Droit de réponse de Denis Charbit à Jean-Pierre Lledo

Suite à l’article de Jean-Pierre Lledo publié le 25 mai sur Tribune juive et intitulé « Qui est “Suprémaciste” ? A propos de l’Emission à France Culture avec Denis Charbit« , Denis Charbit a demandé le 30 mai un Droit de Réponse qui lui est bien évidemment consenti, les quelques jours de retard étant de notre fait.

Réponse de Denis Charbit à Monsieur Jean-Pierre Lledo

La controverse est caractéristique de l’étude talmudique comme de la démocratie libérale. Il n’est donc pas surprenant que dans un Etat juif et démocratique, ainsi qu’Israël est défini, les débats soient vifs et denses, en temps de paix comme en temps de guerre. Rien n’est plus vital que d’inviter les citoyens à lire deux avis différents pour qu’ils puissent délibérer en connaissance de cause. Cependant même lorsque l’échange vire à la polémique, certaines règles doivent être respectées par les interlocuteurs. Il importe de rester sur le terrain des idées et de ne pas s’égarer dans des attaques personnelles qui en disent moins sur la personne diffamée que sur le diffamateur.

C’est cette ligne rouge qu’a franchie Jean-Pierre Lledo pour salir mon intégrité personnelle et professionnelle. La cause d’Israël dont il croit être le détenteur exclusif n’a rien gagné à utiliser ce type de procédé.  
Otsma Yehoudit est-il un parti suprémaciste ? Et ne convient-il pas plutôt de qualifier ainsi le Hamas compte tenu de son idéologie qui proclame explicitement la destruction de l’Etat d’Israël, s’interroge Jean-Pierre Lledo, suite à mon intervention lors de l’émission « Enjeux internationaux » sur France-Culture consacrée à l’ascension en Israël de l’extrême-droite ?

La question est tout à fait pertinente. C’est le travail des politologues que de livrer les critères adéquats pour répondre à ce type de question, comme on le fait pour déterminer, par exemple, si tel ou tel parti appartient ou non à la famille conservatrice, socialiste, libérale ou populiste.

La question, tout comme la comparaison entre les deux mouvements, est bienvenue, et je ne manquerai pas de la poser prochainement à mes étudiants de maîtrise du département de sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël, à mes étudiants en licence du Collège académique de Netanya et enfin à mes élèves du Lycée franco-israélien de Mikvé Israël.

J’aurais bien aimé répondre également à Jean-Pierre Lledo dans les colonnes numériques de Tribune juive puisque c’est dans ce site qu’il a posé la question.

Mon goût de la pédagogie et de l’enseignement m’incite à le faire, mais je résisterai cette fois à la tentation.  Si j’aime et persiste à enseigner avec une patience et une ardeur restée intacte depuis que j’ai commencé ce métier, le sens de la dignité que chacun d’entre nous possède m’interdit de passer outre aux attaques personnelles que Jean-Pierre Lledo s’est autorisé à livrer, foulant mon intégrité d’homme, de chercheur et de citoyen.  

Passe encore le fait qu’il m’impute ce terme de « suprémaciste » que je n’ai pourtant guère repris à mon compte. Pourquoi s’arrêter à ce détail sans importance: peu importe de l’avoir ou non prononcé, je l’ai entendu, je suis donc complice et par là même coupable.  
Jean-Pierre Lledo ne s’est pas contenté de m’attribuer un mot que je n’ai pas employé. Après avoir souligné explicitement la marginalité de cette tendance dans la vie politique israélienne, j’ai cru bon signaler l’appui personnel apporté par Netanyahou pour que cette alliance électorale entre Otsma Yehoudit et la faction de Betzalel Smotrich soit consommée.

Ai-je commis une erreur ? Non, c’est bien la vérité, et pourquoi aurait-il fallu la taire puisque Netanyahou ne s’en est guère caché?

Jean-Pierre Lledo me reproche également d’avoir qualifié Otsma Yehoudit de parti d’extrême-droite. Le situer à l’extrême-gauche aurait-il été plus juste ? Trêve d’ironie. Aurais-je dû le définir tout simplement comme un parti de droite ? Si j’avais suivi sa suggestion, j’aurais contrevenu à la vérité et j’aurais, de surcroît, insulté des centaines de milliers d’électeurs, jusqu’au Président de l’Etat d’Israël Reouven Rivlin, et même feu Menahem Begin et Yitzhak Shamir: certes, tous partagent en commun avec Otsma Yehoudit le refus ferme et définitif de confier la Judée et la Samarie à une autre autorité militaire que celle de Tsahal et à une autre souveraineté que celle de l’Etat d’Israël. Cependant, malgré leur attachement commun à Eretz Israël, les déclarations, les provocations, les méthodes musclées et l’objectif final des partisans d’Otsma Yehoudit leur inspirent répulsion et haut-le cœur. En politique, il n’y a pas que des fins, mais aussi des moyens, et les moyens peuvent parfois défigurer la fin.

