S’est tenu lundi au Salon Mars de l’Assemblée nationale le Colloque intitulé Géopolitique des Frères musulmans. Où va le Proche Orient, entre confusion, guerres ou apaisement, et Pourquoi les Frères musulmans essayent-ils de nous infiltrer : Telles furent les deux interrogations, apparemment différentes mais en fait étroitement liées, que traitèrent les panélistes dudit Colloque.
Un peu de contexte, tout d’abord, dans cet Orient compliqué que nous regardons parfois avec des idées simples, comme disait de Gaulle, et où mon ennemi n’est peut-être pas tant que ça mon ennemi s’il est aussi l’ennemi de mon ennemi.
Première table ronde: L’Axe Turquie-Qatar
Dans une première table ronde, intitulée L’Axe Turquie-Qatar, et consacrée au chamboulement en cours au Proche Orient avec un focus plus particulier sur la relation Turquie/Qatar, Isabelle Lasserre, rédactrice en chef du Figaro, voit prudemment l’esquisse de réconciliations régionales depuis quelques mois : entre le Qatar et l’axe sunnite, entre l’Egypte et la Turquie, rendue nécessaire par l’isolement d’Ankara, entre Israël et les monarchies du Golfe, voire entre Riyad et Téhéran, sous l’égide d’un Joe Biden dont l’une des priorités est le rétablissement de l’accord JCPoA sur le nucléaire iranien. On peut aussi estimer que la situation se détend en Libye et au Yémen.
Le tout dans un contexte de désengagement américain de la région bien antérieur à Donald Trump, du fait que la priorité de Washington est le grand rival chinois. Ce qui, la nature ayant horreur du vide, pousse toutes les puissances régionales à essayer d’en profiter, d’autant plus qu’elles sont prêtes, à l’inverse des pays occidentaux, à déployer des soldats sur les théâtres d’opérations. Si la tendance est à l’accalmie régionale, les problèmes de fond demeurent toutefois, souligne Isabelle Lassere, que ce soit entre Israéliens et Palestiniens, entre l’Iran et les Occidentaux, ou entre ces derniers et la Turquie. Cette dernière ne veut pas retirer ses 11.000 mercenaires de Libye ni renoncer à sa rhétorique expansionniste, malgré les objurgations de Joe Biden.
Pour François Loncle, ancien Président de la Commission des Affaires étrangères, le Moyen Orient actuel, dont les 400 millions d’habitants constituent moins du quart de la communauté musulmane mondiale, est plus instable que jamais, du fait qu’aucune puissance régionale ne peut dominer la région, tandis qu’aucune puissance extérieure ne peut plus faire la loi. La situation s’avère surtout compliquée pour les Occidentaux vis-à-vis d’une Turquie héritière d’un empire de cinq siècles, qu’on a mené en bateau pendant des décennies en faisant miroiter une entrée impossible dans l’Union, tant en raison des réticences des peuples européens que des conséquences insupportables qu’elle aurait pour la souveraineté turque.
Joe Biden sera clairement moins conciliant envers Erdogan, comme l’illustre sa prompte reconnaissance du génocide arménien, poursuit François Loncle, au moment où le président turc est en quête frénétique d’appuis diplomatiques au vu de la crise économique et monétaire dans son pays. L’ancien Président de la Commission des Affaires étrangères juge aussi très importante l’actuelle tentative de réconciliation entre Riyad, Téhéran et Doha : l’émirat du Qatar se heurte aux limites de sa diplomatie du carnet de chèque, qui lui faisait croire que le monde était un gigantesque supermarché où il pouvait faire ses courses et acheter les âmes, les influences et les politiques étrangères. Il importe selon François Loncle de renouer le dialogue avec le Kremlin, encore pire que sous l’URSS finissante, et ce malgré les objections de la Pologne et des Etats baltes, ainsi qu’avec Erdogan. Tout en étant vigilant sur les ingérences électorales ou l’entrisme sociétal.
Martine Gozlan, Rédactrice en chef du magazine Marianne, met en garde pour sa part contre le pseudo islamisme modéré qui n’est qu’un leurre pour cacher la stratégie d’islamistes assoiffés de pouvoir. Elle en veut pour preuve ce qui se passe en Tunisie où les islamistes d’Ennahdah qui ont su faire patte de velours et gagner en respectabilité, maintiennent des contacts avec le Hamas, affichent des ambitions expansionnistes, sont soutenus par des prédicateurs du djihad, ou le si mal nommé mouvement Karama (Dignité) qui a approuvé l’égorgement de Samuel Paty, ou appuient en sous-main un véritable coup d’Etat judiciaire contre le président laïc.
