Les cartons d’invitation sont imprimés, il faudra désigner deux tantes ou deux cousines, elles seront chargées de les remettre personnellement à chaque famille, c’est mépriser ses invités que de leur envoyer par tout autre moyen les faire-part.
Il faut les prier d’assister aux fêtes qui se préparent, insister, parfois supplier pour s’entendre dire « Eh bien nous allons réfléchir à notre présence parmi vous ! » ( Il est de bon ton de laisser planer le doute, nous n’attendons pas ce mariage pour bien manger, nous avons de quoi nous régaler chez nous ! )
Le signal est donné, après les cartons d’invitation, les festivités commencent par l’élaboration des confitures.
Les bassines en cuivre encombrent la cuisine, les sacs de sucre s’amoncellent sur la table et ça et là toute une palette de couleurs de fruits et de légumes, calibrés et choisis dans leur pleine maturité : des aubergines pas plus grosses que le pouce, des cédrats parfumés qu’il faut brosser longuement avant la cuisson, du citron vert, des clémentines, des pamplemousses et des oranges, autant de bassines que de fruits à confire.
Les fleurs d’orangers sont les plus délicates à manipuler, les enfants aussi participent aux préparatifs, avec leurs doigts fins et agiles ils détachent les pétales des fleurs et en amassent plusieurs bassines car il faut 5 kg de pétales pour 500g de confiture. Tous ces parfums se mélangent aux épices qu’il faut ajouter mais le plus subtil et le plus persistant reste celui qu’exhalent les pétales des fleurs d’orangers, pour eux, point d’adjonction de musc, cannelle ni autre gomme arabique, leur seul parfum suffit à en faire la plus appréciée des confitures.
Tout ce que la famille compte de tantes et de grand-mère est là, plus pour se réjouir que pour aider. Ces préparatifs incombent à la famille de la mariée, les confitures accompagnent la future épousée lors du bain rituel, quant aux gâteaux, ils seront servis après la présentation du trousseau.
Après les confitures, il faut entamer la semaine des gâteaux, des pâtisseries exclusivement aux amandes et aux noix pouvant être préparées longuement à l’avance sans s’altérer.
Les knadels, petites étoiles de pâte très fine fourrées aux amandes donnaient le signal d’une longue série de gâteaux épousants toutes les formes géométriques, de l’étoile, au cœur, en passant par les cercles briochés appelés « pallébi ». Ces gâteaux si ronds et rebondis que les bébés irrésistibles se voyaient affublés de cette appelation ! « Il ressemble à une pallébi », dit- on d’un bébé joufflu.
Tous ces gâteaux étaient conservés dans des coffrets cartonnés longs et plats, c’était l’emballage d’origine des chemises masculines lorsqu’elles en étaient encore pourvues. Personne ne s’en débarrassait, car commençait pour cet emballage une autre vie : celle de boîte à gâteaux.
Les confitures alignées, les cartons soigneusement superposés, les préparatifs allaient bon train : la présentation du trousseau pouvait commencer.
Le trousseau de la mariée était exposé dans la maison paternelle, des nappes finement brodées, des parures ajourées, tout ce que la maman avait amassé depuis de longues années en prévision de cette journée. Il fallait aussi penser au marié, 3 pyjamas : il faut prévoir tous les temps, une sortie-de-bain, une robe de chambre et tout le nécessaire liturgique depuis les phylactères jusqu’au châle de prière dont le plus précieux devait provenir d’Israël, tissé dans de la soie et béni par le rabbin le plus érudit. Les « visiteuses », avant de se restaurer, parcouraient les chambres en connaisseuses, parfois, elles froissaient les étoffes entre les doigts pour s’assurer de leur qualité et finissaient la visite en félicitant la maman pour son goût et la belle mère pour sa chance.
Le lendemain de la présentation du trousseau, les soffrim rédigeaient sous l’autorité paternelle l’acte de mariage religieux « La Kétouba » dans lequel sont notifiées les obligations du futur époux ainsi que toutes les restrictions et devoirs que le paternel apportait à cet engagement. En l’absence du mariage civil, la Kétouba était le garant des droits de la mariée.
Ainsi une forte somme d’argent convertie en louis d’or était convenue en cas de divorce par la volonté de l’époux ou en cas de décès de ce dernier. Plus la famille était fortunée, plus la somme était importante. Parfois, le futur époux en témoignage du grand amour envers sa dulcinée annonçait une somme astronomique dont il n’avait pas le moindre kopeck, cela faisait rire toute l’assemblée, il avait beau ajouter au million annoncé tous les zéros qu’il désirait, il ne pourrait de toutes façons s’en acquitter ?
À l’inverse, la rédaction de la Kétouba donnait parfois lieu à des ruptures fracassantes à 4 jours du mariage car personne n’était d’accord sur la somme apposée, chacun campait sur ses positions malgré l’arbitrage des rabbins. Il est vrai, que par cet acte, le père de la mariée comblait les nombreuses défaillances du droit mosaïque envers les femmes.
