Dans un roman noir aussi échevelé que documenté, Michaël Prazan autopsie la folie de l’Armée rouge japonaise.
#HISTOIRE.
Souvenirs du rivage des morts, Michaël Prazan, Rivages, 208 p., 18 €. Publication : 8 septembre 2021.
Il est assurément l’un des romans les plus impressionnants de la rentrée. Souvenirs du rivage des morts restitue la fresque échevelée de l’Armée rouge japonaise des années 1960 jusqu’à sa course vers l’abîme. Et ses fantômes qui hantent toujours l’histoire politique du Japon et celle du terrorisme mondial. Il s’appelait Yasukazu Sanso dans ces années-là. Années 1960 et 70, des étudiants se mettent en rébellion politique et contre-culturelle face au capitalisme et l’impérialisme. Ils sont aussi révulsés par les exactions de leurs pères durant la seconde guerre mondiale et le non-dit institué. L’Armée rouge japonaise professionnalise son terrorisme à partir de 1972, elle s’internationalise dans les camps d’entraînement palestiniens au Liban. Ses actions violentes qui essaiment en Asie, en Israël ou en Europe marquent les dérives sans retour. Aujourd’hui sous l’alias de monsieur Mizuno, il est un retraité sans relief, le patriarche d’une famille de la classe moyenne aisée et très agile dans la mondialisation du 21e siècle. Mais sous les rides du vieux Japonais, se dissimulent les brûlures du passé. Sanso-Mizuno, personnage central, est fictif ou plutôt une synthèse de ceux et celles qui tentèrent tant bien que mal de s’extraire de l’engrenage meurtrier et de la nasse mentale dans laquelle ils s’étaient engagés. Les souvenirs s’enflamment lorsque dans un grand hôtel de Bangkok, monsieur Mizuno retrouve un spectre du terrorisme international. Et sa vie qui n’est qu’inquiétudes sourdes depuis sa « traîtrise », l ‘abandon de la cause, et sa clandestinité, doit affronter tous les effets du faux oubli, intimes, familiaux, politiques.
À l’heure du djihadisme expansif, on pourrait croire que les épisodes sanglants de l’Armée rouge japonaise relèvent d’un passé définitivement scellé. Il n’en est rien.
Prazan écrit des scènes hallucinantes sans forcer son talent, elles sont toutes vraies et tellement folles qu’il lui a fallu plutôt les refroidir avec une écriture clinique. L’organisation est sectaire et pratique l’hygiénisme idéologique. L’autocritique est le vestibule de la mort de celui ou celle qui la prononce, le groupe élimine le rebut ou l’oblige à s’auto-exécuter. Peu à peu, au fil des années, on suit les modifications psychologiques et les positions de personnages –encore vivants – qui ont construit ce réseau sanguinaire. Les frustrations, de toutes sortes, la psychologie étouffante, le pouvoir de fer et les mesquineries des petites cheffes et des mini timoniers, les alliances contre-nature, le carburant de l’antisémitisme sécrètent un biotope effroyable. À l’heure du djihadisme expansif, on pourrait croire que les épisodes sanglants de l’Armée rouge japonaise relèvent d’un passé définitivement scellé. Il n’en est rien. D’une part, nous rappelle le romancier, les invariants de la violence terroriste et de son mode de fonctionnement collectif se transmettent de cause en cause. D’autre part, le Japon n’ a pas terminé de solder les comptes même si Fusako Shinegobu la fondatrice redoutée , condamnée à 20 ans de prison en 2006, a déclaré la dissolution du groupe armé, auteur de près de 200 assassinats et d’une centaine de blessés.
En bon documentariste se penchant au bord des haines incandescentes (Les Fanatiques ; L’Écriture génocidaire ; Le Massacre de Nankin ; Einsatzgruppen ; Une Histoire du terrorisme ; Frères musulmans), Michaël Prazan connaît de nombreuses ruses des pensées totalitaires et des violences politiques. À cette aune, sa fresque noire de l’Armée rouge constitue un rappel terrible et passionnant.
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