Extrait de la semaine
L’antisémitisme est aujourd’hui un délit punissable par la loi. Et il est « mal vu » par la société. C’est pourquoi l’antisémite actuel tient absolument à ne pas être désigné comme tel. Pour ce faire, il doit s’adapter, changer de visage, de registre de langage, de public à qui s’adresser. Examinons aujourd’hui quelles sont les nouvelles formules préconisées par les antisémites avant que d’inventorier, la semaine prochaine, les législations en place et les actions citoyennes possibles qui permettent d’exposer les dits antisémites.
Les transmutations
Depuis le début du XXIe siècle, l’Europe a connu une multiplication spectaculaire du nombre d’incidents et actes d’agression à caractère antisémite. Attaques physiques de personnes, déprédations de lieux de culte et de cimetières, proférations d’insultes, campagnes d’incitation à la haine. Quelle est la cause d’une telle aggravation ? La réponse est simple : de nouvelles formes d’antisémitisme se sont rajoutées aux formes existantes.
1. L’antisémitisme traditionnel persiste dans la plupart des pays d’Europe. Et ce malgré, la déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II (1965) rejetant pour toujours la notion d’une responsabilité collective des Juifs dans la crucifixion de Jésus. Il n’en demeure pas moins des intégristes pour continuer d’affirmer le contraire. Dans un document de la Commission pour les rapports religieux avec le Judaïsme (en date du 10 décembre 2015), le Vatican reconnaît que l’antisémitisme n’a pas disparu et qu’il refait même surface dans certains contextes.
2. De nos jours, l’antisémitisme d’origine catholique se voit concurrencé par l’émergence d’un radicalisme islamiste qui ne cesse de gagner du terrain. Bien que le rayon d’action des salafistes ne se limite pas aux seules communautés juives, elles en restent l’une des cibles de prédilection (comme l’a montré l’attaque de l’épicerie Hypercacher perpétrée dans la même lancée que celle contre le magazine Charlie Hebdo, à Paris, en 2015).
3. A l’ombre de l’afflux des migrants, de la crise économique et politique, de la vague des attentats, de la résurgence des mouvements ultranationalistes, l’antisémitisme de droite reprend ‘du poil de la bête.’ Mais il est concurrencé par un antisémitisme de gauche, moins chauvin, qui se veut politiquement correct et de bon ton. Alors que ses aïeuls accusaient Israël de ‘déicide’, cet antisémitisme-ci l’inculpe de ‘génocide’ (le peuple palestinien jouant ici le même rôle que Jésus), et il opère le même type de détournement, la même acrobatie intellectuelle, qu’accomplit inévitablement toute démarche raciste. Et dont tout raciste se sert précisément pour se défendre de l’être.
4. Nous reviendrons sur ces astuces de langage. Ne mentionnons ici que celle d’antisionisme, étiquette signifiant un compte à régler uniquement avec les ‘sionistes’, pas les Juifs. Et citons le pape François « Attaquer les Juifs ou Israël relève de l’antisémitisme. » (allocution du 29 octobre 2015. Voir aussi la déclaration de Mr. Kofi Annan, p. 42). Nous reviendrons à plusieurs reprises sur les avantages que l’antisémite retire de cette dissociation des Juifs israéliens d’avec le reste des Juifs, fondée sur la notion que ‘ce ne sont pas les mêmes’.
5. Critiquer Israël, n’est pas obligatoirement de l’antisémitisme. Par contre, en faire constamment la une de l’actualité et lui consacrer plus d’encre ou de pellicule que pour n’importe quel autre pays, sont bel et bien les indices d’un ‘traitement spécial’. Et donc d’une discrimination. Laquelle se fait aux dépens de crises et souffrances non moins importantes mais ne bénéficiant pas de cette attention particulière. Pour ne pas dire obsessive. Cet excès de zèle journalistique est d’autant plus suspect que nombre d’organes et agences de presse s’obstinent à reprendre une terminologie scabreuse en usage chez les ‘antisionistes’ et autres rédacteurs de propagande anti-israélienne plutôt que d’employer le jargon habituel de leur profession. Il y a un langage éditorial bien distinct pour traiter d’Israël. Tout comme l’Eglise d’antan avait ses formules consacrées pour parler des Juifs. Nous reviendrons sur ce nouveau lexique et les mécanismes psychiques qui s’y rapportent (voir Ch. III). En attendant, ne nous leurrons pas, la cause palestinienne doit son ‘vedettariat’ médiatique à Israël. La star bien malgré elle, l’étoile jaune devenue bleue, victime des mêmes procédés de démarcation, d’isolation et de diabolisation que ceux employés au Moyen-Age. Mais plus nocifs encore du fait de la propagation de plus en plus rapide et extensive de l’information. Ou tout aussi bien du mensonge qui, sous sa forme médiatique, est désigné par le terme de « désinformation« .
