21 Juillet 1942. La honte du Vél d’Hiv.
Deux photos. Le rapport administratif du 21 juillet et “La Poupée du Souvenir” d’Henri Caillavet.
LE RAPPORT
C’est un sommet de la rationalité instrumentale, qui correspond en gros à ce qui, dans la philosophie kantienne, est qualifié “d’impératif hypothétique”. C’est la raison calculante mise au service de la performance organisationnelle ou technique. Ou “comment s’organiser pour être les meilleurs possibles dans l’exécution des tâches. Même les pires”.
Froideur administrative du texte, violence extrême.
“Ramassage des Juifs” : les “Juifs” sont donc des objets ou des paquets à ramasser ? Pour les envoyer où ?
“Hier à 17 heures” : la précision du scribe. Aujourd’hui ce serait fait à 17 heures, 19 minutes et 08 secondes, avec diffusion sur les réseaux sociaux ….
“Avec les résultats suivants” : la raison instrumentale, au service de la performance ….. Aujourd’hui ce serait avec des stats en direct, âge, taille, poids, couleurs des yeux, cheveux et des calculs instantanés, d’adéquation, d’homogénéité, d’indépendance, super précis …. Pour être encore plus performants la fois suivante ?
En réalité: des milliers de familles détruites, qui ne demandaient qu’à vivre tranquillement leur vie, des enfants, désespérés, séparés de leurs parents – déjà envoyés vers les chambres à gaz – parqués seuls dans des camps, car on ne savait pas quoi en faire en attendant la décision administrative de les envoyer eux aussi vers la mort …
Comme est réputé l’avoir dit Robert Brasillach (Louis le Grand, Normale Sup) au lendemain de la déclaration indignée de l’archevêque de Toulouse provoquée par la rafle du Vel d’Hiv : “il faut se séparer des juifs en bloc et ne pas garder les petits”…. Fusillé le 6 février 1945, grâce refusée par de Gaulle. Merci.
Heureusement qu’il y a eu “des Justes”. Mais leur nombre sera toujours insuffisant pour effacer la honte ….
“LA POUPÉE DU SOUVENIR” D’HENRI CAILLAVET (1914 – 2013)
Longue carrière politique, résistant du mouvement Combat, député, sénateur, secrétaire d’état, grand législateur.
Il me confie lors d’un déjeuner en 2007, une histoire dramatique dont il fut le témoin.
Il ferme les yeux et appelle sa mémoire. Fin 1943. Il voyage dans un train dans sa région aquitaine. À ses côtés un couple et une petite fille d’environ 6 ans qui tient dans ses bras une petite poupée de chiffon sans doute comparable à celle-ci. Arrivée en gare. Attente. Sifflets, cris, hurlements, bruit de bottes. Inquiétude. Policiers français. Inspection. La famille présente ses papiers. Les policiers vérifient, agressifs, veulent en savoir plus ….
“Vous n’habitez pas ici, Mais si, Vous êtes juifs, Mais non, etc…”
On s’énerve …
Les policiers : “Suivez nous” .
La fillette suit ses parents en trottinant derrière eux, la poupée tombe dans le couloir, elle veut la ramasser, un policier la repousse, elle pleure, la poupée reste à terre, piétinée …
Ils disparaissent tous dans la gare. Le train repart.
H. Caillavet, témoin de la scène, bouleversé, ramasse la poupée et la range dans son sac. “Nous savions à cette époque que les Juifs arrêtés partaient vers des destinations inconnues … J’ai imaginé cela … Et en pensant à la petite fille et à ses parents, ne sachant pas ce qui leur était arrivé, mais redoutant le pire, je suis allé un jour enterrer la poupée dans mon jardin … pour leur donner une sépulture”.
Il avait encore les larmes aux yeux. Soixante quatre ans après.
Voilà. Rien d’autre à dire.
Sauf ceci: “Never forgive, never forget. Never”.
© Alain Graesel
Alain Graesel est Professeur des Universités
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