Les combattants islamistes prennent le contrôle de nouvelles villes tous les jours. Ils ont désormais conquis la majorité du pays.
Les talibans se rapprochent inexorablement du pouvoir en Afganistan, vingt ans après le renversement de leur régime. En une poignée de jours, le mouvement islamiste a réussi à conquérir près de la moitié des capitales provinciales du pays. Les violents combats ont poussé des dizaines de milliers de civils à fuir leur foyer.
Cette avancée à un rythme effréné s’inscrit dans le contexte de départ des dernières troupes américaines, deux décennies après leur arrivée. Comment ces combattants islamistes sont-ils parvenus à mener une telle offensive ? Qui sont ces insurgés fondamentalistes qui ont dirigé ce pays d’Asie centrale de 1996 à 2001 ? Quelle est leur histoire ? Eléments de réponse.
D’où viennent les talibans ?
Les talibans sont des combattants politiques qui ont émergé dans les années 1990 dans le sud de l’Afghanistan, dans la région de Kandahar. “Leur objectif initial était de débarrasser l’Afghanistan de tous les groupes armés qui se disputaient le pays depuis la fin de la guerre contre l’URSS“, entre 1979 et 1989, explique Gilles Dorronsoro,professeur de science politique à l’université Paris 1 et chercheur spécialiste de l’Afghanistan.
Certains d’entre eux avaient d’ailleurs combattu les soviétiques en tant que moudjahidines [combattants pour le jihad] durant la guerre contre l’URSS et avaient alors reçu le soutien des Etats-Unis, ennemis de Moscou durant la guerre froide.
A la fin de la guerre contre l’URSS, ces combattants ont été rejoints par des milliers de jeunes hommes d’origine pachtoune, l’ethnie majoritaire en Afghanistan. “Ilsétaient originaires des campagnes, de milieux pauvres, ils s’étaient réfugiés durant la guerre au Pakistan ou avaient combattu l’URSS”, précise Ashley Jackson, autrice d’études sur les talibans au sein de l’Overseas Development Institute, un groupe de réflexion indépendant basé à Londres.
Quelle est leur doctrine ?
Nombre de talibans ont été formés dans des madrasas, des écoles coraniques, au Pakistan. “Talib” ou “taleb” signifie d’ailleurs “étudiant” en arabe. La doctrine de ce mouvement islamiste fondamentaliste repose sur deux piliers, selon le centre pour la sécurité et la coopération internationales de l’Université de Stanford*, aux Etats-Unis : des règles coutumières pachtounes et une interprétation rigoriste de l’islam.
“Ce sont des islamistes sunnites extrêmement conservateurs, dont le but est d’avoir un véritable gouvernement islamique, un Etat et une société basés sur une interprétation bien plus stricte de l’islam”, poursuit auprès de franceinfo Ashley Jackson.
Les talibans, contrairement à des mouvances comme Al-Qaïda, n’ont pas d’objectif international. “Leur seul objet de lutte, c’est l’Afghanistan”, relève France Culture.
Comment ont-ils pris le pouvoir ?
Au milieu des années 1990, les talibans se présentent comme les seuls capables de mettre un terme au chaos provoqué par les combats entre moudjahidines. Ils disent vouloir “pacifier l’Afghanistan” en apportant sécurité et lutte contre la corruption, souligne Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l’Afghanistan. “Quand les talibans ont commencé à progresser dans les zones rurales, ils ont mis fin à la violence”, poursuit Ashley Jackson.
L’avancée talibane débute dans le Sud, avec la prise de Kandahar. Puis, en deux mois, le mouvement conquiert 12 provinces. La capture de la capitale afghane, Kaboul, intervient en septembre 1996 “sans grande résistance”, d’après Kaweh Kerami, professeur de sciences politiques à l’université américaine d’Afghanistan, qui était enfant lorsque les talibans ont conquis la ville. “Leurs promesses étaient attrayantes pour des habitants épuisés des combats et de la corruption”, se remémore-t-il. “Nous ne savions pas” ce qui allait suivre.
A quoi ressemble la vie sous leur contrôle ?
Peu après leur arrivée au pouvoir, “les talibans ont rapidement fait usage de méthodes médiévales de sanctions, comme des exécutions publiques”, relate Kaweh Kerami. “La vie était régie par la peur. Quelqu’un pouvait vous arrêter et vous placer en prison sans raison”, se souvient Sher Jan Ahmadzai, directeur du Centre d’études afghanes de l’université du Nebraska. Le chercheur, au service de la présidence afghane entre 2002 et 2007, était réfugié au Pakistan et relate s’être rendu à plusieurs reprises en Afghanistan sous le régime taliban.
“J’ai été témoin de pendaisons en place publique. Des amis ont été battus car ils avaient regardé un film indien. Les gens n’avaient pas le droit d’écouter de la musique.”Sher Jan Ahmadzai, chercheur à France Info.
