Jean-Claude Lonka. « Je cherche encore Mejlech et Josef »

La génération des baby-boomers avec émotion voit les anciens partir.

Pour un grand nombre nous cherchons à comprendre, à savoir comment les membres de nos familles ont disparu et comment d’autres ont pu rester en vie.

Nous fouillons dans le passé alors que de nombreux documents ont été détruits.

Et puis des archives, des documents ressortent des oubliettes et sont numérisés.

Pour ma part, parmi les documents que j’ai obtenus du « Jewish Institut de Varsovie », il s’agit de quelques pages d’un cahier tenu par un responsable du « Zydowska samopomoc delegature w Kalusznie-Délégation juive d’entraide à Kaluszyn », le schtetl de ma famille en Pologne.

Des pages retrouvées à Cracovie et conservées miraculeusement.

Je lis les feuilles et découvre avec une vive émotion la signature de ma grand-mère.

Elle a signé pour obtenir de la farine et de l’argent pour elle, Rachel et Israël, les deux derniers enfants encore à la maison.

De la farine en novembre 1940.

De l’argent en août et octobre 1941.

Ensuite… C’est Treblinka.

Fin 2008 je commence mes recherches et j’ai obtenu des réponses à un grand nombre de questions. Mais il reste 2 mystères que j’espère résoudre un jour.

Mon père avait écrit dans les années 50 à des organismes dont ITS-AROLSEN.

Les réponses étaient : Vous êtes le seul survivant.

Adolescent, j’avais pris l’habitude de rédiger des petits résumés après avoir écouté ma mère et mon père. C’est avec ces notes que j’ai commencé mes recherches.

Mon grand-père paternel avait 2 frères ainés, 1 sœur et 2 jeunes frères.

Je n’ai rien trouvé sur la sœur qui s’appelait Dora, j’ignore son nom d’épouse.

Le plus âgé des frères s’appelait Noussen et j’ai retrouvé et rencontré ses descendants à Melbourne. Ils sont issus de Hanna, la fille ainée de Noussen, épouse de Moshé Gutrejch, pelletier/fourreur à Varsovie. Elle était la cousine chérie de mon père ; ils s’entendaient comme frère et sœur et sont restés en relation jusqu’à la déclaration de la guerre.

Le second s’appelait Jacques. Meilech et Isaac, ses 2 petits-fils, sont décédés en Israël dans les années 70 sans avoir eu de descendance. Je connais leurs parcours et comment ils ont pu survivre.

Dans les jeunes frères, il y avait Eljasz.

Une erreur administrative le fait appeler Gasz et il était inscrit sur le mur du Mémorial à Paris sous ce prénom, sur la liste des déportés du convoi N°6.

Il était installé en France, artisan chapelier ; toujours polonais, il avait incorporé un régiment polonais en France et il existe des documents sur lui dans les Archives de la Légion étrangère. Arrêté par la police parisienne, il est envoyé à Pithiviers qu’il quitte le 17 juillet 1942 pour Auschwitz. Il est assassiné le 22 juillet 1942. Sa femme et ses 2 enfants ont survécu. J’ai rencontré Marc, l’un de ses petits-fils, avec son épouse et leurs 2 garçons.

Le plus jeune frère de mon grand-père s’appelait Mejlech.

Je découvre qu’il a été déporté par les soviétiques dans la République des Komis. Il est libéré après l’accord Sikorski-Maïski passé le 30 juillet 1941.

Des documents attestent de sa présence en janvier à Varsovie, en juin à Wroclaw puis à Lodz le 13 juin 1946. Ensuite ? Il m’a été impossible d’obtenir d’autres informations.

C’est mon premier mystère.

Mais le plus fou. De Yad Vashem j’obtiens des documents sur Josef Lonka, né le 21 décembre 1920 à Varsovie. C’est un jeune frère de mon père. Il était en vie et les documents proviennent de la Préfecture de police de Munich. Le premier date du 7 avril 1954 et le dernier de février 1956. Il est précisé qu’il habite dans le camp de personnes déplacées de Bad Reichenhall en Haute-Bavière, depuis 1946. Par un heureux hasard je rentre en contact avec Diane Afoumado, Docteur en Histoire, auteur, en poste à l’Holocauste Memorial Museum à Washington. Elle me répond et trouve un document signé par mon oncle le 8 février 1948. Ce document/questionnaire était impérativement rempli par les personnes déplacées. Je découvre que mon oncle a été déporté à Mauthausen et qu’il y a vécu 4 ans. Cela parait impossible. Josef reste discret sur son passé. Il ne donne pas le nom de ses parents, ni de ses frères et sœurs. Il dit qu’il n’a pas fait d’étude, qu’il travaillait à Varsovie sans préciser l’activité exercée et il dit la même chose sur son emploi à Mauthausen, juste « arbeiter ».

Il ne veut pas revenir en Pologne car, répond-il, Tout est mort ; il ne veut pas rester en Allemagne mais veut partir pour la Palestine.

En haut du document il est écrit : Absent le 6 mars 1948 et encore Absent le 7 avril 1948. J’entreprends des démarches en Israël, m’adresse à toutes les administrations, fais une demande dans le Jérusalem Post, me fait aider par 2 personnes spécialisées dans les recherches. Toutes les réponses sont : Votre oncle n’est jamais venu en Israël.

Je suis un ancien élève de l’ORT, j’étais à Montreuil en classe d’électronique. Je sais que l’ORT a ouvert des centres de formations dans les camps de personnes déplacées. Je contacte l’ORT de Londres. Rachel Bracha me répond qu’elle cherchera dans les archives concernant le camp de Bad Reichenhal. Elle m’envoie une page d’un cahier : Josef a obtenu un diplôme de serrurier le 21 janvier 1948.

Mon père m’avait parlé de ses frères et sœurs. Josef était le seul à avoir fait des études, était en pensionnat à Varsovie. Gamin entreprenant, sans peur, il faisait tourner la tête des filles, il avait de l’autorité, se faisait respecter par les plus costauds, c’était un meneur et un conseiller avisé et judicieux. Je ne possède pas de photo de Josef.

Puis par mon correspondant du Musée de l’Holocauste à Montréal, j’obtiens la liste des élèves serruriers. Là je découvre le nom de mon oncle sur une liste de 25 élèves. A côté de son nom et de 5 autre élèves il est écrit : Absent 10 février 1948.

Ainsi après avoir signé le questionnaire le 8 février 1948, Josef et 5 de ses camarades ont disparu. Mon correspondant retrouve la trace de tous les autres élèves, leur destination, mais ils sont tous décédés. Sur les 5 disparus plus Josef, il n’y a plus aucun autre document, aucune archive.

C’est mon second mystère, Josef Lonka avait survécu après avoir passé 4 ans à Mauthausen et 2 ans dans le camp de personnes déplacées de Bad Reichenhall ; il avait 28 ans en 1948 et il est reparti dans l’ombre.

Je cherche encore Mejlech et Josef qui avaient survécu alors que mon père n’en savait rien.

 © Jean-Claude Lonka

L’auteur

« Je continue de relater un monde disparu, celui des enfants titis yids
parisiens  qui pour certain avaient des parents ou grands-parents muets et qui ont du faire avec, alors que j’ai bénéficié des histoires et anecdotes de
mes parents.
Cela permet, en écrivant mes petites histoires sur « Les Contes du shtetl sur
Seine
« , titre que m’a proposé Charles Goldszlagier, de faire revenir des
souvenirs à mes lecteurs du Groupe Yiddish Pour Tous.
Alors tant que je peux je continue à puiser dans le passé… »

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