L’universitaire sera jugé aujourd’hui 1er avril à Alger pour « atteinte aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans », une première dans ce pays pour un islamologue en exercice.
Un islamologue algérien, Saïd Djabelkhir, comparaît ce jeudi 1er avril devant la justice de son pays pour «atteinte aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans». Un autre universitaire et un collectif d’avocats lui reprochent plusieurs publications Facebook qu’ils jugent offensantes.
LE FIGARO. – Ce type de procès est-il courant en Algérie de nos jours ?
Saïd DJABELKHIR. – C’est la première fois dans l’histoire de l’Algérie qu’un universitaire est poursuivi pour avoir donné son avis dans son propre domaine de compétence. D’habitude, les gens qui sont poursuivis sont des militants, ou des jeunes qui publient sur les réseaux sociaux, mais pas des spécialistes de l’islam.
Que vous reproche-t-on précisément ?
Un prédicateur salafiste avait décrété une fatwa disant que «Yennayer», le nouvel an berbère, était une fête païenne et que sa célébration était haram, interdite. En réponse, je rappelais que d’autres rituels existaient bien avant l’islam, tels que certains pèlerinages.
Je suis ensuite accusé de nier les paroles du prophète car je considère certains haddiths (paroles attribuées au prophète, NDLR) comme non recevables. Par exemple celui qui dit que le prophète a conseillé à certaines tribus de boire de l’urine de chamelle à des fins thérapeutiques. Pour moi, il ne devrait pas lui être attribué.
Enfin, une autre publication concerne par exemple les contes coraniques relatés dans les sourates, comme celui de Noé par exemple. Je considère qu’il faut faire la différente entre l’historique et le mythique. Eux, ils disent que tout ce qui est raconté dans le Coran est de l’Histoire avec un grand H. Je maintiens mes propos.
Quel est le but des plaignants selon vous ?
Les fondamentalistes souhaitent intimider tous les intellectuels qui ont l’audace d’avoir des avis qui sortent un peu de l’orthodoxie, de la doxa qu’on a l’habitude d’écouter sur les chaînes de télévision ou dans les prêches dans les mosquées. Ils essayent d’étouffer la liberté d’expression par tous les moyens, y compris en ayant recours à la justice.
Dans l’ancienne version de la constitution algérienne, il était question de «liberté de conscience». Cette notion n’a pas été reprise en ces mots dans la nouvelle révision, promulguée en décembre 2020. Comment comptez-vous vous défendre ?
Moi, je vais parler du volet religieux. Mon argumentaire va s’appuyer sur les sources scripturaires de l’islam (les écrits saints, NDLR). Le côté juridique, c’est le travail de mes avocats. Il y a aussi les lois internationales qui comptent : la déclaration des Droits de l’Homme (Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, article 18, NDLR) et les chartes internationales que l’Algérie a ratifiées. Elles l’emportent sur le droit national.
Vous êtes le fondateur du «Cercle des lumières pour la pensée libre», un espace de débat engagé contre l’obscurantisme. Vous vous mettez à dos les intégristes, par vos prises de parole sur les réseaux sociaux et vos interventions médiatiques. N’avez-vous pas peur ?
La peur c’est un phénomène naturel, c’est humain, mais ça ne m’arrête pas. Elle ne m’empêche pas de dire ce que j’ai à dire. Je reçois sur ma messagerie privée des dizaines ou des centaines d’insultes et de menaces. Je n’y prête pas attention. Tout ce que je dis dérange les intégristes, bien sûr, ils n’acceptent pas le débat ni la remise en cause des idées reçues traditionnelles.
Plus de 20 ans après la fin de la décennie noire, la société algérienne est-elle de plus en plus influencée par une vision rigoriste de la religion ?
Malheureusement, nous n’avons pas compris la leçon. La violence, l’exclusion, le refus de l’altérité et du débat, tout cela est monnaie courante. L’obscurantisme gagne de plus en plus de terrain, c’est la réalité. Sur le plan des idées rien n’a changé depuis les années 1990: les programmes scolaires sont les mêmes, il n’y a rien qui encourage le débat, le vivre-ensemble, l’acceptation de la différence. Rien n’exclut que les événements ne se répètent. Nous n’avons rien fait pour en éliminer les causes. Elles vivent toujours dans notre quotidien, dans nos médias, et même dans le discours religieux.
L’une des revendications du Hirac est une plus grande liberté religieuse en Algérie. Approuvez-vous ce mouvement ?
Je l’ai soutenu, à ses débuts, comme la majorité des Algériens. Aujourd’hui, plusieurs tendances cohabitent, il est à un carrefour, on ne sait pas ou cela va mener. Le Hirak a eu en tout cas un mérite: les Algériens commencent à comprendre que leurs problèmes ne peuvent pas être résolus en dehors du débat contradictoire et non-violent. Et c’est déjà un grand pas en avant.
Source: FigaroVox 30 mars 2021
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