6. Dans le journal Le Monde du 12 juin 2002, Françoise Giroud, femme de lettres et politicienne française, écrit : « Je crois que l’ensemble des peuples chrétiens n’a jamais avalé la Shoah. » Mais avec Israël, continue-t-elle : « Enfin ! On a le droit de dire du mal des Juifs. » Après une certaine gêne ou pudeur de l’après-guerre, le négationnisme et la banalisation de la Shoah vont avoir libre cours, particulièrement à l’époque de la seconde Intifada (qui va leur servir de prétexte et de couverture). On parlera de « génocide » du peuple palestinien, de « crimes contre l’humanité » de l’armée israélienne. Et on comparera plus d’un premier ministre israélien à Hitler. Donnant ainsi naissance à un néo-négationnisme qui, avec un rare cynisme, fait du Palestinien un martyr au même titre que les déportés juifs de la période nazie. Privant donc tout Juif, et pas seulement Israël, de la singularité historique la plus marquante du destin de son peuple. Tout en transformant Israël en monstre totalitaire à mettre au ban des nations.
7. Ce qui nous amène à l’antisémitisme étatique. Lequel est loin d’être le seul fait des gouvernements arabes ou islamiques hostiles à Israël. Pour dénombrer les régimes pratiquant un antisionisme évident, il suffit de se reporter aux résolutions anti-israéliennes soumises soit au Conseil de sécurité, soit à l’Assemblée générale de l’O.N.U. Et de voir quels pays votent systématiquement en faveur de leur adoption. Se préoccupant bien plus des ‘méfaits’ reprochés à Israël que de toutes les atrocités commises journellement dans d’autres parties du monde (comme en Syrie et au Yémen, par exemple). Lors de son Assemblée générale annuelle du 1er décembre 2015, l’O.N.U. a adopté 6 résolutions sur les 20 proposées à l’égard d’Israël contre 3 pour le reste du monde. Le 16 décembre 2016, le Secrétaire général sortant, Mr. Ban Ki Moon, reconnaîtra publiquement devant le Conseil de sécurité que : « des décennies de manœuvres politiques ont donné lieu à une quantité disproportionnée de résolutions, rapports et comités contre Israël. »
8. Ce désir de discriminer et isoler Israël prend une forme plus terre-à-terre avec la pratique du boycottage des produits israéliens, mais également d’artistes, d’intellectuels, de chercheurs se voyant refuser l’accès à un festival ou un congrès sous le seul prétexte qu’ils soient les ressortissants d’un pays « honni pour ses crimes ».
9. Les manifestations de haine qui visent Israël atteignent directement ou indirectement les Juifs de la Diaspora. Sur les campus universitaires, les étudiants juifs sont sans cesse pris à parti. Qu’ils répondent des ‘exactions de l’état sioniste’ ou qu’ils les condamnent, on attend d’eux qu’ils prennent position. Ils se voient donc obligatoirement concernés, qu’ils le veuillent ou non. La preuve qu’un tel amalgame constitue une généralisation de type raciste et discriminatoire est que ceux qui interpellent la communauté juive à propos d’Israël mettent en garde contre ce même genre d’amalgame lorsqu’il s’agit de la communauté musulmane.
10. Certains Juifs rejoignent les détracteurs d’Israël, animés d’une conviction que nul ne met en doute, pas plus que leur droit à l’exprimer librement. Il est cependant regrettable qu’ils ne prennent aucunement en considération les neuf points mentionnés ci-dessus. Ni le fait que leurs déclarations soient continuellement exploitées par les antisémites. Ni encore que leur droit à la parole s’exerce au détriment de celui des autres membres de leur communauté. Ne voient-ils vraiment rien de suspect en ce que la presse leur accorde ce droit bien plus souvent qu’aux autres Juifs, alors qu’ils en constituent un sous-groupe minoritaire ?
Cette persistance de l’antisémitisme au sein de nos sociétés pourrait être l’indice d’une stagnation morale, si n’étaient les facteurs récents qui marquent un progrès manifeste dans le traitement de ce fléau : les mesures prises pour en combattre les méfaits ainsi que les moyens de réagir dont disposent aujourd’hui ceux qui en sont la cible. Lesquels vous seront présentés dans les épisodes suivants.
© Raphaël Jerusalmy
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Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, Raphaël Jerusalmy a fait carrière au sein des services de renseignements militaires israéliens avant de mener des actions humanitaires puis de devenir Marchand de Livres anciens à Tel-Aviv. Il est aujourd’hui écrivain, auteur de plusieurs romans publiés chez Acte Sud. Il est également expert sur la chaîne de télévision i24news.
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