Il y a 4 ans ma Grand-mère avait 92 ans. Aujourd’hui elle en a 96 et est toujours là pour témoigner, aujourd’hui, plus que jamais… et nous sommes là pour prendre la relève…
Hier, ramenée en arrière par les commémorations de la Rafle du Vél d’Hiv, ma grand-mère a écrit ce petit texte que je vous livre. Merci Mamima.
1ère partie:
“LE 16 JUILLET 1942…
J’avais 17 ans et 11 jours, le 16 juillet 1942. J’avais passé l’écrit de mon premier bac (qui, en ce temps se passait en deux ans), j’étais admissible à l’oral et convoquée, pour l’examen, à la Sorbonne au matin du 16 juillet.
La veille, notre vieille concierge Mme Robert qui connaissait bien ma grand’mère, locataire de l’immeuble depuis 1903, lui avait dit : “Mme Heuman, il y a des rumeurs dans le quartier ; on parle de rafles cette nuit contre les Juifs. Ce n’est pas prudent de rester chez vous. Venez dans ma cave on ne viendra jamais vous chercher là”.
L’immeuble, un fort bel hôtel aristocratique du XVIIème siècle, n’avait que trois étages d’habitation mais deux étages en sous-sol où se trouvaient les caves. Chacune, (ma grand’mère, ma mère et moi – père et grand-père étaient déjà morts) nous avons pris une petite valise avec le “nécessaire” et après le dîner nous sommes descendues à la cave de Mme Robert et assises sur ces valises.
Je ne sais pas combien de temps nous y sommes restées, toute la nuit en tout cas, sur les valises, jusqu’à que je voie, sur ma montre, qu’il était l’heure de me préparer pour aller passer l’oral…
Nous sommes remontées de la cave, rentrées à l’appartement. Nous entendions les cris et les hurlements de ceux qu’on arrêtait ; le quartier, juste derrière la Place des Vosges, qu’on appelle le Marais, était peuplé de beaucoup de Juifs, il était en état de siège.
Ma mère m’a dit : “Il est hors de question que tu sortes, avec ton étoile jaune, tant pis pour le bac. Ils ne sont pas venus nous chercher, peut-être ne viendront-ils pas.”
Elle avait raison mais j’étais décidée à passer “mon bac d’abord”…
Comme elle avait fermé la porte d’entrée à clé, je suis passée par la fenêtre : nous habitions au rez de chaussée avec de grandes fenêtres donnant sur la grande cour carrée, après le porche et la porte cochère, c’était la rue.
Le quartier était en état de siège. Des flics en civil (avec leur chapeau mou ) et en uniforme, des autobus réquisitionnés à quasiment tous les coins de rue et des cris, des cris…
J’ai vite compris.”
Voilà la suite du récit de ma grand-mère. 2ème partie:
“J’ai vite compris que le seul moyen de me rendre à la Sorbonne était d’aller à pied : le métro était une souricière, tous les bus étaient pris par la rafle. Evidemment, je portais l’étoile, bien visible sur ma robe d’été.
En quittant la maison, par la rue de Turenne, la rue St Antoine, j’ai gagné la Seine. Je ne sais plus combien de temps il m’a fallu pour y arriver. Très longtemps sûrement car chaque fois que j’apercevais un flic je me cachais derrière une porte cochère, très nombreuses dans ce vieux quartier, et j’attendais qu’il soit passé. Je n’ai jamais oublié la peur qui m’a tordu le ventre pendant tout le trajet. Je ne suis pas sûre qu’un mois plus tard, le passage en fraude de la ligne de démarcation à découvert dans un champ, non loin de la patrouille allemande, ait été plus paniquant.
Jusqu’à la traversée de la Seine, au pont St. Michel, le risque était là, palpable, à chaque minute. Je me sentais seule, en danger, dans la foule. La remontée du boulevard St. Michel aurait pu être moins angoissante mais je ne me rendais pas bien compte que la rafle s’était arrêtée à la Seine. Je pensais toujours, avec raison, que si un flic m’arrêtait et me demandait mes papiers, barrés du gros tampon rouge « JUIVE », ce serait fini.
Mais comment aller passer le bac sans papiers ?…
Je suis arrivée à la Sorbonne, dans la salle d’examens. Le premier prof qui m’a interrogée (physique ou maths, je ne sais plus) m’a tout de suite demandé, en voyant mon étoile et mon nom et ma figure, sans doute : “Où avez-vous passé la nuit pour être dans cet état-là ?”
J’ai raconté. Il m’a fait asseoir, m’a parlé très gentiment, très doucement. Je crois qu’il ne m’a pas interrogée et m’a mis une bonne ( ?) note.
Je lui dois mon bac, pas seulement à cause de la note mais parce que, grâce à lui, j’ai repris mes esprits, j’ai retrouvé un certain calme, je me suis reposée quelques instants et j’ai pu affronter l’examinateur suivant qui était son contraire, ce que les lycéens appelaient “une peau de vache”, cherchant à faire tomber l’élève…
Je ne saurai jamais s’il était ce genre de prof ou simplement antisémite, genre “Le Pilori”.
J’ai eu la chance de rencontrer le premier examinateur qui m’a fait relativiser mes jugements.”
© Simone Dreyfus-Gamelon 16 juillet 2017 (je viens d’avoir 92 ans)
Puisqu’il est indispensable de transmettre, je le fais, de tout coeur … Ce témoignage est magnifique et fait penser à Simone Veil !
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