Annie Toledano Khachauda. Les VILLES que j’ai traversées et qui m’ont marquée

J’avais écrit cela il y a 3 ans pour fixer mes souvenirs et ne rien oublier.

Les VILLES  que j’ai traversées et qui m’ont marquée.


ANNECY est cette Venise française traversée de canaux et bordée de montagnes qui ruissellent pour donner naissance au lac qui entoure la ville comme un collier. Ce grain de beauté turquoise parsemé de voiliers et de bateaux à roues offre à la ville son plus bel écrin . Ville d’eau avec Thaloires à l’horizon qui fit dire à Churchill : Je sais en visitant Talloires à quoi ressemble le paradis !

Ville de neige avec ses volutes givrées en hiver quand la ville se couvre de blanc. Ville colérique par ses orages après des journées de canicule quand le grondement du tonnerre semble secouer les montagnes et allumer la ville d’ éclairs roses et violets. La vieille ville avec ses passages arqués en briques rouges, ses salons de thé feutrés et l’inimitable et inégalé restaurant le Fréty pour déguster les meilleures spécialités fromagères du pays. Mes plus beaux souvenirs se rattachent à Annecy et ses environs.


Venise

VENISE , ville éternelle joyau de l’humanité avec ses palais, sa lagune et ses gondoles ; ville hors du temps portant l’empreinte des hommes avec ses monuments et ses façades de pierres dentelées, ville d’art et de culture dont les ruelles étroites au cœur de la ville évoquaient pour moi le mellah de ma ville de naissance : Meknès.        
J’ai retrouvé les ruelles sombres et pavées aux petites fenêtres en bois autour desquelles un fil était tiré vers la fenêtre de l’immeuble lui faisant face et où le linge dansait au gré du vent pour sécher. La place du ghetto avec ses 4 synagogues, les redingotes noires et les streimels des juifs pieux se hâtant pour le shabbat. Les épouses dont les habits couvraient les bras et les genoux, la tête ceinte de foulard ou de perruque, tenant à la main leurs enfants en pressant le pas pour être prêts pour l’office du shabbat.

La Synagogue espagnole de Venise

Les artichauts à la juive à la fois croquants et fondants à cœur, qui me feraient traverser les Alpes pour retrouver ce goût exquis dans mes papilles. Le Florian et son chocolat, le raffinement de ses ornements et cette foule déguisée pendant le carnaval où j’ai eu la conviction d’être dans le film de Kubrik : Barry Lindon .

Venise reste ancrée dans mes meilleurs souvenirs.


Meknes. Bab el Mansour

MEKNES : ville où je suis née. Ville à l’intérieur des terres et non loin des montagnes que d’aucuns appelaient la petite Jérusalem par le nombre de synagogues, de rabbins et de cercles d’étude de la Thora qui la composaient. Dès le vendredi à 16h tout s’arrêtait pour accueillir le chabbat telle une fiancée que l’on attendait et pour laquelle tout devait être prêt.

Meknès « La petite Jérusalem »

Rabbi Barouch Toledano invitait les retardataires à tirer le rideau des boutiques, le chabbat arrivait et il fallait aller se préparer. Nos mères s’activaient dans la cuisine, le vendredi, les petites bonnes traversaient la ville lourdement chargées de marmites scélées avec de la pâte à pain pour enfermer quand elles rôtissaient les saveurs d’épices, de viandes diverses qui composaient ce plat commun à tous les Juifs de ville. Le samedi avant midi, elles refaisaient le chemin à l’envers entre le four communal à qui elles avaient confiées les marmites afin de les remettre aux propriétaires qui les attendaient .  Je me demandais comment le commis les distinguaient tant elles se ressemblaient.


IMMOUZER, petite bourgade nichée entre les montagnes de l’Atlas à une trentaine de kms d’Agadir. Ce petit village est le grenier de la région par ses dattes et sa palmeraie, ses oliviers et ses amandiers. Le vert domine en dépit de l’aridité de la terre de cette contrée . Je ne manque pas de venir me ressourcer dans ce lieu ou rien n’avait changé. Je faisais un bond dans le moyen âge entre tradition et authenticité. Je cherchais l’humain et je le trouvais là avec toute la beauté du monde, sans artifices mais uniquement le courage et l’ingéniosité des hommes pour tirer le meilleur de ce qu’ils avaient à leur portée, et que la nature leur offrait. La gargote où nous faisions une halte était en terre battue, le toit en briques que maintenaient des troncs de palmiers en guise de poutres de maintien, les sièges étaient constitués de pneus de voiture empilés et  couverts de peaux de chèvres, chaudes et moelleuses prêtes à nous accueillir.

Au centre,  un trou avec des bois aux différentes essences constituait la cheminée dont la fumée des flammes naissantes s’évacuait par le tuyau d’échappement d’un camion. Ce système fonctionnant très bien en nous permettant d’être au chaud pour savourer le tajine fumant contenant les œufs au plat à l’huile d’argan que nous avions commandé. Cette huile d’argan que les femmes pressaient et qui sublimait les mets, surtout les plus simples. Les viandes et les volailles même les plus fraîches nous étaient interdites mais notre tajine qui crépitait  accompagné d’un thé brûlant et odorant avait un goût de paradis.

La somme à payer était modique et nous ne manquions pas de la doubler et de distribuer de l’argent aux enfants qui s’accrochaient aux jupes des femmes. Le tenancier se souvenant de notre passage précédent et de notre générosité, nous offrait de l’huile d’olives de ses oliviers ou du miel de ses ruches.
Son miel était une essence de thym et d’eucalyptus c’est le meilleur remède pour les refroidissements.