C’est cette même Kétouba spécifique à chaque famille qui est lue sous le dais nuptial à l’issue des 7 bénédictions du mariage les « Chéva bérakhot »
Après le trousseau vient alors le repas des Rabbanims de la ville ainsi que celui des enseignants des divers Talmud Thora, ce repas voyait défiler 5 plats. Le poisson aux citrons confits et poivrons rôtis donnait le signal d’une succession de viandes et volailles de toutes sortes, seuls les desserts n’étaient pas trop élaborés, de simples corbeilles de fruits clôturaient ces agapes.
L’ultime repas avant la bénédiction nuptiale était celui des nécessiteux de la ville, en général c’était le plus fastueux, il fallait les gâter encore plus que les autres, d’une part par souci d’équité, et d’autre part, ils sont bavards et peuvent en un repas bâclé détruire la réputation d’une famille.
La veille de la Houppa, notre timide et rougissante fiancée doit se rendre au Mikvé, les confitures accompagnent la future épousée. Elles sont disposées dans des coupes, et remises à toutes les femmes qui l’accompagnent en chantant et en dansant. Notre héroïne doit ce jour abandonner sa pudeur car toutes les femmes présentes veulent la frotter et la masser. Pendant toute cette période, plus personne ne l’appellera par son prénom, c’est désormais la calla.
La belle mère, au prétexte de participer à la toilette de sa future bru l’examine avec insistance dans toute sa nudité, elle n’aura plus l’occasion de la voir ainsi. Les tantes poussent la plaisanterie et la font tourner dans tous les sens pour attester qu’elle est bien belle et qu’elle n’a aucun défaut visible. Les rires et les chants fusent de toute part, cette cérémonie exclusivement féminine est un moment débridé très joyeux.
La mariée est lavée, massée, frottée, elle doit maintenant passer entre les mains de la responsable du mikvé, celle-ci vérifie tout son corps : les mains, les ongles, les cheveux, aucune impureté ne doit faire obstacle à l’immersion complète et à la purification du corps. Par trois fois, notre héroïne plonge dans l’eau pure en répétant en hébreu : au nom d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, je me purifie afin que mon union soit sanctifiée selon la loi de Moïse et d’Israël.
Cette joyeuse bande raccompagne la mariée dans la maison familiale où elle va être fêtée par toutes les amies et les femmes de la famille.
Parée d’une somptueuse robe de velours richement brodée de fils d’or, appelée « Kssouah kébira » littéralement : la grande tenue, robe qui se transmet de mère en fille et qui est prêtée lorsqu’elle fait défaut à une famille. C’est un très lointain héritage des ségnoras de Cordoue et de Séville, que nos aïeules portaient les jours de fête. Par cette tradition Sépharade, nous continuons à tisser le fil ténu de la mémoire 5 siècles plus tard.
Au fil des ans et des diverses diasporas, les Juifs du Maghreb ont transformé cette fête en « soirée du Henné », analogie du mariage typiquement arabe. Un cercle de pâte brune formé de poudre de henné diluée dans du parfum est apposé au creux des mains des mariés et des invités. C’est un signe d’allégresse et de félicité. Suivent une succession de paniers dorés, lourdement chargés de chaussures, lingeries et parfums. Ce sont des offrandes que le fiancé destine à sa promise.
En Europe, les Sépharades, nostalgiques de leur passé en terre d’Islam, cherchent à renouer avec leurs racines et continuent à tricoter le fil de l’errance. Cette soirée gaie et colorée est une parenthèse folklorique qui ne revêt aucun caractère religieux dans le rituel du mariage. Les femmes, parées de leurs caftans scintillants évoluent gracieusement au son de la musique andalouse. Toutefois, lorsque le bon goût fait défaut, y règne une grande cacophonie où la mariée plus déguisée qu’habillée est transformée en entraîneuse de cabaret.
Le lendemain, c’est le grand jour, les mariés doivent jeûner toute la journée, par cet acte, ils expient tous leurs pêchés. La mariée entre à la synagogue au bras de sa mère jusqu’au dais où l’attend son futur époux. Les 7 bénédictions du mariage sont chantées et l’union est célébrée. Le mari passe alors un anneau en métal à l’index de son épouse et s’engage à la protéger et à la chérir toute sa vie.
À l’issue de la cérémonie, le marié d’un coup de pied énergique casse un verre en souvenir de la destruction du temple de Jérusalem. Ainsi même dans les moments d’allégresse, il ne faut pas oublier que le temple fut détruit.
Les époux sont maintenant isolés quelques minutes seuls, le mari soulève le voile de son épouse pour s’assurer que c’est bien elle. Cela, afin de lui éviter les désagréments de Jacob, qui a découvert dans sa couche Léa alors qu’il avait choisi Rachel, trop tard, le mariage était consommé.
La fête bat son plein, les convives dansent et font sauter les mariés sur des chaises, au moment du dîner, on cherche les mariés, Chut…. ils se sont éclipsés.
Ma cousine Robida s’est ainsi mariée, j’avais 4 ans, j’ouvrais des yeux émerveillés sur toutes ces festivités.
©Annie TOLEDANO-KHACHAUDA
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