« Talibanes » ou « femmes modestes » : les juives voilées

Le spectre noir se tient immobile. Il s’est figé au bord du trottoir d’un passage piéton. Le corps est dissimulé de la tête aux pieds. Même ses yeux sont invisibles. Ils se devinent. Lorsque le feu passe enfin au vert, le fantôme traverse d’un pas décidé la chaussée. Il semble flotter. Ses chaussures sont couvertes par le tissu de sa tenue. Il n’est pas rare de le croiser dans les rues de Jérusalem à proximité du quartier ultraorthodoxe de Méa Shéarim. À moins qu’il s’agisse de son double. Les fantômes font partie du paysage. Ils intriguent à défaut d’inquiéter. Sous les accoutrements se dissimulent des femmes juives. Les médias israéliens les surnomment «les talibanes». Elles préfèrent le terme de «femmes modestes».

Une femme haredit avec une Frumka Méa Shéarim. Wikipédia/CC BY-SA 3.0

Adel vit dans un immeuble moderne aux murs humides près du marché de Méa Shéarim, un quartier de ruelles et de passages sombres. Dans la cage d’escalier, les résidents parlent yiddish. Elle est née dans le Colorado dans une famille d’intellectuels sionistes religieux. Elle a fait son «switch», comme elle dit, après un divorce.

Adel est une «femme modeste» mais son degré d’observance ne va pas jusqu’à se couvrir totalement le visage. Sa fille aînée, Sara, 20 ans, porte en revanche la «burqa made in Israël». Elle l’admire et la jalouse. «Ce n’est pas une burqa puisqu’on ne voit pas les yeux, dit Adel à propos du voile intégral juif. Les yeux sont le reflet de l’âme, si un homme voit les yeux il voit son âme et si une femme est regardée cela l’encourage à regarder, cela attire les hommes », poursuit-elle. Sara s’est voilée à l’âge de 15 ans. Elle a suivi des études dans une école de Jérusalem spécialement dédiée aux « femmes modestes ».

Deux accessoires sont indispensables pour respecter la tendance « modeste ». Le redid, qui descend du haut du cou à la poitrine à la manière des carmélites, et la cape qui couvre ou pas le visage. La cape peut être de différentes longueurs: deux mètres, six mètres, quinze mètres selon l’interprétation des codes religieux. Pour tenir les capes les plus longues, portées par les plus radicales, une ventouse de déboucheur de toilettes maintenue avec un élastique est placée sur le sommet du crâne. Le bout de bois de l’engin est raboté. Sans ce « chapeau à pointe », le châle de 15 mètres tomberait quand elles marchent.

Dans les rues des secteurs ultraorthodoxes comme de la ville laïque, les fantômes noirs sont plutôt mal vus. Les «talibanes» n’ont pas la cote, il est fréquent qu’elles soient insultées. «Ma fille se fait régulièrement traiter de terroriste. On lui demande avec mépris pourquoi elle s’habille comme une Arabe», dit Adel. « Pour éviter les dangers d’être prise pour une Arabe, je circule sous mon voile intégral accompagnée de mon mari ou de mon fils. Quand je suis seule dans le bus, je passe des coups de fil pour qu’on m’entende parler hébreu ou je lis des psaumes », raconte F.

Peu de chiffres vérifiables circulent sur la galaxie des «modestes». Elle se concentre dans les quartiers haredim de Jérusalem et de Beit Shemesh. Les spécialistes évoquent des centaines de personnes concernées, voire des milliers en prenant en compte les familles. «Il semble que cette évolution réponde au regain d’islamisation chez les populations musulmanes, qui a démarré en Égypte dans les années 1970. Certes, on peut trouver des photos du début du XXe siècle de femmes juives très couvertes, certaines avec des grilles de dentelle sur le visage. Mais le plus souvent, sous l’effet du modernisme, le visage est dévoilé même si le cou reste caché», explique Noam Baram. Commissaire d’exposition, elle a présenté en 2019 au Musée de Jérusalem l’exposition « Femmes voilées en Terre Sainte » consacrée aux femmes voilées musulmanes, aux religieuses chrétiennes et aux femmes juives modestes. Elle a mené une soixantaine d’entretiens avec des « femmes modestes » et entend se tenir à l’écart des préjugés. « Je me suis intéressée aux juives, aux musulmanes et aux religieuses chrétiennes. Elles se ressemblent toutes dans leur habillement à des petites différences près, les juives étant les plus affirmatives dans la revendication de leur différence », rapporte l’ethnographe. Puis elle s’interroge: « Que se passe-t-il dans notre société pour que l’on voie fleurir ce type de phénomène ? Pourquoi le corps féminin devient-il le terrain de luttes idéologiques et religieuses ? Je ne peux pas oublier l’ambiance messianique dans laquelle baignent ces femmes. Elles reflètent une grande détresse et une peur qui sont très dangereuses.»

Source : Le Figaro                                                                                                Thierry Oberlé et Caroline Carlier

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2 Comments

  1. Oui,j’ai lu ce meme article dans “Le Figaro”.Il s’agit tout de meme d’un phenomene tres marginal,les chiffres avances ici ne reposent sur aucune statistique.
    Je les rencontre parfois au centre de Jerusalem et ,franchement,en tant que femme moi-meme,elles provoquent en moi un melange de colere et de pitie.
    C’est une derive qui n’a rien de juif et qui,je l’espere restera anecdotique pcq si cette derive se repand ,elle est effrayante.

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