Enfin, Nora Seni, Spécialiste de la Turquie et professeur des universités, souligne de son côté qu’Erdogan sait qu’il ne peut plus tabler sur l’indulgence américaine comme du temps de Trump, et qu’il va devoir modérer la tonalité de ses discours anti occidentaux pour rompre un isolement devenu intenable. Sa priorité sera toutefois de pérenniser son influence en Libye en raison d’ambitions dans l’hydrocarbure marin, puisque son pays a été exclu de tous les accords en la matière entre la Grèce, l’Italie, l’Egypte et Israël. Il compte garder deux bases militaires en Libye. Nora Seni rappelle que la Turquie s’appuie aussi sur le Qatar, qu’elle a aidé à surmonter l’embargo des Etats du Golfe à partir de 2018, en échange de l’injection de 15 milliars de dollars en Turquie par Doha.
Elle insiste sur le fait que l’arrivée au pouvoir de Biden est un game changer considérable, sans précédent depuis longtemps, et qu’Erdogan doit donc avoir des alliés régionaux pour compenser sa perte d’influence à Washington, montrer qu’il peut avoir des initiatives de stabilisation régionale, donc s’engager dans une normalisation avec l’Egypte, ce qui l’a amené à calmer des chaînes islamistes égyptiennes émettant depuis Ankara. Nora Seni souligne qu’Erdogan est capable de volte-face vertigineux, de traiter Merkel de nazie puis de vanter l’Union européenne, de recommander à Macron de consulter un psy, puis de l’appeler chaleureusement, entre autres : tout comme l’anti occidentalisme l’i,slam politique est pour Erdogan juste une opportunité pour contrôler le peuple turc, ( ne voulait-il pas jusqu’à récemment une jeunesse vindicative et haineuse, des fillettes voilées dès l’âge de neuf ans, etc).
Deuxième table ronde: L’Assaut d’une idéologie totalitaire
Dans la deuxième table ronde, intitulée L’Assaut d’une idéologie totalitaire et consacrée plus spécifiquement à l’idéologie des Frères musulmans, cette très influente confrérie créée en Egypte en 1928, Gabriel Martinez – Gros, Professeur d’Université et spécialiste de leur idéologie, a souligné combien est fausse, historiquement, l’idée, largement admise en Occident comme en Orient, selon laquelle l’islam ne prévoit pas de séparation entre religion et politique, idée qui pour les islamistes serait une innovation calamiteuse à l’imitation de l’Occident. Quand, un siècle et demi après la mort du prophète, la religion musulmane a été mise en place, doctrine et mode de fonctionnement, à partir du message divin relayé par Mohammad, est apparu une nette séparation du politique et du religieux, avec l’apparition de ce qui était un anachronisme du temps du Prophète, des Etats. Pour autant, l’hostilité à l’Occident fait partie de l’identité de la Confrérie, et en particulier, a ajouté Frédéric Encel, l’hostilité envers la France, peuple mécréant depuis Voltaire.
L’essayiste et documentariste Michael Prazan a noté pour sa part que la Confrérie comptait, un an après sa création par Al Banna, 300 cellules, et dix ans après 2 millions de militants. Il a rappelé que la doctrine de la Confrérie était basée sur le postulat que l’Islam devait régner sur le monde entier à défaut d’échouer, et n’a pas hésité à parler de l’inspiration nazie de ladite Confrérie, qui dès l’origine et durant des décennies construisit un appareil secret et terroriste dans les quartiers juifs du Caire, s’alliera avec Nasser, qui fut un temps membre de la Confrérie, lors du coup d’Etat de 1953, avant qu’une mésentente ne s’instaure avec un Nasser dérivant vers un nationalisme laïc.
Est analysée la manière d’ essaimer en Syrie, Jordanie, et au Maghreb, évolution caractérisée par le triptyque Parti politique, Terrorisme, Répression.
La Tactique d’un Parti politique fascisant mais cachant son jeu est mise à jour lorsque sont rappelées les aides sociales qui suppléent l’Etat : en Orient la première question qu’on se pose le matin n’est pas Suis-je libre ? Mais Qui va nourrir mes enfants et les soigner ? , ce en quoi les dispensaires des Frères font merveille.
La richesse de la Confrérie est enfin rappelée : elle bénéficie de versements de 6 à 10% du salaire par les militants.
