En cette mi-août, avec du côté géopolitique, l’intronisation d’un assassin de masse à la présidence de l’Iran, les provocations du Hezbollah et le fiasco occidental en Afghanistan, et du côté médiatique la grotesque déclaration contre l’apartheid israélien parue dans Libération et le silence de la France avant la future diabolisation d’Israël orchestrée sous le nom de Durban IV, les motifs d’inquiétude et de colère ne manquent pas à l’observateur sensible au judaïsme et à Israël.
C’est pourtant d’un sujet bien loin de cette actualité dont je vais parler aujourd’hui, celui des Juifs de Carpentras et de leur magnifique synagogue, la plus ancienne de France encore en activité.
Ce sont les bénévoles de la communauté qui en organisent la visite d’une manière aussi compétente que chaleureuse et je ne saurais trop conseiller à ceux qui passent leurs vacances en Provence de la visiter, car il est bien différent de voir un monument historique désaffecté et une synagogue prise en charge par une communauté vivante, qui malgré sa petite taille, y maintient des offices hebdomadaires et la remplit lors des grandes fêtes.
Lieu de prières où les rouleaux de la Tora s’échelonnent entre le 16ème siècle et l’année 2018 et Local de réunion communautaire, ce fut aussi un mikve, une boulangerie de hallot et de matzot et un espace pour l’abattage rituel. Il y avait une geniza et il reste le minuscule fauteuil qui attend que le prophète Elie vienne conduire les exilés à Jérusalem. D’ailleurs pour certains des Juifs de la ville, enserrés dans leur terrain rétréci, entre les portes de ce qu’on appelait la « carrière » qu’on fermait à la tombée de la nuit, autant pour protéger que pour séparer, Carpentras était déjà une préfiguration de Jérusalem.
Ils n’ont jamais été très nombreux, un peu plus d’un millier peut-être, dans cette ville, capitale d’un Comté Venaissin attribué au Pape au XIIIème siècle par son allié, le Roi de France qui, après la croisade sanglante des barons du Nord contre les cathares albigeois du Languedoc voisin, mettait le pied dans le sud du pays.
Au XIVème siècle c’était devenu un refuge pour les Juifs, expulsés à plusieurs reprises du royaume de France, alors que la Papauté avait quitté Rome et s’installait en Avignon.
La doctrine religieuse impliquait en effet de maintenir les Juifs en position d’humiliation, mais interdisait de les tuer. Et c’est ainsi que les Juifs des Etats du Pape, stigmatisés par leur chapeau jaune, ne furent pas victimes des assassinats qui survinrent à l’occasion de la Peste Noire de 1348, où on les accusa d’empoisonner les puits, comme en Alsace où un tiers des Juifs disparurent avant même que l’épidémie n’arrive.
Eh oui, de la peste au coronavirus, des prédicateurs de la fin du monde jusqu’à quelques fous furieux de l’antipass sanitaire, de l’assimilation des Juifs aux microbes par les nazis et leur séide, le docteur hygiéniste Destouches, alias Céline, à la propagation du Sida dans l’eau des puits comme le prétendait Mme Arafat, l’association des Juifs aux miasmes morbides a toujours eu du succès.
Ce n’est évidemment pas que la situation des Juifs dans les carrières des quatre villes du Comtat où ils furent cantonnés, les Arba Kehilot d’Avignon, Carpentras, Cavaillon et l’Isle sur Sorgue, ait été enviable. Mais ils y vivaient et transmettaient leurs traditions, alors que la France, en dehors de la Lorraine et de l’Alsace, très tard tombées dans l’escarcelle des rois, refusa de les admettre jusqu’à la Révolution. C’est alors que le Comtat Venaissin devint français, et ses Juifs avec lui.
Leur nombre diminua alors car ils purent habiter tout le pays et le judaïsme comtadin, très réduit dans l’entre-deux guerres, aurait disparu si les Juifs d’Afrique du Nord n’avaient pas pris le relais de son histoire si singulière .
Au sortir de la vieille ville de Carpentras, il y a aussi le cimetière juif. Le 10 mai 1990, on y fait une découverte macabre: au milieu de stèles renversées, le corps nu de Frédéric Germon, mort quinze jours auparavant, a été sorti de son cercueil avec un mat de parasol glissé entre les jambes, suggérant un essai d’empalement. La réaction politique nationale est unanime: la responsabilité de Jean Marie Le Pen dont les déclarations sur les Juifs et la Shoah avaient été particulièrement ignobles au cours des mois précédents est pointée du doigt. 200 000 personnes manifestent dans les rues de Paris contre l’antisémitisme et le racisme, à leur tête le Président de la République, François Mitterrand.
Le négationnisme et l’extrême droite avaient alors le vent en poupe en Europe après l’effondrement du communisme. L’opposition à la loi Gayssot, laquelle était alors en cours d’examen, risquait de développer des synergies entre des démocrates hostiles pour des raisons de principe à cette loi contre le négationnisme et un Front National flirtant avec lui. Il en a résulté une manipulation des médias par les dirigeants socialistes pour rendre toute perspective d’alliance entre la droite et l’extrême droite moralement impossible.
En réaction est apparue la thèse de jeux de rôle dans le cimetière par des fils dépravés de la bourgeoisie de Carpentras, thèse complotiste à laquelle certains habitants continuent de croire aujourd’hui. L’enquête piétina; six ans plus tard, un néonazi vint s’accuser d’avoir monté avec quelques amis l’ignoble mise en scène. Or, ces gens n’avaient pas de lien avec le Front National.
Aujourd’hui, à Carpentras, le rappel de ces événements entraîne un malaise, car l’affaire a laissé une tache injustifiée sur le nom de la ville dont la fréquentation avait baissé et dont des commerces avaient fait faillite. Le Front National a malheureusement pu se victimiser du fait de sa mise en cause également injustifiée et cela a été un facteur dans ses succès électoraux, dont celui de Marion Maréchal dans cette partie du Vaucluse.
Le Comtat Venaissin qu’il faut retenir n’est pas celui de la profanation. C’est celui d’une longue transmission. C’est aussi celui de deux hommes qui ont marqué leur temps, Adolphe Crémieux, infatigable défenseur des Juifs persécutés dans le monde et promoteur de l’Alliance israélite universelle et Bernard Lazare, sans qui le capitaine Dreyfus serait resté condamné et oublié, et sans qui « J’accuse » n’aurait pas été écrit.
Tous deux sont nés à Nimes, mais descendent de ces Juifs si longtemps fidèles à leurs traditions qu’il vaut mieux ne plus appeler Juifs du Pape, mais Juifs comtadins.
© Richard Prasquier
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Richard Prasquier Chronique sur Radio J chaque mercredi matin à 7 heures
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