Police/ justice : la réconciliation nécessaire ( 2 / 2 ): Catherine Massaut s’entretient avec Maître Morel

Maître Jean-Philippe Morel, Avocat de l’Association « Gendarmes et Citoyens »

Désireuse « d’aller plus loin » dans son analyse intitulée « Police/ justice : la réconciliation nécessaire ( 1 / 2 ), le Magistrat Catherine Massaut a donné la parole à Maître Jean-Philippe Morel, Avocat à la Cour d’appel de Dijon. Maître Jean-Philippe Morel est le Conseil attitré  depuis de nombreuses années des Forces de Sécurité intérieure en Côte d’Or, et l’Avocat national de l’Association professionnelle nationale militaire « Gendarmes et Citoyens »

Entretien

1/ La justice est-elle le problème de la police ?

Le police et la justice forment une chaine, et ces deux institutions ne peuvent fonctionner efficacement l’une sans l’autre.

La justice n’est pas le problème de la police. La justice pénale a besoin pour faire son travail de la police, des services d’enquêtes. La Police a besoin de la considération de la justice, et doit pouvoir attendre une réponse pénale avec sérénité, et considération pour son travail, qui est de plus en plus difficile par la lourdeur de la procédure que l’on pourrait simplifier. L’art de juger n’est pas non plus chose aisée, entre l’équilibre à trouver entre sanction, réparation et réinsertion. 

Si le lien et la confiance entre ces deux institutions s’est distendu, il est grand temps de renouer le dialogue pour fluidifier les relations entre la police qui dépend du pouvoir exécutif. Ces deux pouvoirs régaliens sont fondamentaux pour la paix sociale, et tous dysfonctionnements dans la chaine pénale ne peut qu’altérer la paix sociale dans un climat très anxiogène. On sait tous qu’ils manquent des enquêteurs, et que les magistrats et les greffiers ne sont pas assez nombreux pour juger les affaires. Police et Justice sont confrontés à la même problématique des manques de moyens.

– 2/ Votre expérience d’avocat vous a-t-elle permis de constater une dégradation des conditions du travail de la police ?

La police doit répondre à de nombreuses attentes de la société, et ses missions sont nombreuses. Les policiers multiplient aussi des tâches administratives toujours plus chronophages et complexes. Les procédures se sont alourdies et ne facilitent pas le travail des services d’investigations.

Sur le terrain, la délinquance a rajeuni et les agressions sont parfois, sans limites, tir de mortiers, violences commises en réunions. Il y a un ensauvagement évident, que l’on constate chaque jour en audience correctionnelle.

-3/ Avez-vous constaté une augmentation des agressions à l’endroit de la police ?

Oui, nous avons de plus en plus de comparutions immédiates, cette procédure étant le corollaire d’une augmentation de la violence et la gravité des agressions des forces de sécurité intérieure. Cette réponse rapide du parquet, par le choix de la comparution immédiate pour faire juger rapidement les auteurs répond efficacement au trouble à l’ordre public.

-4/ L’année dernière, affrontement tchétchène contre les « arabes » : les policiers présents ne sont pas intervenus pourquoi ? (Pas de protection, pas de droit de tirer, vie en danger etc. contre des bandes sur armées) ?

Dijon n’était pas particulièrement connue pour connaitre de tels affrontements communautaires. L’Etat garant de la sécurité publique a dû donc gérer en urgence, sans avoir dans l’instant les moyens humains et matériels, une situation extraordinaire au sens littéral. C’est comme une crue centenaire ou un cyclone. On n’y est pas forcément préparé. Néanmoins les forces de sécurité intérieure, à ma connaissance, n’ont pas eu de blessés, et ont rétabli l’ordre rapidement.

-5/ Pensez-vous que de nouvelles modalités ou de nouveaux pouvoirs devraient être octroyé aux forces de l’ordre pour se défendre et défendre les citoyens ? Entre parenthèses et notamment tirer sur leurs agresseurs) ?

Des progrès et des clarifications ont été faites, suite aux attentats de masse. Les conditions d’emploi des armes ont notamment été clarifiées. L’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure ne distingue plus les Militaires de la Gendarmerie, de la Police nationale et détermine le cadre légal d’usage des armes. L’emploi des armes doit être justifiées par l’absolu nécessité.

– 6/ Que pensez-vous de la politique pénale depuis une quinzaine d’années ?

Ses priorités ne sont pas très claires pour le grand public, qui peut résumer la politique répressive à la chasse à l’automobiliste, et aux radars. Rappelons que la crise des gilets jaunes est née au départ d’une décision de politique routière incomprise.

