L’école dite de « la réussite pour tous » a mis en circulation des meutes de crétins sous-doués (qui en d’autres temps auraient au moins eu vaguement conscience de leur insuffisance, congénitale ou pas, d’ailleurs) à qui on a commis l’erreur de donner une confiance en soi absolument inébranlable, une sorte de foi en tungstène sur leur valeur intellectuelle et leur irremplaçabilité.
Je ne parle même pas des diplômes et cursus en monnaie de singe mais qui donnent tout de même une grande suffisance à ceux qui croient les avoir obtenus de haute lutte. Ils ne sont évidemment concernés par aucune forme de doute et comme les zombies plus ou moins radioactifs, il est difficile désormais de les anéantir, encore que je m’y emploie tous les jours avec un certain succès.
Il y a de l’ivresse dans ce travail infini pour repousser l’armée jamais vaincue des Lémuriens. Leur destruction par le Logos, si c’est encore possible, est pourtant nécessaire. La Bêtise arrogante et inculte n’a pas été humiliée à temps.
Chacun fut jugé sensationnel et détenteur d’une singularité remarquable, a priori. Il eût fallu leur représenter qu’il n’étaient rien. La sinistre « bienveillance » prônée par les pédagogistes (et relayée par la société et les médias : « Reste qui tu es », « tu es merveilleux, ne change rien » -atroce, cette dernière expression- « Quel bijou tu fais ! etc.) a donné une effrayante assurance à des gens qui finalement… n’eussent dû jamais en avoir.
Il aurait fallu ne pas hésiter à leur faire honte, parfois. Car il est des cas où contrairement à ce qu’affirme Nietzsche, l’humanité consiste à ne pas épargner la honte à qui devrait être honteux.
Pour les plus minables d’entre eux, la stratégie qui consistait à se faire oublier ou à longer la muraille grise était pourtant, je le crois, celle qui était pour eux porteuse de la plus grande chance de survie dans ce bas monde et en tout cas au jour du Jugement.
On ne devient (vaguement) un homme qui peut parler un peu sans être immédiatement ridicule, qu’au terme d’une ascèse et d’un travail sur soi exceptionnels. Au commencement il y a le néant, et ce néant n’appelle à aucune prosternation.
Nous combattons, nous, tous les jours, notre néant et si nous demeurons ridicules, du moins nous le savons.
© Antoine Desjardins