Stéphane Encel. Mon père aimait passionnément son père…

Mon père aimait passionnément son père. Il l’a aidé longtemps à la confection, rue Villardouin. Il s’installait dans la pièce principale où trônait la machine, et commençait une infinie discussion avec lui, autour d’elle.

Je n’en sus pas davantage, je n’en saurais jamais plus. Elle devait être faite de silences, de respiration, de mots simples, de questions sans réponses et de réponses sans questions. Je crois que même Dieu aurait été gêné de s’immiscer dans cette intimité, où tous les interstices n’étaient qu’amour. Mais Il dut en sourire, Lui qui aime les silences et les suspens.

Et de tous les rivages qui accueillirent mon père, le poussant toujours plus loin de cet âge d’or, il ne cessa de converser.

Un jour qu’il vint rendre visite à son père à l hôpital, il ne trouva dans sa chambre que ses affaires pliées et son chapeau dessus.

Elie s’élève sur ses chars, et ne meurt pas; il est toujours là, et peut à tout moment revenir, l’éternel retour.

Mon père continua de converser secrètement, toujours, même si les silences étaient devenus assourdissants. Il maintint de toute son âme cette aube de la promesse, qui lui fit me dire, à notre dernier échange, sans raison, comme s’il s’agissait de la poursuite de cette conversation d’anges, aussi invisible et puissante que le vent: “Finalement, la vie est belle!”

M’entends-tu comme je t’entends? Sais-tu que je ne cesse de parler en silence, et que dans le théâtre de la vie, une comédienne en herbe et en roses m’écoute déjà en silences?

Les mots n’ont de sens qu’avec tout le blanc, entre et autour.

© Stéphane Encel

Docteur en histoire des religions, Stéphane Encel a travaillé notamment sur la violence dans les religions, et le rapport de celles-ci à l’histoire, ainsi que sur l’antisémitisme. S’Il enseigne et intervient fréquemment dans des conférences et séminaires, il est bien sûr aussi un auteur reconnu.

Plus récemment, il a, avec Philippe Val et Franz-Olivier Giesbert, participé aux Combats d’un imam de la République, de Hassen Chalghoumi. Cherche Midi Editions.