Café turc II
Dans un premier article, j’avais déjà évoqué l’hospitalité turque[1]. Cette fois-ci, mardi 6 avril 2021 : une salle de réception pour les invités étrangers, deux beaux fauteuils de style Louis XV à l’armature en bois doré, puis en face, très loin, Covid oblige, un large divan non pas ottoman, mais plutôt, dirais-je de style européen mais qui a la grandeur des salons orientaux. Un mixte donc !, dans cette rencontre entre l’Europe et la Turquie, puisque derrière les deux sièges, on trouve le drapeau turc à côté du drapeau européen, signe que le président Erdogan reçoit deux émissaires importants, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et son homologue, Charles Michel, président du Conseil européen.
Les relations entre l’Europe et la Turquie ne sont pas au beau fixe mais tout va s’arranger, dit le président Erdogan, et toujours, autour d’une bonne tasse de café, mais du café turc ! Le meilleur, le plus chargé en arômes, le plus délicieux au monde. Mais qui, si l’on n’y prend pas garde, peut devenir le plus acre et le plus amer, et qui encore, si on le boit tout d’une traite, peut vous emporter la gorge et vous étouffer…Une seule chose peut alors vous « sauver la vie » : tout recracher ou carrément vomir ! Seul le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avec une malice toute orientale, sait le servir à nos deux émissaires européens.
– Prenez donc place chers amis européens…
– Euh, euh mais où donc ?, murmure la présidente, qu’Erdogan regarde à peine.
– Vous, monsieur le président Charles Michel à côté de moi, sur le fauteuil de droite.
Charles Michel ne moufte pas. Trop poli, apeuré devant le président turc ou trop content de prendre la place de la présidente de la Commission européenne ?
– Et moi, monsieur le président, il n’y a pas d’autres chaise, jeeee…, je devrais me tenir à vos côtés en tant que présidente de la Commission européenne…Peut-être craignez-vous les femmes ?
– Oh non, pas du tout madame. Notre tradition ottomane permettait à nos sultans d’avoir jusqu’à 800 femmes dans leur harem.
…Nous aimons les femmes et les avons toujours respectées.
Madame, von der Leyen, toujours debout, hésite, s’avance puis recule, semble se retenir à une rampe imaginaire, belle métaphore de la diplomatie européenne vis-à-vis de la Turquie…
– Pourtant, votre pays s’est retiré la semaine dernière de l’accord international d’Istanbul contre les violences faites aux femmes.
– Oui enfin, nous sommes là pour en parler franchement, comme de tous les sujets qui nous fâchent et qui m’attristent en ce moment : je veux évoquer sans détour nos actions en méditerranée contre la France et la Grèce, notre présence en Syrie et partout où vous pensez, mais à tort, je dis bien à tort que nous voudrions retrouver la puissance de l’empire ottoman que nous avons perdue en 1918. Parlons aussi en toute franchise de la mosquée de Strasbourg, de la loi sur le séparatisme…
Mais s’il vous plait, ne parlons plus de la triste disparition des Arméniens en 1915, ni des Kurdes… Restons amis chers invités, et partageons un bon café turc avec des loukoums, félicités de la bouche…Mais asseyez-vous donc madame, sur le divan, ottoman, j’entends…Vous y serez bien, loin de nous, les hommes ! Et nous de vous, enfin, je plaisante ! Ah ! Ah ! Alors un café ? Le meilleur que je puisse vous servir ! Tenez, attention, il est chaud. Remuez-le bien avec cette cuillère en vermeil. Ne laissez surtout pas reposer le marc de café et buvez-le d’un coup ! J’en sers régulièrement à mes hôtes européens depuis qu’ils n’ont pas voulu que mon pays entre dans l’Europe. Ils l’avalent d’une traite et comme ils sont polis, ils ne m’ont jamais dit qu’il était amer, qu’ils ont failli s’étrangler et risquer de mourir en s’étouffant.
Depuis je marche sur l’Europe comme sur un tapis turc ! D’ailleurs, j’userai l’Europe jusqu’à la trame. Ah ! Ah ! Humour turc et parole d’Ottoman ! Par peur, vous, Européens, vous vous noyez dans la diplomatie, vous faites trop de salamalecs comme on dit ici, mais tout cela nous arrange. Et comme vous ne nous dites jamais rien, à la fin, nous sommes toujours gagnants. Allez, monsieur le président Michel encore une tasse, ah, pardon j’avais oublié madame, décidément, les femmes ! Je vous sers aussi une autre tasse et remuez bien au fond… Attention, je suis très fort, que dis-je, il est très fort !…
© Jean-Marc Alcalay
[1] Jean-Marc Alcalay, Café turc, in Jforum, 29 octobre 2020.
Source: Publié par brzustowski https://terre-des-juifs.com/
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