Catherine Massaut. Ce que dit le Projet de Loi sur « l’irresponsabilité pénale »

L’affaire Sarah Halimi a suscité l’urgence, celle d’élaborer un nouveau Texte de Loi sur l’irresponsabilité pénale de l’auteur d’un crime ou d’un délit.

C’est à l’aune des propositions de lois faites par les Commissions des Lois de l’Assemblée Nationale et du Sénat, consultés par le Garde des Sceaux, EDM, que doit s’apprécier le Projet de Loi qu’entend soumettre le Ministre de la Justice au Gouvernement.

On ne juge pas les fous : c’est une constante qui date du Droit romain et qui demeure un principe dans tous les pays démocratiques.

Le Code Pénal de 1810 prévoyait à l’article 64 du code pénal qu’ il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action.

Ce principe d’irresponsabilité pénale a été repris par l’article 122‑1 du Code Pénal qui prévoit que :

n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes (al. 1) ;

   la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime (al. 2).

Ainsi que l’a excellemment exposé la Commission des Lois de l’Assemblée nationale :

Si cette irresponsabilité pénale se justifie dans son principe, l’application qui en est faite par les juridictions peut s’avérer inacceptable.

En effet, dans le cas du meurtrier de Sarah Halimi, la Cour de Cassation a confirmé, le 14 avril 2021, l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, tout en entérinant le caractère antisémite du crime. La juridiction a constaté que le meurtrier a commis les faits au cours d’une bouffée délirante liée à une forte consommation de cannabis ayant aboli son discernement, selon sept experts. Ainsi, son cas relevait de l’article 122‑1 du code pénal : La loi sur l’irresponsabilité pénale ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes. Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer.

Cette décision démontre que le cadre légal actuel n’est plus pertinent et qu’il doit évoluer …

En effet, outre l’incompréhension, la colère et le déni intolérable que cela représente pour les victimes, cela signifie que la prise de drogue ou d’alcool devient un sauf‑conduit pour échapper à une responsabilité pénale.

La Loi doit demeurer le cadre et le miroir des valeurs de la société. Il est de la responsabilité du législateur de s’assurer que cette décision de la Cour de cassation ne crée pas une jurisprudence sur laquelle pourraient s’appuyer les délinquants pour amoindrir ou écarter leur responsabilité. (Cf. Proposition de Loi AN)

Dans l’urgence de la situation suite à l’indignation collective de tout un peuple pris de sidération et de colère face à une telle décision qui a privé les proches de la victime d’un Procès en Cour d’Assises, le Garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, a déposé un Projet de Loi visant à combler ce vide juridique.

Ce vide juridique que le commun des mortels comprend mal dès lors qu’il est acquis que l’absorption d’alcool ou de drogue constitue une circonstance aggravante pour les auteurs reconnus coupables d’infractions routières.

L’Assemblée Nationale a élaboré une proposition de loi sur l’irresponsabilité pénale :

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Au premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal, après le mot : neuropsychique, sont insérés les mots : issu d’un état pathologique ou des effets involontairement subis d’une substance psychoactive, et

L’article 122-1 du code pénal deviendrait :

n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique « issu d’un état pathologique ou des effets involontairement subis d’une substance psychoactive, et ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes (al. 1) ;

EDM s’est dit hostile à toute modification de l’alinéa 1 er de l’article 122-1 du Code Pénal.

Les sénateurs, également consultés par le Ministre, ont choisi de ne pas toucher au Code Pénal sur l’abolition du discernement, mais, lorsqu’elle est due à l’alcool ou aux stupéfiants, de renvoyer à la Cour d’Assises la décision sur l’irresponsabilité.

….

La Commission des Lois du Sénat a considéré que l’article du code L122-1 du code pénal consacrant l’irresponsabilité en cas d’abolition du discernement de l’auteur d’un crime ou d’un délit se trouve aux confins de la médecine et du droit et relève de la mission du juge : Il est difficile au législateur de prévoir tous les cas différents. C’est au juge de trancher.

….

Monsieur Dupont- Moretti a dit son désaccord avec le texte du Sénat, estimant non justifié de renvoyer une affaire aux Assises s’il s’agit de confirmer l’avis des experts. ( Le Monde, 26 mai 2021, Baptiste Jacquie).

L’auteur de ces lignes considère que ce refus catégorique non seulement ne prend pas en compte une divergence d’experts qui pourrait être discutée en lien avec le fond de l’affaire par un jury populaire mais marque de surcroît une défiance manifeste à l’encontre de ce même jury qui rend aussi la justice au nom du peuple français et plus grave encore, encourage les magistrats à fonder leur décision concernant l’abolition ou l’altération du discernement d’un meurtrier sur les seules analyses expertales, les dépouillant de leur autonomie décisionnelle fondée sur leur propre réflexion d’ordre juridique.

Mais le parcours du texte devrait s’arrêter là, le gouvernement finalisant son propre projet de loi sur le sujet, annoncé fin avril et qui, selon le cabinet du garde des Sceaux, devrait être présenté en Conseil des ministres courant juin. (L’Opinion 27/05/2021).

Le projet de loi du Ministre de la Justice vise à répondre à la question de l’irresponsabilité pénale liée à la prise de stupéfiants de l’auteur d’un délit ou d’un crime.

Dans le même temps, une mission flash (une mission d’information plus courte que les autres) sur le sujet a été mise en place à l’Assemblée nationale et le Garde des Sceaux attend l’avis du Conseil d’Etat avant de soumettre son projet en Conseil des Ministres.

Ce Projet de Loi, rédigé à la hâte (en un mois) vient limiter l’irresponsabilité pénale en cas de troubles mental résultant d’une intoxication volontaire.

