Le Hamas a surpris Israël. Mais il est peu probable que le nouveau cycle de violences déclenché lundi change la donne dans le conflit israélo-palestinien. Pendant ce temps, deux autres ennemis de l’État hébreu, l’Iran et le Hézbollah, observent. L’analyse de Gil Mihaely.
Depuis lundi soir, le Hamas surprend Israël. Les récents tirs massifs de roquettes sur Tel-Aviv et sa région décidés par le Hamas suivent des premiers tirs moins importants sur Jérusalem. Ils ont pris de court le gouvernement israélien.
Jusqu’à lundi 10 mai à 18h00, Netanyahou croyait que nous étions, au pire, face à un incident ramadanesque aggravé.
Cela fait un mois que la température monte et que Jérusalem, détonateur de la deuxième intifada, est au cœur du conflit. Report des élections palestiniennes prévues pour juillet au prétexte qu’Israël ne laissera pas voter les habitants de Jérusalem-Est, expulsions de familles arabes du quartier de Sheikh Jarakh, heurts entre jeunes à jeun et policiers : les images diffusées par les médias concurrençaient avec succès les feuilletons traditionnels du ramadan. En titre subliminal : « les Juifs attaquent l’Esplanade des Mosquées ».
Surprise stratégique
Les souvenirs de la guerre de l’été 2014, les règles du jeu négociées par l’intermédiaire de l’Égypte et enfin l’argent du Qatar ont longtemps fait croire à Jérusalem que le Hamas n’avait pas intérêt à renverser la table.
Il y a une quinzaine de jours, après un weekend de tirs sur des localités israéliennes proches de Gaza, le lieutenant général Kokhavi, chef de l’état-major général israélien, aurait proposé au gouvernement d’anticiper et de casser la baraque avec une riposte disproportionnée. Mais le consensus était contre lui et Netanyahou avait choisi de calmer le jeu et de laisser entrer à Gaza 10 millions de dollars envoyés par Doha. La dissuasion israélienne habituelle – reposant d’un côté sur l’idée d’une amélioration du niveau de vie à Gaza, et de l’autre sur la menace d’une riposte terrible – a cessé de fonctionner. Le Hamas a sans doute intérêt à soulager la population, mais pas au prix de l’abandon de sa raison d’être politique.
Et puisque les surprises comme leurs cousins volent en escadrilles, le Hamas a sorti un lapin supplémentaire de son chapeau. Ses roquettes (par leur portée et leur précision, notamment grâce à l’aide de l’Iran et un trafic par le Sinaï) et le mode opératoire de lancement (rafales visant à saturer le Dôme de fer) semblent plus efficaces qu’autrefois. Et l’efficacité du dôme de fer, jadis proche de Pfizer, est désormais au niveau d’Astra Zeneca ! Cependant, on peut s’attendre à des améliorations rapides sur ce point.
Les ennemis d’Israël misent sur la démographie et le temps long
Au-delà de ces considérations, ce nouveau cycle de violence entre Israël et le Hamas s’inscrit dans un contexte politique bien plus large. Contrairement aux États arabes, les ennemis auxquels Israël fait face aujourd’hui – des organisations telles que le Hamas, le Jihad islamique, le Hezbollah ou le Jihad Mondial (Al-Qaeda et Daech) – ne cherchent pas une solution politique du conflit. Ils croient que le conflit historique avec Israël, aussi long soit-il, se terminera par la destruction de celui-ci comme ce fut le cas jadis pour l’Etat des Croisés. Selon eux, le temps et la démographie jouent en leur faveur. Leur stratégie utilise la violence afin de saper la volonté d’Israël, qu’ils croient être une société occidentale molle et apeurée, fatiguée de sacrifices et accro à la consommation.