Je suis retournée il y a un mois. Dans cette antique chaumière, Je pensais pouvoir dire : rien ne meurt !
La belle mansarde que je venais visiter pour m’imprégner d’authenticité a été sacrifiée à l’autel de la modernité. Le béton a remplacé la terre battue, les petits pots en terre cuite ont été remplacés par de vulgaires récipients en plastic blanc ajouré : made in china. L’antique cheminée le fut par un radiateur blafard. Je n’y retournerai plus mais je garderai précieusement dans un coin de mon esprit l’éclat de mes souvenirs.


Essaouira

ESSAOUÏRA : ville bleue et blanche adossée à la mer qui fut pour un temps une enclave britannique. Les anglais y laissèrent dans la communauté juive une empreinte de raffinement et de distinction auprès des personnes qui les avaient côtoyées. C’est ainsi que les grands-mères juives ne concevaient les cols blancs des chemises et les nappes sur la table qu’amidonnés. Elles mêlaient à l’arabe qu’elles parlaient l’anglais qu’elles entendaient. « Sit down nabi besk » (asseyez vous mon aimé ) est une phrase que nous entendons encore par les natifs de cette ville.

Le gâteau rose, spécialité de la ville que les familles juives présentaient toujours aux visiteurs après leur avoir dit la phrase rituelle : sit down nabi besk !
Le cimetière marin qui prolongeait la médina. Cette médina qui fut un quartier exclusivement juif avec ces frontons en pierre de taille surmontés d’une étoile de David. Ce cimetière abrite la sépulture du grand rabbin de la ville Rabbi David PINTO. Saint de la ville, vénéré par tous les juifs du Maroc et respecté par les musulmans d’Essaouira.

Au mois de décembre à la date anniversaire de son décès un pèlerinage grandiose y est organisé où affluent du monde entier les juifs éparpillés originaires de la ville, leurs descendants et leurs invités. Les orfèvres juifs déployaient leur talent dans la fabrication des objets de notre liturgie, martelant l’or et l’argent pour la fabrication des couvertures des sephers Thora ou des étuis des mezouzoths. Ils ont transmis leur art aux aides qu’ils employaient. La relève est assurée faisant d’Essaouira une ville d’artistes et de tisserands très doués, travaillant l’or, le bois et l’acier.

Les gargotes fumantes et bruyantes du port avec les sardines et les poissons grillés qui offrent aux touristes un repas à prix modique. Agrémentés de frites et de salades fraîches, nous dégustions les poissons au son des cris des goélands et du rythme incessant du ballet des mouettes au dessus de nos têtes. Essaouira a été rénovée et restaurée avec goût par André Azoulay qui a su redonner à sa ville son charme en s’employant à garder à la ville son authenticité et aux riads leur lustre sans les défigurer.


Chicago

CHICAGO, ville verticale dont les grattes-ciel se dressent pour contempler la cité.  Le lac Michigan aux dimensions d’une mer.  Il se couvre de glace en hiver, ses berges se transformant  en plage en été, avec sable fin et parasols, imitant la Riviera.
Ville blanche et verte mais surtout une ville qui abrite mes meilleurs souvenirs de fêtes familiales entre solennité et modernité. Les larges avenues fleuries, l’eau qui jaillit de partout et ses parcs aux arbres multiples qui invitent à la flânerie et à la curiosité pour les fleurs rares qui s’y trouvent.

Chicago

Je préfère Chicago à New York et je suis surprise de constater que ceux qui visitent cette ville partagent mon avis. L’hiver y est très rude mais j’aime la neige.

Jérusalem

La ville dans mon cœur et mon esprit : JERUSALEM où chaque ruelle, chaque passant me donne l’impression que je reviens à la maison. Cette visite réelle est aussi une visite mentale, je traverse Jérusalem et je suis ici et là bas. J’observe ces vivants qui pourraient appartenir aux siècles précédents. Ils sont de Lódz, de Varsovie, Moscou ou de Pennsylvanie, de Bagdad ou de Rabat, ce sont des exilés qui ont posé leurs valises pour retrouver la ville invoquée dans nos prières. Mon père clôturait le seder par cette phrase répétée tous les ans : lechana habaa véroushalaïm.

Les étals de fruits multipes, les épices aux mille couleurs et aux différentes saveurs, les pâtisseries, les pains tressés du chabbat tout me rappelle le rythme des fêtes de mon enfance.

Je n’ai pas la chance d’habiter Jérusalem mais j’ai choisi d’y reposer éternellement.


Dubrovnik

DUBROVNIK ville bâtie sur les flancs de la montagne m’a séduite par ses ruelles abruptes qui débouchaient sur des places fleuries invitant à boire un verre à l’ombre des mûriers. CAPRI  et sa mer bleue, ses grottes mystérieuses et ses eaux cristallines et translucides . J’ai été subjuguée par sa lumière, par sa clarté et le foisonnement de la nature généreuse passant des citronniers aux arbres fruitiers divers.

Toutes les villes visitées ont pour moi cette fugacité dont je m’évertue à conserver le souvenir pour les convoquer au gré de mes envies.


Paris

PARIS reste pour moi cette ville musée multi culturelle abritant de nombreux lieux de mémoire et d’histoire , ville qui change d’aspect au rythme des saisons. À vrai dire je ne peux m’en éloigner. C’est la ville où je réside et que je retrouve chaque fois le cœur palpitant comme un amoureux après une longue absence.

 © Annie Toledano-Khachauda


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