Pour avoir une adhésion citoyenne à une politique pénale, il faut de la clarté, dans les objectifs, dans les moyens, et dans la réponse de la justice. Les citoyens ne comprennent plus le sens des peines, qui ne sont pas exécutées ou alors très partiellement. On pourrait imaginer que les agresseurs de policiers condamnés à moins d’un an de prison ferme ne bénéficient pas d’une peine aménagée.

-7/ Que pensez-vous des peines qui sont prononcées à l’encontre des agresseurs de policiers en correctionnelle ?

Quand il y a une atteinte aux forces de l’ordre le plus important c’est d’une part l’automaticité de la sanction, pour éviter un sentiment d’impunité, et d’autre part la rapidité de la sanction.

Les peines sont individualisées avec des paramètres personnels et professionnels qui permettent difficilement d’en tirer des conclusions.

S’agissant des victimes, ce qui compte c’est aussi la juste réparation financière du préjudice subi, par l’octroi de dommages et intérêts qui ne doivent pas être symboliques. La sanction financière est souvent la plus pénible pour le délinquant car elle le touche directement au portefeuille.

-8/ L’USM déclare que la justice n’est pas laxiste puisque la justice a prononcé des peines de plus en plus sévères et que le nombre de peines de prison aurait augmenté de 60 % en 20 ans ? Qu’en pensez-vous ?

Sévérité accrue peut-être des peines prononcées, mais quid de l’exécution effective ?

Effet miroir vraisemblablement, comme la délinquance a augmenté de manière très importante, ainsi que la gravité des atteintes aux personnes, mécaniquement les peines sont plus fortes comme le quantum des peines l’est aussi.

-9/ Que pensez-vous de l’instauration de peines planchers pour des agresseurs de policiers ?

Le conseil constitutionnel y verra une difficulté, d’atteinte à l’individualisation des peines. Les peines planchers n’ont pas été une franche réussite car elles n’étaient que rarement prononcées, le magistrat pouvant motiver sa non application.

–10/ Éric Masson, tu es à Avignon : pour un syndicat de policiers, ce meurtre est le résultat de discours anti flics. Qu’en pensez-vous ?

Il y a un discours irresponsable et scandaleux de certaines responsables politiques. Laisser croire que la police connaitrait un racisme systémique est d’une part, mensonger, et d’autre part tout à fait désastreux pour la paix sociale. Il crée un climat délétère qui peut conduire au pire comme à Avignon. Certains par idéologie et électoralisme veulent imposer leur discours indigénistes et racialisés, et diffuse l’idée que l’Etat, serait « blanc et raciste » et la police son bras armé. Il faut lutter de toute nos forces contre ces idées scandaleuses. C’est la négation de l’universalisme républicain. Je connais une toute autre police, représentative de la diversité de la société et qui agit avec professionnalisme dans le respect de sa déontologie. .

– 11/ Existe- t-il une faille dans l’exécution des peines ? 1000.000 peines prononcées sans être exécutées, par an : La faillite de l’exécution des peines joue- t -elle un rôle dans le sentiment d’impunité des agresseurs et tueurs de policiers ?

Oui clairement, c’est un problème central. L’exécution des peines est totalement incompréhensible pour les citoyens, et donne un fort sentiment d’impunité, d’autant que certains remis prématurément en liberté, récidive, alors même que leur peine est toujours virtuellement en cours !

– 12/ Faut-il abaisser l’âge de la majorité pénale ? D’autant qu’il est question de l’abaisser au plan civil …

Il faudrait calquer majorité civile et pénale dans ce cas. La citoyenneté à 16 ans impliquerait une majorité pénale au même âge.

– 13/ le maintien en détention requis par le procureur en matière de CI est-il suivi d’effets ?

Oui souvent, la comparution immédiate conduit en prison. C’est le rare cas où une peine de prison ferme est exécutée.

– 14/ Qu’en est-il de juge délégué aux victimes d’infractions ?

Créé en 2008, je ne l’ai jamais rencontré ! Il relève de l’effet d’annonces.

– 15/ pour la gourmandise : 4 mois fermes en CI pour celui qui a « giflé » le Président Macron : un décalage au regard des peines prononcées à l’endroit des agresseurs de policiers qui commettent des agressions physiques sans commune mesure comparées à une simple gifle ?

S’en prendre au Premier représentant de l’Etat nécessitait une comparution immédiate. Une peine ferme s’imposait du fait de la symbolique du geste et du trouble évident à l’ordre public, et l’émoi qu’il a suscité dans la population. Mais au quotidien il y a aussi les serviteurs de l’Etat, les gardiens de la paix sociale, qui sont agressés, et qui attendent aussi une telle célérité de la justice, quand ils sont victimes dans l’exercice de leurs fonctions.

©  Catherine Massaut

Catherine Massaut est Magistrat en pré-retraite

Catherine Massaut

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