Tribune Juive

Réédité sous une forme critique aux Éditions Fayard, « Mein Kampf »…

Mein Kampf d’Adolf Hitler réédité par Fayard : une publication qui divise les historiens

Que penser de la réédition par Fayard de « Mein Kampf« , « le »livre aux racines du régime nazi, annoncée comme voulant « historiciser le mal« . La Maison d’Edition veut « offrir aux historiens une version critique et commentée du texte ». Un groupe d’historiens et de traducteurs spécialistes du nazisme a travaillé pendant plus de dix ans sur une réédition critique, analytique et annotée du texte de Mein Kampf. Fayard, pour éviter toute polémique, a privé le livre de titre et de toute promotion. Sur la couverture, pas de photo ou même le nom d’Adolf Hitler, et en librairie le livre restera introuvable. En effet, le manifeste autobiographique et antisémite du dirigeant nazi ne sera disponible que sur commande au prix de 100 euros: la version critique de « Mein Kampf » réalisée par Fayard sera surtout accessible dans les bibliothèques à des fins de recherche ou de pédagogie.

Raphaël Esrail, de l’Union des anciens déportés d’Auschwitz, explique au Figaro qu’il ne s’agit pas d’une « réédition normale » : « C’est une version étudiée pour être mise à destination de spécialistes qui veulent mieux connaître l’histoire. Vous savez, je suis né en 1925 : pratiquement en même temps que ce livre. J’ai été arrêté à Lyon, et déporté à Auswitchz pour y être assassiné dans le cadre d’un génocide dont on ignorait l’existence. Toute l’histoire de ma vie figure dans Mein Kampf: projet de société totalitaire, projet racial.. Je ne peux pas ignorer un livre qui a dicté ma vie. »

Si toute l’Allemagne nazie ne repose pas sur « Mein Kampf », le seul livre publié d’Adolf Hitler est un marqueur historique indéniable et la racine de nombreuses horreurs qui ont suivi. Mein Kampf, unique livre publié par Adolf Hitler, est au cœur de l’idéologie nazie. « Même si les historiens sont divisés sur le rôle exact d’Hitler lors de la montée et de l’instauration du régime nazi (1), la lecture de Mein Kampf est étrangement prédictive, explique Claire Andrieu, spécialiste d’histoire politique et sociale du 20e siècle à Sciences Po. Tout ce qui était dans la tête d’Hitler à ce moment-là, a été mis en place.« 

La première publication de Mein Kampf (Mon combat) a eu lieu en 1925. Adolf Hitler l’a écrit en prison, condamné en 1923, suite à la tentative de putsch de Munich. « Ce livre était une façon de prendre le pouvoir. Il était isolé au sein du mouvement nazi, alors minuscule et traversé de tiraillements. Il a voulu laisser sa marque. Ça l’a distingué de ses camarades.« 

Donné sous l’Allemagne nazie à tous les jeunes mariés

Rapidement, ce livre devient un élément de propagande. Avant le 3ème Reich, pendant et même après. « C’est un marqueur important, reprend Claire Andrieu. Il était, par exemple, donné d’office par le régime aux jeunes mariés. »

Pourtant, au-delà de Mein Kampf, Adolf Hitler « c’est aussi un nombre incalculable de discours, de conversations plus ou moins secrètes avec des hauts dignitaires du nazisme« , ajoute Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du racisme, de l’antisémitisme et du nationalisme. Ses talents d’orateur ont aussi porté son idéologie. « Tout ne vient pas de Mein Kampf mais ce livre témoigne de l’évolution d’Hitler au début des années 1920 et de son influence longue durée. Il faut donc retourner au texte pour savoir ce que pensait le dictateur des dictateurs du 20e siècle. Celui qui cumule tous les travers des dirigeants totalitaires.« 

Le chercheur salue, en ce sens, l’initiative de Fayard. « On ne supprimera pas les éditions sauvages qui continueront d’être publiées – souvent gratuitement sur des sites néo-nazis – mais c’est très important que les jeunes puissent avoir dans les bibliothèques et ailleurs les moyens de lire ce texte avec les éclaircissements requis. »

Il faut du contexte, des références et du recul pour aborder cette lecture. « Le traducteur s’est efforcé de traduire en français le mauvais allemand d’Hitler« , reprend Claire Andrieu. Le dictateur « n’était pas du tout un écrivain, il ne parlait pas une belle langue. Mais le fait que ce mauvais allemand ait séduit tant de monde dit aussi quelque chose« .

Près de cent ans après sa première parution et la Seconde guerre mondiale qui a suivi, le travail de l’édition critique menée par Fayard doit aussi permettre de continuer à expliquer les horreurs de cette période et la montée du nazisme. « Pour les pédagogues, c’est une excellente chose tout comme pour les historiens et les professeurs d’histoire de l’enseignement secondaire notamment. Ils pourront enfin se fonder sur une étude savante du texte« , argumente Pierre-André Taguieff. Selon lui, il faudrait même des traductions et des ouvrages de ce type dans toutes les langues. Notamment pour casser la montée de l’antisémitisme « car son usage politique n’a jamais cessé depuis 1945« .

(1) C’est le débat entre l’intentionnalisme et le fonctionnalisme. 

Pierre-André Taguieff philosophe, politologue et historien des idées est directeur de recherche au CNRS. Il est notamment l’auteur de « Hitler, les Protocoles des Sages de Sion et Mein Kampf – Antisémitisme apocalyptique et conspirationnisme »  aux Presses Universitaires de France.

Claire Andrieu a notamment travaillé sur la spoliation et la persécution des juifs. Son dernier ouvrage, « Tombés du ciel. Le sort des pilotes abattus en Europe 1939-1945« , est sorti en avril 2021 aux Editions Tallandier.

Pour rappel:

En 1930, la presse nazie encourage la lecture de Mein Kampf et en 1933, alors qu’Hitler devient chancelier du Reich, il s’en vend 900.000 exemplaires. En 2015, on estimait que douze millions d’exemplaires de cette version originale avaient été vendus dans le monde, sans compter les nombreux téléchargements numériques.

A noter:

L’éditeur ne touchera pas d’argent. Les éventuels bénéfices iront à la Fondation Auschwitz-Birkenau, partenaire de l’opération pour les questions financières.

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