Sous le couvert d’une missive ironique à un candidat au bac, Francis Métivier, professeur de philosophie, dénonce les changements de règles de notation qui conduisent à une dévaluation désastreuse de l’épreuve de philosophie.
A toi, l’élève inconnu du bac philo, puisque ta copie est anonyme, je t’envoie une réponse en faisant un usage public et non anonyme de ma raison. J’espère ainsi qu’elle te parviendra. Ta copie traduit de façon édifiante l’ensemble des problèmes devant lesquels l’institution a mis les professeurs de philosophie, durant cette année scolaire et en particulier pour la correction de l’épreuve de philosophie.
Je vais donc me servir de ton “travail” pour illustrer comment le système lui-même a fait du bac philo un désastre institutionnel, désastre dans lequel tu as sauté à pieds joints. Dans ta copie, tu me fais rapidement comprendre que ta priorité du jour n’est pas de réussir l’épreuve mais de sortir de la salle à l’issue du temps réglementaire : une heure. Pour passer le temps, tu commences à traiter le sujet que tu as choisi (“Discuter, est-ce renoncer à la violence ?”) par quelques réflexions.
Tu me parles de “bastons” dans les cours de collège, de “castagne” et des “gens qui ne se maravent pas la gueule pour le plaisir“. Après cette idée géniale, tu me mets au courant du temps qui passe : “J’ai encore 45 minutes à tuer.” Puis tu te soucies de mon sort (merci) : tu envisages trois hypothèses expliquant pourquoi je n’ai pas abandonné la lecture de ton propos au bout de quinze lignes.
1 – “Si vous lisez encore ce que je dis, c’est soit parce que c’est intéressant… ” : oui, je suis curieux de voir jusqu’où tu vas aller.
2 – “(…) soit parce que vous êtes obligé par les directives de notre cher Blanquer (ou “Blanquette” pour les intimes)” : en fait, le métier de professeur de philosophie consiste notamment à évaluer des copies du bac. Je ne te fais donc pas une fleur en te lisant, mais mon travail normal.
3- “(…) soit parce que vous avez du temps à tuer.” Ce n’est pas grand-chose mais sache que, grâce à ta copie, tu m’as fait gagner 5 euros (enfin, “tu me feras gagner” car il faut cinq mois à l’administration pour s’acquitter de son dû).
Le jeu des petits arrangements
Ensuite, tu me souhaites “bonne chance pour cette année” (l’année est finie, non ?), “vous devez être désespéré de voir des copies comme les miennes“. Désespéré, non. Ton propos est tellement convenu, tellement téléphoné. Il est le fruit de la mesure-phare de notre ministre de l’éducation nationale, qui a scandaleusement cédé à la pression de quelques lycéens : t’offrir de deux notes, l’une, la meilleure entre ta moyenne annuelle et la note de l’épreuve finale.
Vient alors le moment fort, là où tu voulais en venir, ce qui semblerait être pour toi le bras d’honneur suprême : “Je me suis arrangé pour avoir la moyenne au contrôle continu.” “Arrangé”, c’est bien le bon terme. Car pour les élèves de ta trempe, la manœuvre a bien consisté en des arrangements, des petits arrangements.
Combien sommes-nous, parmi les professeurs de philosophie, à avoir supporté, dès l’annonce du ministre, le marchandage d’élèves médiocres au plan moral, qui ont voulu voir leur moyenne augmenter artificiellement, sous prétexte de bienveillance, et en réalité pour pouvoir stopper (ou ne pas commencer) le travail de préparation à l’épreuve.
La pression de quelques parents et d’élèves pleurnichards
Cela dans un seul but : partir de l’épreuve au bout d’une heure. Pire : combien de chefs d’établissement (et ce dans toutes les disciplines) ont demandé à des professeurs de monter artificiellement les moyennes, tellement la pression de quelques parents et d’élèves pleurnichards a été importante ?
Dans cette affaire, cher élève inconnu, il faut remarquer que les professeurs de philosophie n’ont pas toujours été soutenus et que l’administration, sous la pression de la division des examens et concours des rectorats, a penché du côté de la médiocrité et cédé à bien des “arrangements”, au détriment de ce pour quoi un lycée existe : l’enseignement.
Je viens de finir la correction de 131 copies. Et je dois dire, en consultant les moyennes de plusieurs jurys, que le niveau de l’épreuve est en baisse. Je devrais dire : les incohérences, les changements de règles de dernière minute et la démagogie du ministère de l’éducation nationale – démagogie relayée par les corps intermédiaires entre le ministère et nous – ont produit cette baisse, ainsi que ta copie, cher élève inconnu. Inconnu mais attendu.
La marionnette de l’échec d’une institution
Tu n’es au fond que le résultat de ces incohérences, la marionnette de l’échec d’une institution qui n’a pas vu qu’elle s’opposait à ce à quoi elle disait pourtant tenir : la philosophie. Cher élève inconnu, je termine en te disant que tu aurais pu réussir ton bac philo. Tu écris, à propos du sujet : “Seules les personnes qui ne veulent pas se battre vont penser que discuter, c’est renoncer à la violence.“
L’idée est très intéressante ! Tu aurais pu la démontrer, avec le Calliclès de Platon, l’état de nature selon Hobbes ou le Fight Club de Fincher. Je pense même qu’en restant quatre heures tu aurais pu être très brillant ! Mais hélas, quand on te demandera “combien tu as vraiment eu en philo, à l’épreuve du bac ?”*, au lieu de répondre, humble en apparence et fier intérieurement, “j’ai eu 17” (je pense que tu en étais capable), tu répondras l’air malin mais désabusé au fond de toi-même “j’ai eu 01”.
Je te souhaite un bel été.**
* Quelle que soit la note retenue, les élèves pourront voir leur copie d’épreuve.
** Si tu vas à la plage, n’oublie pas de lire mon Kant à la plage (Dunod, 2019).
Francis Métivier est professeur de philosophie au lycée Duplessis-Mornay de Saumur (Maine-et-Loire)
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