas exceptionnels, par les formes graves de la maladie) dans les conditions de précipitation actuelles.De même, ces manifestants refusent la banalisation des contrôles, non seulement par les forces de l’ordre, mais par les particuliers eux-mêmes, qui donnent l’image d’une société où chacun devient le gendarme d’autrui. Ils s’inquiètent des lourdes sanctions prévues contre les restaurateurs en cas de défaillance dans la tâche de surveillance qui leur est désormais dévolue. L’image des terrasses de café placées sous contrôle (malgré un risque de contamination infime) devient le symbole de leur malaise.Ne commettons pas d’amalgame entre la plupart des manifestants et les groupes extrémistes qui profitent des circonstances pour se joindre aux cortèges chaque samediCette sensibilité libérale et égalitaire (en d’autres temps, on eût dit «républicaine») qui s’exprime à ce jour dans le mouvement anti-passe mérite bien autre chose que les coups de menton, le mépris et les caricatures. Ne commettons pas d’amalgame entre la plupart des manifestants et les groupes extrémistes qui profitent des circonstances pour se joindre aux cortèges chaque samedi.Après le psychodrame des masques au début de 2020, la crise de confiance vient se greffer sur ce rejet. Les Français n’ont pas oublié que les plus hautes autorités de l’État s’étaient formellement engagées au printemps 2021 – alors que la situation sanitaire était au moins aussi préoccupante qu’aujourd’hui – à ne «jamais» (sic) appliquer le passe sanitaire pour les actes de la vie quotidienne. Comment croire désormais les promesses selon lesquelles cet outil ne serait que provisoire?Même les prévisions alarmistes sur le «variant Delta», qui propagent la peur, ne parviennent plus à convaincre tant les annonces apocalyptiques dans un passé récent ont été démenties par les faits. Quant à la menace du retour au confinement ou au couvre-feu, elle ne permet pas davantage d’étouffer le mouvement anti-passe, tant elle est perçue comme une forme de chantage.La courbe des vaccinations, enfin, est en hausse extrêmement rapide, constante et continue depuis trois mois, ce qui signifie que sa fulgurante progression, fondée sur le volontariat, est bien antérieure à l’annonce de l’obligation de passe sanitaire: 7 millions de personnes ont reçu deux doses le 1er mai ; 12,7 millions le 1er juin ; 23,5 millions le 1er juillet et 35,5 millions le 1er août.Les dirigeants politiques quels qu’ils soient tiennent les Français (des «sans-dents» aux «Gaulois réfractaires») pour beaucoup moins intelligents et moins responsables qu’ils ne le sont. Le contexte préélectoral et l’obsession de la présidentielle n’arrangent rien: donner des signaux d’autorité à n’importe quel prix du côté de l’exécutif, ou des gages de sérieux du côté de LR, ne favorise pas la sérénité du débat.
© Maxime Tandonnet
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