Ce livre de quelque cent soixante pages est dédié à Shmuel Trigano qui en avril 2019 invita Pierre Lurçat à donner un séminaire sur les “mythes de l’antisionisme” à l’Université populaire du judaïsme.
Le livre que j’ai entre les mains est fondé pour l’essentiel sur ce séminaire.
Une fois encore, je vais présenter ce livre en suivant sa structure, avec notes de lecture méthodiques. J’espère simplement que celles et ceux qui me liront auront l’envie de lire ces pages.
Sa structure : cinq chapitres précédés d’un préambule et d’une introduction. Ces chapitres sont constitués de blocs (ou de sous-chapitres) dont les titres sont imprimés en italiques, séparés du bloc précédent et du bloc suivant par un espace, ce qui facilite grandement une lecture très dense. Par cette structure et cette mise en page, on est invité à prendre son temps, à faire des haltes et à réfléchir. Les notes placées en bas de pages sont assez nombreuses mais n’alourdissent pas la lecture. Dans ces notes, des liens Internet. La bibliographie occupe trois pages.
Dans ce livre, Pierre Lurçat s’emploie à démonter cinq mythes (présentés en cinq chapitres) dont les titres sont respectivement :
1. Le mythe de la Nakba et la création d’Israël
2. Le mythe du “génocide du peuple palestinien”
3. Le mythe de l’État d’apartheid
4. Le mythe du Shoah-business : la Shoah comme révélateur de la pathologie antisioniste
5. Le mythe du “peuple palestinien souffrant” et la négation du peuple juif.
Dans le préambule, on peut lire : “Dans le cadre de ce livre, nous nous attacherons à répertorier et analyser les thèmes majeurs du discours et de l’idéologie antisionistes, pour comprendre les ressorts et les failles de cette idéologie“. Pierre Lurçat se propose en quelque sorte de soulever le capot sous lequel sont placés ces cinq mythes (qui sont autant de slogans) afin de détailler cette mécanique, comprendre son fonctionnement tout en prenant note de ses faiblesses.
Combattante de la Haganah
Introduction (page 9 à page 26)
Les cinq formes de l’antisionisme contemporain :
Première forme. La contestation de l’existence nationale du peuple juif. Ses origines sont à rechercher dans la théologie chrétienne et musulmane et dans des idéologies politiques dont le communisme, des idéologies auxquelles certains Juifs ont adhéré.
Deuxième forme. La contestation du droit des Juifs à constituer leur État. Avant 1948, il s’agit d’un débat exclusivement théorique ; et au sein même du peuple juif, certains ne sont pas sionistes, pour des motifs divers, une question qui n’entre pas dans le cadre de cette étude. Depuis 1948, cette contestation traduit une volonté explicite d’en finir avec l’État d’Israël.
Troisième forme. De la délégitimation de l’État d’Israël à sa diabolisation. Voir l’article 15 de la Charte du Hamas.
Quatrième forme. La contestation radicale de la politique israélienne. La dénonciation de la politique israélienne conduit trop souvent, derrière un paravent, à criminaliser l’État juif.
Cinquième forme. Le sionisme envisagé comme Internationale sioniste (version modernisée de l’Internationale juive).
C’est la forme la plus radicale de l’antisionisme (une paranoïa) dans laquelle se trouvent les origines historiques de l’antisionisme contemporain.
Les origines historiques de l’antisionisme : l’antisionisme soviétique, l’antisionisme arabo-musulman ; et nous laisserons de côté d’autres formes plus mineures.
L’antisionisme soviétique a survécu à la chute de l’Empire soviétique et a muté à la manière d’un virus. L’antisionisme d’aujourd’hui ne peut être pleinement appréhendé si l’on ne passe pas par l’étude même succincte de l’antisionisme soviétique. Les Juifs sont très vite accusés d’être les responsables de la Révolution d’Octobre (ou Révolution bolchevique), d’où la désignation accusatrice de judéo-bolchevisme. Ils sont massacrés par les armées blanches et certains d’entre eux trouvent refuge dans le nouveau pouvoir qui se défend d’être antisémite. Avec Staline, les relations se compliquent. Il commence par déjudaïser le corps diplomatique à la veille de la Seconde Guerre mondiale. 1947, l’Union soviétique soutient la naissance d’Israël. 1948-1953, l’antisémitisme d’État devient particulièrement imposant. Un moment clé de la structuration de l’idéologie antisioniste stalinienne, le procès Slansky, à Prague, au cours duquel un truc simple mais qui se révélera d’une redoutable efficacité (et qui reste toujours très efficace, qui est même toujours plus efficace) : le terme “sioniste” se substitue à celui de “juif”, étant donné qu’un régime socialiste doit bannir l’antisémitisme, cette chose de l’ancien monde. Ainsi, tout Juif devient un sioniste.