Les talibans veillent scrupuleusement au respect de leurs règles fondamentalistes, à l’aide de patrouilles de la police du “ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice”, comme le relève CBS*.
Un extrait du documentaire Afghanistan : vivre en pays taliban, diffusé sur Arte, illustre ce contrôle perpétuel des mœurs en territoire taliban: “La première chose qu’on fait [en arrivant dans un village], c’est fermer l’école, car elle suit le programme scolaire du gouvernement afghan, explique un commandant taliban. A la place, on installe nos propres écoles religieuses qui suivent notre programme et forment les talibans.”
Dans ces territoires, les femmes n’ont aucun droit. “Des images de femmes sont retirées des livres scolaires, elles ne peuvent pas sortir seules. L’éducation secondaire leur est interdite”, ainsi que toute possibilité de travailler, décrit Ashley Jackson. En conséquence, “de nombreuses veuves de guerre ne pouvaient pas gagner leur vie”.
Les talibans, selon les chercheurs interrogés par franceinfo, sont incapables de répondre aux besoins de la population. “Il n’y avait pas de services publics, de système bancaire, la plupart des hôpitaux étaient gérés par des ONG”, pointe Sher Jan Ahmadzai.
Pourquoi les Américains les ont-ils combattus ?
Peu après le 11-Septembre, l’administration Bush cible les talibans, accusés de protéger et de cacher en Afghanistan les leaders d’Al-Qaïda, responsables des attentats. Face à leur refus de livrer ces terroristes, le président américain décide d’envahir le pays. Le 7 octobre 2001, de premiers bombardements sont menés contre les forces talibanes.
“Il existe une affiliation idéologique entre les talibans et Al-Qaïda, souligne auprès de franceinfo Kaweh Kerami. Certains leaders talibans étaient d’anciens moudjahidines, comme l’était Oussama Ben Laden. Ils ont créé des liens au cours de la guerre froide”. Al Qaïda fournit en parallèle un soutien financier aux fondamentalistes afghans.
Qu’a changé cette guerre pour les talibans ?
Les talibans sortent renforcés de vingt ans de guerre. Ils ont notamment profité de la baisse des effectifs occidentaux présents à partir de 2003, en raison de la guerre en Irak. Au niveau diplomatique, les talibans sont devenus des interlocuteurs légitimes pour la Russie, l’Iran ou encore la Chine.
Fin février 2020, ils signent avec les Etats-Unis l’Accord de Doha fixant les conditions du retrait des troupes occidentales . Le gouvernement afghan est absent de cet accord et les talibans ne s’y engagent à presque rien, hormis à ne pas attaquer les forces étrangères dans le processus de retrait. “L’accord de Doha est un boulevard pour les talibans : l’Amérique devient impotente sur le terrain, l’Otan est obligé de s’en aller”, rappelle Georges Lefeuvre, chercheur associé à l’Iris, spécialiste de l’Afghanistan.
Dans leur discours, les combattants se veulent plus ouverts. “lIs assurent que s’ils arrivent au pouvoir, les femmes auront le droit de travailler, d’aller à l’école, que la presse sera libre”, décrit Karim Pakzad.
“Mais à chaque fois que les talibans annoncent des mesures d’ouverture, ils finissent leur phrase en disant qu’elles s’effectueront ‘dans le cadre de la charia’.”Karim Pakzad, chercheur à l’Iris à France Info.
Les talibans d’aujourd’hui “sont même pires que ceux des années 1990, juge Victoria Fontan, professeure des universités en études de la paix et de la résolution des conflits et vice-présidente des affaires académiques à l’université américaine d’Afghanistan, basée à Kaboul. Ils savent négocier avec la population, ils savent parler aux journalistes, ils savent utiliser Twitter pour répandre leur propagande”, décrit-elle.
Mais leurs objectifs sont toujours les mêmes. Dans chaque ville conquise, les écoles sont fermées et remplacées par des écoles coraniques enseignant leur vision de l’islam. “Toutes les professeures de mon université ont reçu des menaces de mort, comme une note sur une voiture disant : ‘on sait où tu travailles'”, illustre l’universitaire.
De quelles ressources disposent-ils aujourd’hui ?
Leurs effectifs sont importants. “Nous ne connaissons pas le chiffre exact”, mais le mouvement compterait autour de 75 000 combattants aujourd’hui, d’après Kaweh Kerami. L’Université de Stanford* estimait, en 2018, à 60 000 le nombre d’insurgés talibans.
