Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? C’est la question qui vient aux lèvres. On a souvent évoqué les conversions à l’islam, mais très rarement celles au judaïsme. Dans un pays où des suprématistes s’attaquent à toutes les minorités, où le racisme est latent, où l’antisémitisme est réactivé, où des synagogues sont attaquées, vouloir devenir Juif est une gageure. Les premières constatations font état de plus de candidats à la conversion que dans le passé et surtout, pour d’autres raisons que le mariage avec un conjoint juif.
D’après certains rabbins libéraux et orthodoxes, leur nombre aurait triplé au cours de la décennie. L’augmentation serait antérieure à la pandémie. Le célèbre stéréotype de la conversion «pour le mariage» est battu en brèche. On observe que la conversion «pour l’harmonie avec le partenaire» n’est plus la motivation première d’autant que nombre de candidats n’ont pas de partenaire juif. Un rabbin de Caroline du Nord a observé une forte augmentation du nombre d’étudiants-candidats pour des motifs individuels pendant la Covid et dont 80% étaient des femmes.
Pour certains, le fait déclencheur est la recherche des origines sur les sites des tests ADN (Ancestry.com, 123andMe). L’apparition d’une origine juive, aussi faible fut elle, provoque un choc identitaire, qui constitue le début d’une recherche pour retrouver «ses origines». Ce sera la réintégration au sein du peuple juif. Pour d’autres, qui sont les enfants ou les petits-enfants de convertis réformés ou d’ancêtres qui se sont mariés dans la foi et la vie juive, c’est rechercher une revalidation par une conversion orthodoxe qu’ils considèrent comme un passeport universel. D’autres se sont intéressés au judaïsme par des recherches sur Google, qui les conduiront à la conversion. Il ne s’agit donc plus de la conversion pour être en phase avec la belle famille, même si les fiançailles resteraient pour 20% le vrai motif.
Selon les rabbins, le converti d’aujourd’hui, ne cherche pas la reconnaissance des autres. Au contraire «ils ou elles ont soif d’engagement envers un peuple et une cause qui sont vastes et durables». Les candidats proviennent de tous les milieux, races, religions, éducation, socio culturel. Le judaïsme (américain) sera de plus en plus diversifié ajoutent les rabbins.
Depuis l’époque d’Abraham, quand on pensait aux convertis, on l’associait au mariage et à la famille juive. La Torah (Loi juive) a de nombreux exemples de personnages qui rejoignirent les Hébreux par le mariage : notamment les matriarches bien connues Sarah, Rebecca, Rachel, Leah et bien sur Ruth.
Cette évolution est d’autant plus étonnante, que tout au long de l’histoire, devenir juif c’était automatiquement se mettre en danger. C’était l’élection du risque d’y laisser sa vie pendant les pogroms, les persécutions, les guerres. C’était subir une discrimination sociale et professionnelle. Chaque époque a vu les Juifs être exclus de certaines professions, que ce soit en Europe où le bon roi Saint Louis était l’inventeur de la rouelle, au Maghreb, où les Dhimmis furent longtemps ses citoyens de deuxième catégorie «placés sous la protection du sultan», moyennant taxe et impôts. Le nazisme avait exclu les Juifs de l’université et des professions libérales avant de les envoyer aux fours crématoires.
Dans l’Amérique contemporaine, devenir juif semblait être quelque chose de très banal. On se convertissait juste avant le mariage religieux, histoire de faire «comme si». Ces convertis-de-l ’histoire le sont devenus par nécessité familiale en épousant un Juif. Une minorité des conversions, échappe aux motivations classiques. Il s’agit de candidats dont les convictions correspondent à une recherche spirituelle fruit d’une démarche de cherchant. Malgré toutes ces explications, la question demeure, oui mais pourquoi ?
Un dénominateur commun pour une partie des candidats semble être une démarche identitaire : d’où viennent mes ancêtres ? Finalement fais-je partie d’une minorité, d’un peuple et je l’ignorais. Les recherches désormais classiques sur les sites généalogiques semblent proposer une partie de la réponse. La découverte d’un lien avec le judaïsme paraît être une passerelle vers la conversion. Certains rabbins y voient aussi un lien sinon une confluence avec la notion d’exil, qui constituerait un appel pour certains. Un rabbin conservateur de Floride observe que la moitié des candidats qu’il rencontre sont latino-américains, célibataires, dont 80% de catholiques et 75% de femmes. Une enquête révèle également un regain de candidats au sein des communautés LGBT et transgenres. S’agit-il de s’identifier à d’autres minorités ou d’effectuer aussi une transition de nature spirituelle ? La question reste posée.
Ce phénomène de la conversion est d’autant plus surprenant que le judaïsme s’interdit d’être prosélyte et que la procédure elle-même est laborieuse et très contraignante pour les candidats. Quelle femme n’a pas été déstabilisée par l’obligation du bain rituel ? Peut-être l’attraction de faire partie d’un peuple plus ancien et l ‘existence d’Israël constituent-ils aussi des pôles d’attraction dans un monde qui perd ses repères. Certains ont une perception ambivalente à propos de Dieu ou sont dans un processus de questionnement sur son existence. Ce qui correspond aussi à la situation de nombreux Juifs dans une société où l’assimilation, l’agnosticisme et l’athéisme progressent, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Nombreux sont ceux des convertis qui veulent fuir une religion qui leur impose des croyances et des dogmes qui représentent autant de pressions qu’ils refusent, alors qu’ils voient dans le judaïsme un espace pour la remise en question et une ouverture de ce que selon la loi juive, l’individu devrait faire ici et maintenant : les 613 commandements dont 248 positifs (doit faire) et 365 négatifs (ne doit pas faire) qu’un être humain peut observer.
D’aucuns pensent que l’absence de prosélytisme constitue justement cet encouragement à la conversion. En clair, quelle est cette religion qui traverse les siècles et qui trouve sa représentation contemporaine dans la création de l’État d’Israël qui ne cherche pas à recruter et à convertir ? Chacun trouvera en lui-même la réponse à cette question. En paraphrasant Pirandello, à chacun sa vérité.
© Francis Moritz
Source: benillouche.blogspot.com
https://benillouche.blogspot.com/2021/06/aux-etats-unis-boom-des-conversions-au.html
Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion. Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps
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