Le procès Slansky contient en germe les grands délires de l’idéologie antisioniste, toujours virulente, une idéologie qui dessine au moins trois axes :
Premier axe. Israël « base avancée » des États-Unis ou, plus généralement, de l’Occident.
Deuxième axe. Israël est né d’une conspiration. Voir le « plan Morgenthau » dans le procès Slansky.
Troisième axe. La volonté belliqueuse et maléfique de l’État d’Israël qui hier voulait détruire l’U.R.S.S. et qui aujourd’hui veut détruire la Palestine, voire la nation arabe, voire l’islam.
Après la guerre des Six Jours (1967), l’antisionisme d’origine soviétique se voit réactivé, principalement en Occident, avec l’islamo-gauchisme, mais aussi dans le monde arabo-musulman et plus généralement musulman. Il reste très actif et rien n’indique qu’il soit prêt à prendre sa retraite. L’antisionisme musulman n’est pas une simple transposition de l’antisémitisme européen, même si ce dernier “enrichit” le bagage théorique de ce premier. Bat Ye’or démonte cette fausse idée assez généreusement véhiculée et elle distingue les domaines de la judéophobie en Orient. Elle en répertorie trois :
1. Le domaine européen activé par la théologie d’origine chrétienne mais aussi des facteurs économiques, politiques et sociaux.
2. Le domaine christiano-oriental soit l’antisémitisme chrétien dans un monde très majoritairement musulman.
3. Le domaine islamique (Coran, hadiths, charia).
Bat Ye’or est connue pour ses travaux sur la dhimmitude, un concept qu’elle a élaboré à partir du mot dhimmi. La dhimmitude est toujours très active. Bat Ye’or s’est attachée à l’étude de l’antisionisme des Chrétiens d’Orient antisionistes, très actifs et dont les motivations sont à la fois théologiques et politiques.
Le discours antisioniste arabe est très hyperbolique et la langue arabe se prête à cette figure de style. Il y aurait une énorme anthologie à établir à ce sujet, en particulier dans ses déclarations relatives à l’État juif. Dans les élans de ce discours, un élément-clé : la crucifixion et, plus généralement, le recours au lexique et à la thématique anti-judaïques chrétiens. Bref : les Juifs tuent Jésus, mais aussi les Chrétiens et les Musulmans, ce qui suppose une solidarité entre les dhimmis chrétiens et les maîtres musulmans.
Autre élément du discours antisioniste arabe et islamique : le complot juif international. 1964, année de la création de l’Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.). Il faut lire sa Charte, en particulier l’article 22 où se retrouvent, calqués, les mécanismes mentaux mis en œuvre au cours du procès Slansky. Selon cet article, le sionisme est “lié à l’impérialisme international” et il est raciste (un slogan repris et voté par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1975). Le Hamas dans sa charte constitutive de 1988 reprend cette rhétorique dans l’article 14 et l’article 17. Cette Charte mêle l’antijudaïsme traditionnel musulman et les modernes théories du complot, style “Les Protocoles des Sages de Sion”. L’introduction de la charte du Hamas s’inscrit dans la filiation des Frères musulmans avec cette décoction d’antijudaïsme musulman des origines et d’antisémitisme européen.
L’article 7 de la Charte du Hamas vise à relier ce mouvement dans une double filiation historique, celle des Frères musulmans et la palestinienne. L’article 11 de cette Charte est au cœur de la conception islamiste du conflit israélo-arabe, soit la Palestine comme fondation islamique (waaf) avec tension eschatologique.
Les mouvements islamistes contemporains poursuivent des objectifs politico-religieux qui repoussent ou écrasent tout ce qui s’y oppose.
La Charte du Hamas est un mouvement apocalyptique comme le sont les autres mouvances islamistes contemporaines : Hezbollah, Al-Qaida, État islamique, etc.
L’”antisémitisme global radicalisé” (une expression élaborée par P.-A Taguieff) est inscrit au cœur de la vision islamiste du monde (voir la Charte du Hamas).
Internet active cet antisionisme et l’étend au monde entier. De l’U.R.S.S. de Staline et du monde arabo-musulman, cet antisionisme est passé dans le tiers-monde puis en Occident au point de devenir une idéologie dominante dans les universités et les médias de masse.
Le vieil antisémitisme est parti à la retraite, l’antisionisme est dans la force de l’âge et se livre à toutes sortes d’activités.
© Olivier Ypsilantis
En lisant « Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain » de Pierre Lurçat – 1/4
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