Sur le plan économique, les talibans bénéficient de nombreuses ressources. Ils ont mis au point un système d’imposition particulièrement rentable, et d’autant plus au fil de leurs avancées. “Ils imposent des taxes sur les passages à la frontière, sur les agriculteurs, sur les commerçants… Il s’agit de l’une de leurs principales sources de revenus”, détaille la chercheuse Ashley Jackson. Le commerce de l’opium, dont l’Afghanistan est le premier producteur mondial, est également “une part très importante de leur budget”, grâce à des taxes sur cette production.
Les forces talibanes bénéficient également de financements extérieurs, comme des donations “de musulmans radicaux sympathisant avec les talibans”, poursuit Kaweh Kerami. Plusieurs ONG basées au Pakistan, en Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis “participent aussi au financement des talibans” en collectant la zakat, l’impôt islamique, pour venir en aide aux veuves et orphelins du jihad, souligne Georges Lefeuvre.
Comment parviennent-ils à mener une offensive aussi rapide ?
“Ils n’ont pas fait la même erreur qu’en 1994-96, lorsqu’ils menaient une guerre de conquête du pays”, analyse le chercheur de l’Iris. A cette époque, les insurgés avaient d’abord conquis les zones pachtounes dans le sud et l’est du pays, avant de prendre le pouvoir à Kaboul. Puis, ils avaient essayé de prendre le Nord, où vivent principalement des Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks, mais n’avaient que partiellement réussi à cause, entre autres, de la résistance des “seigneurs de guerre” [des commandants de milices] présents dans la région.
Cette fois, ils ont préparé le terrain. Des défections ouzbeks et tadjikes sont venues renforcer leurs rangs et ils se sont emparés en moins de trois mois de la quasi-totalité des districts du Nord et de l’Ouest.
“Seul le centre du pays reste sous contrôle de l’Etat. Le reste du pays, de peuplement pachtoune à l’Est et au Sud, d’où sont originaires les talibans, leur est déjà quasiment acquis.”Georges Lefeuvre, chercheur associé à l’Iris à France Info.
Il reste des endroits où les combats sont acharnés, mais dans 80% des cas, l’armée afghane rend les armes sans résistance, selon Georges Lefeuvre. Le 8 août, les talibans se sont ainsi emparés de Zarandj, une ville de 200 000 habitants près de la frontière iranienne, sans que l’armée ne montre la moindre opposition. “On a pu les voir ensuite parader dans des Humvees [véhicules de transport militaire américains]. On voit bien qu’ils récupèrent des moyens que les Etats-Unis avaient mis à disposition de l’armée afghane.”
Que fait l’armée afghane pour les arrêter ?
Face à l’avancée inexorable des talibans, le gouvernement d’Ashraf Ghani est impuissant. Depuis 2014, la lutte contre les insurgés s’est faite essentiellement par voie aérienne, mais l’armée afghane est incapable d’entretenir l’aviation laissée par les Américains lors de leur départ et ses capacités sont très diminuées.
De plus, les forces afghanes n’ont pas forcément une bonne image auprès de la population. Ces dernières années, “la majorité des victimes civiles ont été tuées par les opérations aériennes des armées afghane et américaine”, rappelle Georges Lefeuvre. Résultat, dans les zones tribales pachtounes, des chefs de tribus encouragent même les soldats à ne pas se faire tuer pour rien et à rendre les armes.
“Le rapport de force en faveur des talibans est clair. Je ne vois pas comment le gouvernement pourrait ne pas chuter d’ici quelques mois.”Gilles Dorronsoro, spécialiste de l’Afghanistan à France Info.
Le président Ashraf Ghani ne compte d’ailleurs plus sur l’armée pour vaincre les talibans, mais a fait appel aux “seigneurs de guerre” pour les combattre. Pour le moment, “la seule force nationale organisée en Afghanistan, ce sont les talibans”, poursuit Gilles Dorronsoro.
Je n’ai pas eu le temps de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?
Depuis le début du retrait des troupes occidentales d’Afghanistan, les talibans, des fondamentalistes islamistes, mènent une offensive effrénée pour reprendre le contrôle du pays, qu’ils ont dirigé de 1996 à 2001. Au 13 août, ils contrôlaient plus de la moitié des capitales provinciales, dont plusieurs situées dans le Nord, une région qui leur avait pourtant toujours résisté par le passé.
Face à leur avancée, le gouvernement d’Ashraf Ghani est impuissant. Ses troupes, affaiblies après vingt ans de guerre, sont incapables de résister sans le soutien américain. Le président afghan a fait appel à des “seigneurs de guerre” pour les contrer. “En 1992, c’est dans un contexte similaire que l’Afghanistan avait sombré dans une guerre civile épouvantable”, rappelle le spécialiste Georges Lefeuvre.
* Tous les sites ou articles vers lesquels mènent ces liens sont en anglais.
Elise Lambert – Valentine Pasquesoone
http://t.nl.francetvinfo.fr/r/?id=h7af205dc,65e7d3f4,5f17ed81
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