Depuis 1982, Israël utilise la force militaire principalement contre ces organisations armées sub-étatiques, dans un effort de longue haleine. C’est « la guerre entre les guerres ». Cette logique est résumée par l’expression « tonte de gazon », une métaphore reflétant la conviction que le conflit est insoluble, car en face se trouvent des entités non étatiques pour lesquelles la guerre n’est pas une continuité de la politique, mais leur raison d’être et la base de leur légitimité. Comment le Hezbollah justifierait-il ses armes et son statut d’État dans l’État au lendemain d’une hypothétique paix avec Israël ? Comment le Hamas se distinguerait-il alors de l’Autorité palestinienne ? Ainsi, le recours à la force de l’État juif qui fait la une des médias n’a pas non plus pour objectif une « solution politique », considérée d’emblée comme impossible, mais cherche à minimiser autant que possible la capacité de l’ennemi à infliger des dommages à Israël. Autrement dit, il s’agit de rendre la vie avec la menace non pas tolérable mais carrément bonne pour les Israéliens, pour les Juifs qui souhaiteraient s’installer ainsi que pour les touristes et autres visiteurs. Israël a fini par faire sienne la stratégie de la guérilla : puisqu’on ne peut pas battre l’ennemi sur le champ de bataille, on l’épuise et on le pousse à la faute.
Irruption de violences intenses, précédée et suivie des périodes de violence à basse intensité
Les cycles de violence suivent donc une logique d’attrition. L’ennemi attaque et Israël réplique en adaptant sa réponse aux dommages subis. À la fin de chaque cycle, un évènement « goutte d’eau » fait déborder le vase : une opération d’envergure est alors déclenchée avec pour seul but de rendre l’inévitable épisode suivant aussi éloigné que possible dans le temps. On « coupe le gazon », tout en sachant parfaitement qu’il repoussera. Entre chaque cycle toutefois, une guerre de basse intensité, souvent clandestine, appuyée sur un renseignement de qualité, vise sans relâche des personnes, des structures, des circuits de financement et d’approvisionnement.
Face à la puissante mobilisation du fanatisme islamique et à la haine des « juifs et des croisés », Israël déploie sa richesse, son avantage technologique, une infrastructure étatique développée et un système d’alliances efficace. Tant que le prix du conflit sera perçu par la société israélienne comme tolérable, il n’y aura ni pression pour une solution politique ni découragement. Les résultats des élections confirment – trop souvent – que la majorité de l’électorat adhère plus ou moins à cette manière de gérer la situation.
Au fil des années, l’armée de l’air israélienne s’est adaptée aux nouveaux usages de la force. En étroite coopération avec le Shin Bet[1], elle a perfectionné des méthodes permettant de faire une chasse efficace aux lanceurs de roquettes et aux leaders militaires et politiques ennemis. Bref, en Israël, le problème palestinien est considéré comme un virus avec lequel – grâce aux vaccins, au système de santé efficace et à une économie prospère – on peut et on doit vivre. Le fait que presque sept ans se sont écoulées depuis la guerre de l’été 2014 est en soit une victoire israélienne, un succès renforcé chaque jour. C’est peut-être pour cette raison que le Hamas a décidé de renverser la table : il fallait remettre le compteur à zéro. Dans cette poudrière, peu importe qui joue l’étincelle !
La vie continue
On ne sait pas encore quels rapports de forces vont émerger de ce nouveau « round », mais il est peu probable qu’Israël ou le Hamas puissent obtenir une victoire décisive susceptible de changer le cours de l’histoire. Tout indique plutôt que l’issue la plus probable va ressembler à s’y méprendre au statu-quo-ante. Même si les évènements dramatiques à Gaza et en Israël accaparent l’attention, certaines informations moins connues méritent également qu’on s’y attarde. Ainsi, on pouvait lire ce matin dans les pages économiques de la presse israélienne que pour la première fois, une entreprise israélienne allait importer du ciment égyptien pour réduire la dépendance israélienne au ciment turc, et renforcer les relations avec l’Égypte. Cette transaction a été négociée dans le cadre de la visite à Sharm El Sheikh au mois de mars du ministre israélien du renseignement, à la tête d’une délégation officielle particulièrement nombreuse. Derrière la fumée et le bruit des armes, le réaménagement géostratégique du Moyen-Orient suit son cours.
Cependant, deux acteurs importants sont en train d’observer l’évolution de la crise et de se poser des questions : l’Iran et le Hézbollah. Je parle bien de deux acteurs distincts et non pas d’un seul, car en 2006 c’est bien la milice libanaise qui avait déclenché sans l’accord de Téhéran la guerre du Liban. Comme le renversement des tables est à la mode, il vaut mieux dans ces autres arènes ne pas non plus s’abriter derrière trop de paradigmes.
[1] Service de sécurité intérieure israélien, NDLR.
© Gil Mihaely
Gil Mihaely est historien et directeur de la publication de Causeur
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