Mettre des noms et des histoires sur des visages restés dans l’ombre pendant 80 ans: le Mémorial de la Shoah a dévoilé mercredi une centaine de photos inédites documentant la rafle du billet vert, première arrestation massive de Juifs en mai 1941, à Paris.
14 et 15 mai 1941: un « billet vert » appelle les plus de 6.000 Juifs étrangers de Paris, principalement des Polonais, à venir se faire recenser
14 et 15 mai 1941: un « billet vert » appelle les plus de 6.000 Juifs étrangers de Paris, principalement des Polonais, à venir se faire recenser dans les commissariats de la ville et de la région parisienne. A l’issue de ce recensement, 3.747 hommes, ceux qui ont répondu à la convocation, sont déportés par les autorités françaises dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande (Loiret) où ils resteront un an, avant d’être déportés à Auschwitz.
De cet événement, resté dans l’ombre de la rafle du Vél d’Hiv – arrestation en 1942 par les forces de l’ordre françaises de 13.000 Juifs parisiens, dont des enfants – peu d’images existent, ce qui rend cette découverte « exceptionnelle », affirme Lior Lalieu-Smadja, responsable de la photothèque du Mémorial de la Shoah.
Des photos prises par un soldat allemand
Au total, ce sont 98 photos, issues de cinq planches contact, prises par un soldat allemand de la « Propaganda Kompany », qui ont été acquises, « un peu par hasard » par le Mémorial à un brocanteur normand il y a quelques mois, précise à l’AFP Mme Lalieu-Smadja. Elles auraient été achetées par le brocanteur, qui ignorait tout de leur valeur historique, il y a une dizaine d’années lors d’une brocante à Reims, dans l’est de la France, relate la conservatrice.
Que faisaient ces photos à Reims ? A qui ont-elles appartenu avant de tomber dans le giron du brocanteur ? Existe-t-il d’autres photos ? Autant de questions, sans réponses, qu’elle ne ne cesse de se poser. « La seule chose que l’on sache avec certitude c’est qu’une fois les photos faites, elles étaient envoyées à Berlin. Le photographe lui-même ne pouvait pas les conserver, ce qui rend cette découverte encore plus incroyable », souligne-telle.
Le gymnase de Japy dans le 11e arrondissement parisien
Ces clichés, qui ont pour la plupart été pris au gymnase Japy (11e arrondissement) où près d’un millier de Juifs étaient venus se faire recenser, « attestent de scènes que nous ne connaissions qu’à travers des témoignages des familles de survivants », poursuit-elle. Sur l’une des premières photos de la pellicule, on voit côte à côte le SS Theodor Dannecker, un des orchestrateurs de la « Solution finale », et le préfet de police François Bard à l’intérieur du gymnase, peu avant le début du recensement.
Un cliché « rarissime car on n’a jamais vu Dannecker en photo au moment d’une rafle », relève Mme Lior-Smadja. Viennent ensuite des dizaines de photos d’hommes massés à l’intérieur du gymnase. Mais ce sont celles prises à l’extérieur qui permettent de mieux saisir l’atmosphère tragique : un couple qui s’embrasse sous le regard d’un policier français, des enfants amassés devant l’entrée du gymnase, un landau vide…
Si seuls les hommes étaient déportés ce jour-là, les autorités avaient demandé aux épouses de ramener un sac contenant des couvertures et des vivres pour 24 heures. C’est là que nombre d’entre elles ont vu leur mari pour la dernière fois.
Des familles déchirées par la barbarie nazie
« Ces photos sont singulières parce que contrairement à ce que voulait montrer la propagande nazie, à savoir ‘des parasites’, des hommes complètement déshumanisés, c’est un peu l’inverse que l’on voit », analyse Mme Lalieu-Smadja. Des clichés troublant d’humanité qui montrent des familles sur le point d’être déchirées par la barbarie nazie. Le photographe a-t-il cherché à contourner la propagande nazie ? « On peut se poser la question », estime la conservatrice, qui a identifié, à l’aide d’autres photos, le nom du photographe.
Un certain Harry Croner, décédé dans les années 1990, et qui avait été renvoyé de la Wehrmacht en 1941 après la découverte d’une ascendance juive. S’il reste encore de nombreuses zones d’ombre sur ces photos, la conservatrice espère que leur découverte « en excellent état » permettra, 80 ans plus tard, de mettre des noms sur ces visages.
Une sélection de ces clichés seront exposés en accès libre sur les fenêtres du gymnase Japy à partir de vendredi et seront disponibles sur demande dans la salle de lecture du Mémorial à sa réouverture.
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