La Chancellerie a laissé intact l’article précité consacrant le principe fondamental de ne pas juger une personne qui commet un crime ou un délit dont il est constaté que le discernement a été aboli.

Elle a rajouté un texte, une dérogation en quelque sorte, au principe incontournable susmentionné :

L’article 122–1-1 qui vise l’hypothèse d’une personne qui s’intoxique volontairement afin de « se donner du courage ».

Dans ce cas de figure le décryptage du texte est simple : l’auteur élabore son projet délictuel ou criminel puis « pour se donner du courage », consomme à dessein de la drogue ou quelque produit psychotrope afin de favoriser ou de permettre son passage à l’acte.

Ainsi, on peut admettre que l’auteur a usé de son libre arbitre pour faciliter le passage à l’acte : le libre arbitre préexiste à la bouffée délirante qui risque de se déclencher.

Mais il reste un problème : qu’en est-il du sujet qui se drogue sans, au départ, nourrir aucune intention d’ordre délictuelle ou criminelle ?

D’ordinaire, lorsqu’il est établi que l’auteur ne recherche nullement la violation de la loi pénale, le législateur qualifie ce genre d’infraction « d’imprudence » ? ce qui diminue d’autant la responsabilité pénale et donc la peine.

Or, afin de marquer sa volonté de fermeté, le Ministre de la Justice a classé les deux infractions qui suivent dans la partie du Code Pénal dédiée aux infractions intentionnelles, et plus précisément dans la section du Code Pénal consacrée spécifiquement « aux atteintes volontaires » à la vie ou à l’intégrité de la personne, et ce, même si le préjudice n’était pas voulu.

À cet égard, le texte prévoit deux nouvelles infractions ou plutôt une infraction doublée d’une circonstance aggravante.

L’article 2 du Projet de Loi dispose que le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psycho actives ayant provoqué un trouble psychique ou neuro psychique entraînant une abolition temporaire de son discernement ou de contrôle de ses actes au cours de laquelle elle a causé la mort d’autrui est puni d’une peine de 10 ans d’emprisonnement et 150. 000 € d’amende.

De plus, si les violences ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, la peine est de sept ans d’emprisonnement et de 100.000€.

Si elles ont provoqué une incapacité totale de travail de la victime supérieure à huit jours, la peine est de deux ans de prison et de 30 000 € d’amende.

Cet article 2 prévoit une circonstance aggravante pour le cas où l’auteur savait que la drogue ingérée était susceptible de précipiter l’engrenage : dans ce cas la peine est portée à :

–15 ans de réclusion criminelle en cas de mort de la victime,

–10 ans de réclusion criminelle en cas d’infirmité ou de mutilation de la victime,

–trois ans d’emprisonnement en cas d’incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

Le Syndicat de la Magistrature, comme à son habitude, pousse des cris d’orfraie et reproche au ministre de pénaliser la maladie mentale : selon ce syndicat perturbateur d’une machine judiciaire déjà tellement grippée, la toxicomanie peut-être non pas la cause de cette abolition du discernement mais la conséquence de cette abolition : dans une telle hypothèse, la consommation de drogue serait un symptôme d’un trouble psychique justifiant l’irresponsabilité : c’est l’éternel débat entre la poule et l’œuf… Mais qui ne fut jamais posé jusqu’à présent, excepté dans l’imaginaire de ses adhérents.

Selon la Chancellerie, il appartiendra aux Juges d’en décider…

Selon l’auteur de ces lignes, le texte est en apparence exhaustif en ce qu’il semble recouvrir les divers paradigmes de cette problématique de l’irresponsabilité du criminel, trop aisément accordée ces dernières années par des magistrats se retranchant derrière une psychiatrisation systématique des crimes commis et revendiqués par des fous d’Allah… Ce n’est un secret pour personne.

Il demeure que la question lancinante qui fut aussi celle posée dans l’avortement du procès de l’assassin de feue Sarah Halimi, savoir, l’emprise du sanitaire ou de la pseudo–scientifique psychiatrie sur le juridique, ne sera pas résolue tant que les Magistrats, multipliant les expertises, se contenteront d’entériner les conclusions qui les arrangent, sans prendre la responsabilité d’une vraie motivation exhaustive d’ordre juridique : En effet, cette motivation impliquerait également l’examen de tous les éléments extérieurs, matériels et objectifs, distincts d’une prétendue abolition du discernement de l’auteur d’un acte criminel, qui pourraient venir contredire cette première impression et les conduire à une autre décision, celle-ci d’ordre  juridique et donc véritablement judiciaire.

C’est précisément ce qui a fait cruellement défaut dans l’affaire Sarah Halimi, en raison notamment d’une enquête de flagrance, puis préliminaire, puis d’une instruction manifestement bâclée.

Cette démarche, consacrant une véritable réflexion juridique, permettrait à l’Autorité judiciaire de recouvrer sa Souveraineté, trop longtemps abandonnée et qui sait, redorer son prestige terni en renforçant positivement son indépendance et renouer avec la confiance aujourd’hui largement déficitaire, du peuple français.

© Catherine Massaut

Catherine Massaut est Magistrat en pré-retraite

Catherine Massaut

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1 Comment

  1. Excellent article;la France a toujours eu,pour des raisons culturelles,un probleme avec l alcool.Elle en a un maintenant avec la drogue,notamment le cannabis,dont elle est la plus grosse consommatrice d Europe…La police n a pas les moyens de surveiller 24h/24h le septieme de la population,et dans le meme temps,les citoyens normaux n ont pas a subir les nuisances ou dommages de la racaille.Il faut donc serrer les boulons de la repression et definitivement detruire les pretentions du lobby malfaisant qui milite pour la depenalisation des drogues dites « douces ».

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