Sarah Cattan. Mila : « jugement » demain pour 13 prévenus

Alors que demain mercredi seront rendues les décisions dans l’Affaire qui oppose Mila à 13 de ses cyber-harceleurs et que jeudi soir Schibbolet tiendra un séminaire intitulé Le sens des limites / Cyberhaine – Masse et violence ; quid de la démocratie, j’avoue me perdre en conjectures et me demander combien ça coûte d’avoir fichu en l’air à jamais la vie de Mila, laquelle aurait commis deux pêchés : blasphémer, mais encore l’avoir fait avec un vocabulaire que nombreux saisirent comme lâche prétexte pour détourner le regard, lorsqu’ils ne vinrent pas la flinguer en donnant chacun l’avis que sollicitait un journaliste lambda et dont tous nous nous fichions bien.

Bien sûr une pétition. Et Bien sûr nombreux, de Bruckner à Enthoven, signèrent pour Mila, comme s’ils ignoraient l’impact zéro de ces Tribunes réservées à un entre-soi et qui jamais ne remplaceront nos lâchetés indicibles : nous nous sommes tous et trop longtemps payés de mots et alors que nous ne descendîmes pas dans les rues lorsqu’ils égorgèrent un de nos professeurs, alors que longtemps nous regardâmes ailleurs, laissant entrer sur nos terres ceux qui voulaient nous contraindre, nous voilà, continuant à fustiger les pourfendeurs de la République, les nommant avec une feinte audace, nous aussi derrière nos écrans, « meutes de barbares ». Pour garder la face.

Mila n’est qu’un révélateur des effets de l’Islam sur notre vie à tous et sur la sienne propre. Mais il lui est répondu qu’à semer le vent elle aura récolté la tempête. Il lui est reproché … sa vulgarité. Laquelle fut qualifiée … d’impossible. Et la leçon lui fut faite par le représentant-même du culte musulman en France. Si celui-là, Zekri, fit entendre sa voix avant que de faire semblant de désavouer  les attaques contre l’adolescente, d’autres, telles les associations néo-féministes françaises, se distinguèrent par un silence indigne et nul n’oubliera les prises de position hostiles d’un Cyril Hanouna, d’une Ségolène Royal, d’une Raquel Garrido ou d’une Nicole Belloubet. Enfin, ne nous salissons pas en citant un Taha Bouhafs ou une Lauren Bastide, la journaliste et militante féministe qui refuse de partager une telle vision raciste et irrespectueuse des musulman-e-s de France mais encore qui s’offusque qu’on soutînt autant celle-là et non pas Alice Coffin ou Rokhaya Diallo, régulièrement victimes d’insultes sexistes et racistes sur les réseaux sociaux.

On en pleurerait.

Mila, faut-il le redire, s’en est pris à l’islam et non aux musulmans. Les attaques aux confessions et aux dogmes sont autorisées par le système juridique.

On la vit donc, au centre de la toute première grande affaire du nouveau parquet contre la haine en ligne, face à ces 13 prévenus, chiffre dérisoire face aux 100.000 messages de haine reçus. 13 donc. Inculpés dans le cadre d’une enquête du nouveau pôle national de lutte contre la haine en ligne.

Qui se présentèrent eux-mêmes comme les victimes, la palme de la bêtise mais encore image de notre soumission revenant au client de Juan Branco, entré et sorti à plusieurs reprises de la salle d’audience qu’il finit par ré-intégrer, cigarette à l’oreille.

Qui demain écoperont au mieux de peines symboliques. Le parquet n’a-t-il pas requis des peines d’emprisonnement avec sursis sans inscription au casier judiciaire B2 contre douze des prévenus et sollicité la relaxe d’un treizième, alors que Richard Malka, en réparation de la lapidation numérique subie par Mila, avait sollicité 5 000 à 10 000 euros de dommages et intérêts à l’encontre de chacun des prévenus.

La vie de Mila depuis ce jour où elle osa répondre à un lourdingue insistant? Sa mère et la jeune fille ont pu la décrire lors du procès. Cette impression « d’avoir des lignées de couteaux derrière le dos« , Cette envie d’en finir. Cette absence d’avenir. Mais aussi une jeune fille lumineuse de maturité qui affirmait ce soir-là : Je ne me soumettrai pas. L’affaire Mila ne me définit pas.

Il y aura un avant et un après ce procès. Nous sommes en train de poser les règles de l’acceptable et de l’inacceptable en matière de haine en ligne, avait tonné le 21 juin le Président du tribunal, Michaël Humbert.

