L’Analyse d’Edith Ochs. Strasbourg, la fanfare des quat’z arts (2)

Hôtel de Ville de Strasbourg

Depuis son élection à la mairie de Strasbourg, il y a un an, l’écologiste Jeanne Barseghian et son équipe ne cessent d’attirer l’attention. On retient, entre autres, le scandale du financement de la mosquée « turque » Eyyub Sultan, puis le refus de voter la définition européenne de l’antisémitisme de l’IHRA. 

Identitaire et communautariste, selon L’Huma

Malheureuse coïncidence, le jour où le financement de la mosquée Eyyub Sultan a été décidé au conseil municipal, la maire avait rejeté sèchement le vote sur la définition de l’antisémitisme de l’IHRA (l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste) qui établit un lien entre antisionisme et antisémitisme. Ce n’est pas à l’ordre du jour, répète Mme Barseghian d’un ton ferme et obstiné face à l’insistance de Jean-Philippe Vetter. On ne peut s’empêcher d’y voir un manque d’empathie pour ceux qui ne font pas partie du premier cercle… voire du deuxième.

Soudée, issue d’associations aux intérêts bien circonscrits, précis, aide aux devoirs, sport, jeunesse, intégration, la Quinzaine culturelle iranienne, un soutien au PC turc, etc. l’équipe semblerait moins soucieuse d’être à l’écoute des habitants « historiques » de la ville, perçus comme des « bourgeois ». Riches ou pauvres, malades ou bien portants, heureux ou malheureux, ce sont des « privilégiés ».

Le refus sec de l’adoption de la définition de l’IHRA n’a pas été critiqué seulement par la communauté juive de Strasbourg, mais aussi par le grand rabbin Haim Korsia qui indiquait « regretter profondément » cette décision. Certes, une semaine plus tard, un tract de L’Humanité volait au secours du conseil municipal de Strasbourg, pour expliquer « le rejet légitime du texte » de l’IHRA, parlant d’une définition « indigente, ambigüe voire dangereuse » qui nourrirait « les stéréotypes en évoquant ‘une certaine perception des juifs’. » Il y aurait « péril » à s’isoler des combats contre « les autres formes de racisme ». Foin des « revendications identitaires » et des « démarches communautaristes ».

Cette profession de foi n’a nullement convaincu les anciens édiles strasbourgeois, qui se sont désolidarisés de l’équipe en place. Les ex-maires Fabienne Keller (Agir) et Roland Ries (ex-PS) ont cosigné une tribune dans laquelle ils déclaraient « inquiétant » le refus d’adopter cette définition non contraignante. De même, Catherine Trautmann (PS) et Alain Fontanel (LR) ont exprimé leur désaccord avec la position obstinée de l’équipe actuelle. 

Pourtant, souligne le site de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), « les termes de sionisme et d’antisionisme ne figurent pas dans cette déclaration. » A ce jour, 29 pays l’ont adoptée, d’après le site de l’American Jewish Comittee, y compris des villes comme Paris, Nice, Berlin ou Vienne.

L’antisionisme, un permis d’agresser

Tentant de désamorcer la crise, Mme Barseghian a lu devant les conseillers une déclaration se réclamant de ses origines et de son arrière-grand-père arménien, assassiné lors de la rafle des intellectuels à Constantinople en 1915, pour affirmer qu’elle ne pouvait être indifférente à ce qui avait causé des millions de morts. Triste débat.

Le conseil municipal de Strasbourg a adopté finalement une version taillée sur mesure, qui « occulte la question de l’antisionisme », en soulignant que « la liberté d’expression et la critique de la politique de tout gouvernement », y compris celle d’Israël, sont « des droits inaliénables ». 

A croire que, chez certains, l’antisionisme vampirise toute capacité de penser. Comme l’a dit Vladimir Jankélévitch en 1967: « L’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission — et même le droit, et même le devoir — d’être antisémite au nom de la démocratie ! Antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. »

Du coup, maladresses et malentendus se sont multipliés, creusant l’écart, sans que cela semble donner l’alerte. A chaque agression antisémite, l’inquiétude monte dans la ville. Ainsi durant l’été, un jeune artiste, mandaté par la municipalité pour décorer un boîtier électrique, a été violemment agressé parce qu’il portait un T-shirt sur lequel figurait, entre autres, le nom d’Israël. « Interdit aux juifs et aux salopes, » a taggé l’un des agresseurs sur le sol. On a pu reprocher à la municipalité la mollesse de sa déclaration. 