Le militant musulman membre des Frères musulmans Sayed Qutb est convoqué, lui qui fut à l’origine de 2 concepts spécifiques de la Confrérie, la taqiya ou dissimulation, et le djihad, qui inspirera Al Qaïda. Sa doctrine mortifère est rappelée : Pour le monde arabe, le seul progrès est le retour à l’islam originel, et, par ailleurs, le djihad offensif doit, en rupture avec la tradition, supplanter le djihad défensif.
Il est rappelé qu’en 1979, l’Ayatollah Khomeiny créera un timbre à l’effigie de Sayed Qutb, et que la Révolution en Iran n’est pas, contrairement à ce que tout le monde prétend, une révolution du Clergé chiite, mais des Idées des Frères.
Le début de la Conquête de l’Occident est daté des années 50, avec moult projets de mosquées, aidés notamment par d’anciens nazis qui s’allièrent pour en créer une mosquée à Munich.
On apprend que la CIA, qui voit en eux une cinquième colonne pour faire basculer l’URSS, n’a pas ménagé son aide, laquelle fut encore appuyée par Said Ramadan, fils du fondateur de la Confrérie et père de Tariq, qui a compris très vite l’intérêt de tisser une toile associative des mouvements en Occident : une réunion à Lugano en 1977 rassemblera le politburo de la Confrérie, et un Qaradawi aidé d’un Ramadan établiront un plan de bataille de conquête implanté un peu partout, conquête qui se fera par le prêche avec l’objectif de reconquérir des minorités musulmanes désislamisées, de profiter des banlieues rouges perdues, le tout aidé par moult aides sociales, colonies de vacances, pétro dollars saoudiens, au but de convaincre les pouvoirs publics, locaux et nationaux.
L’historienne et Experte ès-terrorisme auprès des Tribunaux Anne Clementine Larroque estime pour sa part que les Frères s’adaptent, à l’inverse de leurs rivaux et ennemis salafistes, partisans de l’islam rigoriste des origines, salaf voulant dire ancêtre. Elle rappelle comment le Parti islamiste tunisien Ennahdha décida, après débat interne, de ne pas préconiser la sharia.
Elle insiste sur le moment-clé pour la Confrérie constitué par l’arrivée au pouvoir en 1979 de l’islam politique en Iran : les Frères ont pour ennemi le Mécréant, le Juif ou l’Occidental. La Confrérie participe à l’embrigadement des musulmans en Occident ou à la communautarisation, mais ne mène pas de djihad : elle se veut légaliste et rassurante. Elle s’inscrit ainsi dans des lieux de pouvoir et d’enseignement tels les Instituts européens de sciences humaines. Anne Clementine Larroque cite trois Instituts actifs en France : ceux de Saint-Denis, de Strasbourg et du Morvan, dans lesquels l’entrisme communautariste s’est réalisé en porosité avec les salafistes, eux -même en porosité avec les djihadistes. A noter : L’action de la Confrérie en France est considérée comme un modèle par ses émules partout en Europe, et a inspiré 2 IESH au Royaume Uni, un en Suède et un en Allemagne.
Pour l’ancien commandant du RAID et Député LREM Jean Michel Fauvergues, le combat nous est prescrit par les Frères Musulmans, ces derniers étant incontestablement engagés dans une islamisation des esprits et de nos manières de vivre. Jean Michel Fauvergues explique que la France où les premiers attentats remontent à il y a 35 ans, se trouve dans la position unique de devoir combattre à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, frapper loin de notre territoire – en Syrie ou au Mali – pour éviter d’être frappé à l’Intérieur par des relais des réseaux internationaux des djihadistes mais aussi, triste privilège, par des autochtones.
Dans l’action contre terroristes ou preneurs d’otages en France, la doctrine d’action des services spécialisés a dû changer après l’Affaire Merah : Là, tout a basculé ; il a agi en trois temps, a frappé des cibles parlantes pour opinion publique, tué des militaires, des enfants, des Juifs, a filmé son action à des fins de propagande, puis s’est retranché pour mourir les armes à la main lors d’un assaut inéluctable, ce qui était complètement nouveau à l’époque. Du coup, le RAID a changé sa méthode d’intervention : il ne négocie plus car c’est inutile et donne du temps au djihadiste d’exécuter des otages et de filmer et diffuser ses actions, mais le neutralise le plus vite possible : Nous sommes face à quelque chose de différent, d’insidieux, souligne l’ancien patron du Raid.
Une Conclusion est proposée par Frédéric Encel, lequel cite Sénèque : Celui qui méprise sa propre vie dispose de la tienne.
Poster un Commentaire