Il ne serait pas de bonne santé intellectuelle de lire le nouveau volume des Cahiers Noirs de Heidegger sans l’éclairage venu de l’ouvrage collectif dirigé, aux éditions Vrin, par Danielle Cohen-Levinas et Alexander Schnell Levinas, lecteur de Heidegger*. (250 pages, 24€).
Généralement les amateurs de philosophie lisent Levinas à partir de Heidegger. Ils le lisent – et c’est une lecture juste – comme un prolongement et une rupture. Mais l’on peut aussi faire l’inverse : lire Heidegger à partir de Levinas, pour comprendre ce qui ne va pas chez le philosophe allemand, ce qui l’a, en dépit de tout ce qu’il écrit d’intéressant, de fort, de purement génial, conduit à écrire des pages explicitement antisémites. Toute la pensée de Levinas est un débat rude, sans concessions, avec celle de Heidegger. Disons-le plus précisément : sa pensée est un débat avec le Heidegger qu’il porte en lui, qui habite en lui, dont il ne se défait pas, mais qu’il transforme. Par exemple, il existe une analogie de forme, voire une filiation intellectuelle, entre l’Etre chez Heidegger et l’Autre chez Levinas. L’Autre lévinassien est peut-être né dans l’Etre heideggérien. Lire Heidegger à partir de Levinas peut ouvrir à la compréhension de certains points aveugles du philosophe allemand. Par exemple : il n’y a pas vraiment d’éthique chez Heidegger parce que l’Autre (au sens du judaïsme) et le prochain (au sens du christianisme) en sont absents. L’intervention de Françoise Dastur nuance cependant utilement ce propos en revenant à un sens plus grec d’éthique (« le séjour de l’homme »).
Dans la suite de Levinas, l’un des collaborateurs de cet ouvrage indexe les égarements de Heidegger (qui ne voit pas que l’antisémitisme est la barbarie, qui ne voit pas que cette barbarie s’est insinuée en lui) comme impliqués par son paganisme. Selon David Brezis, la rupture de Levinas avec Heidegger « n’est jamais pleinement consommée ». De ce fait, le rapport entre Levinas et Heidegger est « un dialogue avec la part d’ombre qu’il recèle au-dedans de soi », un « commerce avec l’obscur ». Dans cette part d’ombre, il y a le constat par Levinas de la radicale insuffisance du rationalisme des Lumières. Peut-être, suggère David Brezis, Levinas s’intéresse-t-il à Heidegger, parce que ce dernier se situe sur l’envers obscur de la rationalité ? Brezis en conclut : « Levinas n’a cessé de développer sa pensée au plus près de ce qui en constitue pour lui comme l’enveloppe maléfique – ce qu’il a toujours vu, ou entrevu, dans Heidegger ».
Heidegger s’est fortement compromis avec le nazisme, au moins entre 1931 et 1935, prenant ses distances par la suite, devenant critique dans de nombreuses pages des Cahiers Noirs. Nonobstant ces réticences, il ne s’est jamais départi de son antisémitisme. Il contamine durablement, et volontairement, la philosophie avec le virus de l’antisémitisme. Ce volume nous conduit à essayer de cerner la pensée de Heidegger à partir de Levinas, en prenant Levinas comme point de départ. Sans doute est-ce le meilleur chemin pour comprendre la tragédie de la rencontre entre la philosophie et l’antisémitisme, dont, dans L’Impardonnable Danielle Cohen-Levinas fait aussi l’objet de sa réflexion, puisqu’il s’agit d’: « orienter notre réflexion sur l’antijudaïsme philosophique en général, et sur l’antijudaïsme de Heidegger en particulier »* ?
© Robert Redeker
* Sous la direction de Danielle Cohen-Levinas et Alexander Schnell, Levinas, lecteur de Heidegger, Vrin, 247 p., 24€.
* Danielle Cohen-Levinas, L’Impardonnable, Cerf, 260 p.,22€
Philosophe, Robert Redeker est l’auteur, entre autres, de L’école fantôme (Descléee de Brouwer, 2016), L’Eclipse de la mort ( Desclée de Brouwer, 2017), « Les Sentinelles d’humanité », philosophie de l’héroïsme et de la sainteté, ( Desclée de Brouwer, 2020 ).
Pour rappel, il fut l’un des premiers intellectuels à être menacé de mort par les islamistes à la suite de la publication dans Le Figaro le 19 décembre 2006 du texte « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? »
Heidegger était antisémite notoire, virulent et auto-déclaré : admirateur d’Hitler et membre du parti nazi.
Ses « cahiers noirs » sont un manifeste antisémite particulièrement agressif.
Pourtant Tribune Juive fait sa publicité ici, montrant le livre et annonçant sa parution en traduction française le 29 avril.
Le tout en collusion évidente avec Pierre Lurçat, chantre de Jabotinsky. Qui se ressemble s’assemble, rien d’étonnant.
Mais jusqu’où ira Tribune Juive et en quoi est-ce encore une tribune juive ?
Tribune juive est un site juif d’information . Il a pour lecteurs des gens cultivés et intelligents. Pensez vous en être ?
Monsieur,
Permettez-moi de vous dire combien votre commentaire manquue de sens, de subtilité, de connaissances.
Vous n’avez d’évidence pas lu le texte de Robert Redeker: Vous vous serez assurément contenté de regarder les « images ».
Oui Nous publions avec honneur Redeker et Lurçat, justement parce que nous nous appelons Tribune juive. Ainsi, ce qui vous met colère est justement ce qui nous rend fiers.
Madame
Permettez-moi de vous dire combien votre usage automatique du « ad hominem » est judicieux.
Vous montrez donc la couverture des « cahiers noirs » de Heidegger, ouvrage philosophique important et informez vos lecteurs que la traduction en Français est en vente dès aujourd’hui 29 avril.
Et les libraires de Roanne ont déjà reçu ma commande !
A propos de la supposée profondeur de Kant, Heidegger ou Sartre…
« Celui qui se sait profond s’efforce d’être clair. Celui qui voudrait sembler profond à la foule s’efforce d’être obscur. » Nietzsche