Un grand nombre d’électeurs de droite se résignent à cette alliance nouée par Netanyahou avec Itamar Ben-Gvir, ils n’en sont pas moins troublés par l’émergence à la droite du Likoud de cette tendance politique qui se déclare ouvertement xénophobe et homophobe et dont les partisans crient à tue-tête dans les rues d’Israël « Mort aux Arabes ».

Il ne fait aucun doute que crier « Mort aux Juifs » et « Egorge les Juifs » est de l’antisémitisme à l’état pur. Jean-Pierre Lledo doit être sans doute le seul à interpréter « Mort aux Arabes  » comme une déclaration d’amour au point de ne pas s’inquiéter du slogan.

Alors, vraiment le Likoud et Otsma Yehoudit, c’est blanc bonnet, bonnet blanc? Je ne suis pas certain qu’à l’ambassade d’Israël en France ou au CRIF, on appréciera la pertinence de cette assimilation entre ces deux tendances.         
Comme mes propos ont été enregistrés en direct le jeudi 20 mai, soit un jour avant le cessez-le-feu, Jean-Pierre Lledo a vu là un crime de lèse-majesté. Il s’indigne de m’être exprimé contre mon premier ministre. Et Jean-Pierre Lledo de s’interroger : « En temps de guerre, une telle posture n’est-elle pas qualifiée de « trahison » ?

J’apprécie hautement les guillemets qu’il a cru bon ajouter pour atténuer la gravité de l’accusation. Faut-il lui rendre grâce de ne pas être allé jusqu’au fond de sa pensée et de ne pas avoir explicitement déclaré de quelle peine de prison aurait-je écopé si le procureur Lledo avait fait main basse sur la justice de mon pays ?

A défaut d’être juge et censeur de la parole des autres, qu’il apprenne que dans mon pays, depuis la soirée tragique du 4 novembre 1995 à l’issue de laquelle Yitzhak Rabin a été assassiné, il est préférable de bannir certaines accusations de son vocabulaire. Les mots tuent, et à un moment comme aujourd’hui où la tension politique est au paroxysme, il est hautement recommandé de ne pas employer ces mots graves à la légère: trop d’illuminés et de fanatiques sont aux aguets pour ne pas révéler un peu plus de responsabilité civique dans les paroles autant que dans les actes.

Je peux assurer Jean-Pierre Lledo d’une chose : dissociées de cette dénonciation fumeuse d’une trahison dont je me serais rendu coupable, les convictions bien arrêtées qu’il exprime n’auraient rien perdu de leur force. En les enchaînant à cette odieuse diffamation, il contribue à attiser la haine fratricide. Ce n’est pas ce dont mon pays a besoin aujourd’hui. Et il est indigne de salir ainsi la réputation d’un de ses concitoyens qui s’efforce d’accomplir son métier avec rigueur et honnêteté, y compris lorsque j’écris de temps à autre un article de presse ou que je donne une interview.

Jean-Pierre Lledo aime sa nouvelle patrie. Je m’en réjouis, mais il n’en a pas le monopole. Il éprouve une inclination particulière pour les idées et les gros bras qui accompagnent Itamar Ben Gvir. Soit. Mais quel est la valeur réelle de ce patriotisme s’il ne consiste qu’à vouer une hostilité sans borne à près de la moitié de ses concitoyens, et cela parce qu’ils ont le malheur de ne pas penser comme lui?  

Aimer Israël, ce n’est pas invoquer l’unité nationale et désigner simultanément les traîtres à la patrie. Aimer Israël, c’est travailler à l’apaisement des tensions; c’est écarter le danger d’une guerre civile en veillant à ne pas répandre des accusations mensongères et infondées, ici comme en diaspora, et à ne pas pratiquer la chasse à l’homme par clavier interposé, comme Monsieur Lledo l’a fait. Il n’est jamais trop tard pour s’en excuser.

Denis Charbit


Professeur de science politique au département de sociologie, science politique et communication à l’Université ouverte d’Israël, Denis Charbit est l’auteur de plusieurs livres et articles qui portent sur la nation en Israël et en France.

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3 Comments

  1. Cher Denis , permettez a un ancien disciple qui ne partage pas vos idées de vous soutenir completement , Mr Lledo et vous meme etes mes freres , le coeur vivant du peuple juif est son sens inné et historique de l echange .
    Nous resterons cote a cote et pas face a face et nous continuerons a debattre avec la violence la plus …..respectueuse .

  2. Tout à fait de accord avec toi Denis Charlie. J avais fait un modeste commentaire dans ce sens au texte de Lledo, restez sans réponse.
    Bonne continuation.
    Amitiés

  3. Quelle puce à pique Lledo? Comment peut il douter de ton aversion de la violence du Hamas et de celle des arabes israéliens! Cette aversion n’empêche pas de dénoncer la violence verbale et physique des extrémistes juifs! Il donne l’impression de vouloir se faire une réputation de « bon sioniste » à faible coût!
    Ça n’a aucun sens

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