Ignorance, bêtise, grossièreté ou maladresse… Lors de la commémoration de la Shoah, deux semaines plus tard, en pleine pandémie, la municipalité a omis d’inviter les membres de la communauté juive à la cérémonie. Celle-ci s’est donc déroulée en comité restreint, en présence de la conseillère communiste, sans survivants ni témoins de la déportation des Juifs de Strasbourg, qui furent si nombreux. Cet effacement rappelle les premières années de l’après-guerre, où l’on parlait pêle-mêle, sans distinction, des déportés, résistants gaullistes et communistes ayant la vedette, et les victimes juives étant effacées, anonymes, réduites au silence. Tant et si bien qu’on serait tenté de parler d’un retour du refoulé. 

Qui importe le conflit ?

Le mercredi 26 mai vers 9h, peu après la fin du conflit entre Israël et Gaza, un Algérien de 35 ans en situation irrégulière s’est posté devant la grande synagogue de la ville pour hurler : « Enculés de juifs, bande de bâtards, on va tous vous crever ». Aussitôt, le conseil municipal a unanimement condamné cet acte, refusant l’importation du « conflit ». 

Et pourtant… certains membres du conseil municipal se sont affichés sans vergogne en tête des manifestations anti-Israël. Le profil Facebook d’un conseiller affichait le drapeau palestinien dès le premier jour du conflit – il s’est empressé de le faire disparaître peu après. 

Juste avant la manifestation du 15 mai de « soutien à la Palestine », un autre conseiller municipal, « délégué à la lutte contre les discriminations », accusait publiquement, sur sa page Facebook, les Israéliens de violence à l’égard du peuple palestinien, parlant dans un même souffle de l’extermination des Arabes, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. Puis il enchaînait sur « la politique et les crimes d’apartheid » qui serviraient une « vision sioniste (…) portée par des courants religieux… » Autant pour la non-importation du conflit à Strasbourg, capitale du vivre ensemble.

Laïcité : un mot à bannir pour le conseil municipal 

Finalement, ce qui se voulait un chant choral s’est transformé, dès décembre 2020, en fanfare des quat’z arts. En décembre dernier, les élus écologistes et communistes à l’unisson derrière la maire Jeanne Barseghian, ont refusé l’intégration du mot « laïcité » dans le règlement intérieur du conseil municipal de la ville. « Nous ne sommes pas des agents de la fonction publique, » a lancé l’adjointe Catherine Zorn. Une adjointe communiste a parlé de « terrorisation des esprits » invoquant le « climat actuel ». 

« Nous nous sommes sentis insultés et choqués par les propos de l’adjointe parlant de zemmourisation (…) Je suis en colère, première fois que j’assiste à un tel débat » a dit Catherine Trautmann, ex-maire-PS.

Comme à Lyon, Bordeaux, Rennes, l’écologie s’est emparée de Strasbourg. On en a eu des échos au moment de Noël où ces grandes villes ont fait assaut d’imagination pour parler de la fête de l’Hiver et remplacer le sapin par des jeux de construction. 

On ne dira jamais assez que l’écologie est un sujet trop sérieux pour être confiée aux ignorants, aux adeptes de la décroissance et aux apprentis sorciers. Comme à Paris, les grandes métropoles sont fatiguées de la pollution et du bruit, mais aussi de la saleté qui voit prospérer les nuisibles.

A Strasbourg, Marie-Françoise Hamard, conseillère municipale EELV déléguée aux animaux dans la ville, a décidé de nous faire aimer notre environnement et pour cela, de « changer notre regard sur les rats et les punaises de lit » qui sont des « animaux liminaires ». Liminaires : n’est-ce pas par eux que tout re-commence ?


Juste pour info: la non présence de la maire au rassemblement rendu en hommage à Sarah Halimi, ni la maire ni l’un de ses représentants, ni même la présidente de l’Eurométropole.


 © Edith Ochs

Edith Ochs

Edith Ochs est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) « Les Falasha, la tribu retrouvée » ( Payot, et en Poche) et « Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan » (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduit de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.    

https://frblogs.timesofisrael.com/strasbourg-la-fanfare-des-quatz-arts-2/

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