Richard Malka, pour sa part, avait rappelé que si cette affaire avait débuté sur les réseaux sociaux, l’ensemble de la société avait également échoué à protéger Mila : Aujourd’hui, je défends une jeune femme de 18 ans exclue de l’école, parce que l’école de la République ne peut pas assurer sa sécurité. Aucun des agresseurs de son lycée n’ont été sanctionnés. Puis la cinquième armée mondiale a expliqué qu’elle non plus ne pouvait pas assurer sa sécurité. Elle est toujours confinée, et elle n’y aura pas de vaccin pour elle !

Elle ne peut plus voir d’autres êtres humains, voir des gens de son âge, être prise en photo. Elle n’a rien fait, commis aucune infraction, une enquête a été ouverte sur ses propos et rien n’a été trouvé. Quand je sais ça, je regarde mes pieds et j’ai honte. C’est insoutenable cette situation-là.

C’est de notre faute. On apprend à ces jeunes dans nos familles, à l’école, qu’il faut respecter les religions. Mais non, il ne faut pas les respecter ! Il faut en discuter. Ils ne font aucune distinction entre blasphème et racisme. On a oublié de dire à ces gens qu’on a le droit de ne pas respecter une religion.

Evoquant les harceleurs, Malka répéta : Ils écrivent Par pitié qu’on lui broie le crâne et expliquent que c’est comme Passe-moi le sel. Il y a quelque chose qui n’est pas passé dans la transmission des valeurs. Il faut aussi expliquer aux jeunes qu’on a le droit de ne pas être accord, mais qu’on n’a pas le droit de s’injurier ou de se menacer de mort. Mais leur a-t-on appris ça ? Leur a-t-on dit ?

Outre l’utilisation par les réseaux d’algorithmes qui ne savent pas encore différencier une critique d’une insulte, l’avocat dénonça cette incapacité desdits réseaux sociaux à considérer les insultes comme susceptibles d’être retirées, selon une lecture américaine de la liberté d’expression, et s’exprima sur la question de l’anonymat en ligne : Sur l’anonymat, il y a plusieurs sujets. Si je suis une féministe de 20 ans qui ne partage pas l’opinion des mouvements féministes anciens ou récents, il est compliqué de s’exprimer sous mon nom pour formuler des idées. Si je suis journaliste, j’ai le droit d’avoir un pseudo pour me protéger dans le cadre d’une investigation. L’anonymat permet de se protéger mais pas d’insulter. La réponse n’est pas d’interdire l’anonymat.

Ni l’école publique Ni la police Ni l’armée n’ont pu, ne peuvent et ne pourront garantir, au sein d’une enceinte scolaire, la sécurité de Mila, désormais déscolarisée, cachée, sous très haute protection policière pour échapper à une pression de masse, tandis que ses harceleurs poursuivent une vie normale. Quel que soit le verdict, la vie de Mila restera bouleversée à jamais.

Alors que les signataires de la tribune déclaraient Il faut que cela cesse, d’autres, aux côtés d’Elisabeth Badinter, se demandaient comment guérir ce chaos qui régnait dans trop d’esprits[1]. Cet irréductible culot de déraison figée que n’entame aucun instrument de pensée, pour reprendre les mots de Clemenceau.

Rien de rien ne changera la situation de Mila. Il y aura toujours quelqu’un pour l’identifier et réactiver sans fin le cercle infernal. Une fatwa sans plus besoin d’autorités religieuses pour l’émettre, comme jadis avec Salman Rushdie, écrit à raison Stéphane Encel. Et de nommer les principaux ennemis, lâcheté, ignorance, inertie.

Souvenez-vous : Alors que se vidait la salle où siégea la 10ème chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, Mila s’était avancée devant nous et avait lu d’une voix lasse les messages reçus pendant l’audience-même : « T’es tellement moche que même Satan il te voit, il pleure de la mocheté, personne t’aime, va te pendre grosse race de paysanne. […] Tu te prends pour qui sale LGBT […] T’inquiètes pas, tu vas entendre parler de moi. […] Tu fais de la peine, tu vas devenir mon souffre-douleur« .

Jeudi, donc, Le sens des limites / Cyberhaine – Masse et violence ; quid de la démocratie. Via Zoom.


[1] Mila, l’ivresse de puissance des petits dieux derrière leurs écrans. Sabine Prokhoris, Liliane Kandel, Catherine Kintzler, Jean-Éric Schoettl. Le Figaro. 1er Juillet.

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1 Comment

  1. Dire que Rockaya Diallo et Alice Coffin seraient victimes d’insultes racistes et sexistes alors qu’elles incarnent le summum du racisme et du sexisme (et de l’ignorance crasse) nous rappelle que la fachosphère islamiste/indigéniste n’existe qu’en inversant systématiquement les rôles : c’est-à-dire en culpabilisant les victimes (dont Mila fait évidemment partie) et en victimisant les bourreaux. La place de RDiallo tout comme celle de Dieudonné est en prison.

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