Henri Guaino met en garde contre les illusions de la proportionnelle.
Ancien partisan de Philippe Séguin et ex-conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, le gaulliste Henri Guaino s’inquiète d’une éventuelle modification du mode de scrutin envisagée par l’Elysée. Il s’en explique pour « L’Obs ». Interview.
Le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand estime qu’il est « sans doute trop tard » pour instaurer un scrutin proportionnel, réclamé par François Bayrou, la France insoumise, le Rassemblement national et les Verts. On imagine que le gaulliste que vous êtes s’en réjouit ?
Ce qui me réjouirait, ce serait que l’idée d’un scrutin législatif à la proportionnelle soit définitivement abandonnée, qu’il s’agisse de la proportionnelle intégrale comme le souhaite François Bayrou ou d’une dose de proportionnelle comme l’avait promis Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle de 2017. Car il faut bien mesurer où cela nous conduirait.
Où ça ?
A renforcer considérablement la mainmise des appareils des partis sur la vie politique, ce que de Gaulle appelait le régime des partis. Le scrutin proportionnel est un scrutin de liste. Ces dernières sont à la main de ceux qui contrôlent les appareils, ce qui a pour conséquence qu’ils peuvent conserver leur mandat ad vitam aeternam, alors que dans le scrutin uninominal majoritaire, n’importe qui peut être battu. Mais plus encore, la proportionnelle favorise les combinaisons partisanes qui se font et se défont après les élections au gré des renversements d’alliances, sans que les électeurs aient leur mot à dire.
La Troisième République avait adopté le scrutin majoritaire et cela ne l’a pas protégée de l’instabilité…
C’est vrai, aucun mode de scrutin ne garantit à lui seul l’émergence automatique de majorités claires : en 1967, la majorité s’est jouée à une voix et, en 1988, les socialistes et leurs alliés l’ont aussi manquée d’une voix. Mais la proportionnelle accroît considérablement le risque des majorités introuvables et des coalitions instables, et le poids des petits partis charnières qui ne représentent rien mais qui font et défont les gouvernements, comme en Israël. Je ne comprends pas cette obstination à chercher à reproduire les errements de la Quatrième République qui nous ont menés au bord du gouffre. Les apprentis sorciers de la proportionnelle semblent oublier qu’il n’y a rien de pire qu’un pays ingouvernable et que cela conduit toujours à des catastrophes. Toujours.
Il n’est quand même pas normal que des partis qui rassemblent des millions d’électeurs à l’élection présidentielle soient aussi peu représentés à l’Assemblée nationale… La proportionnelle n’est-elle pas plus démocratique ?
Pourquoi serait-ce anormal ? Qu’est-ce que cela veut dire ? La normalité démocratique, ce ne sont pas les petits arrangements faits dans le dos des électeurs, ce n’est pas de changer de majorité tous les matins sans repasser par les urnes. En démocratie, le Parlement, et encore moins le gouvernement, n’ont pas à être des échantillons représentatifs de toutes les sensibilités. La démocratie, c’est la règle de la majorité, c’est le vote. La démocratie c’est qu’il y ait une majorité capable de gouverner qui soit élue lors d’élections libres et que toutes les sensibilités soient en mesure, non pas d’être représentées au Parlement, mais de pouvoir concourir à l’élection.
En plongeant la démocratie dans les délices des combines partisanes, la proportionnelle instille un véritable poison qui se traduit par une confiscation du vote des électeurs puisque les majorités se constituent après les élections, et non avant.
Ceux des Allemands qui votent pour le SPD votent contre la CDU et la CSU et inversement, puis, à la fin, ils se retrouvent gouvernés par une coalition de ces partis. Certains peuvent se réjouir de cette culture du compromis, mais je ne vois pas en quoi ce serait le comble de la démocratie.
On pourrait assortir la proportionnelle d’une prime majoritaire…
Certes, mais alors ça changerait quoi, sinon que la liste arrivée en tête serait assurée, même avec une minorité de voix, d’avoir tous les pouvoirs ?
Mais en quoi une simple dose de proportionnelle pourrait-elle nuire ?
L’Italie a un système mixte, avec un peu plus des deux tiers des sièges à la proportionnelle, est-ce un modèle à imiter ? Cela dit, si vous voulez dire que plus la dose est faible, moins elle est nuisible, je ne peux qu’être d’accord. Mais si elle est très faible, à quoi sert-elle ? Encore une fois, si l’électorat est très morcelé, même une faible part de proportionnelle accroît inutilement le risque d’une majorité introuvable. A quoi servirait-il alors de prendre ce risque, si ce n’est de permettre à quelques apparatchiks de conserver éternellement leur mandat ?
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’introduction d’une dose de proportionnelle, quel qu’en soit le niveau, oblige à réduire le nombre d’élus au scrutin uninominal, donc à agrandir la taille de leur circonscription. Cela contribuerait à éloigner encore davantage les élus des électeurs. Est-ce vraiment la meilleure façon de soigner la crise de la démocratie ? Il faut cesser de faire croire qu’on pourra régler le malaise démocratique et la défiance à l’égard de la politique par des artifices techniques et des tripatouillages des modes de scrutin.
Mais alors, que proposez-vous pour prendre en compte les sensibilités qui, sans être majoritaires, ont malgré tout leur importance dans la société ?
Notre système uninominal majoritaire n’a jamais empêché que des oppositions non majoritaires à l’échelle nationale siègent au Parlement.
Avec son scrutin uninominal à deux tours, la France a plus de partis représentés à l’Assemblée nationale que l’Allemagne avec son système mixte au Bundestag. Mais encore une fois, ce qui est important c’est que toutes les sensibilités puissent concourir à la compétition électorale et qu’ainsi, les électeurs aient le choix. De ce point de vue, notre mode de scrutin actuel est le meilleur compromis possible. Au lieu de chercher à résoudre la crise de la politique qui frappe toutes les démocraties occidentales en bricolant le mode de scrutin avec le risque que le remède soit bien pire que le mal, la priorité est de déverrouiller le débat public et les élections, tant pour les législatives que pour la présidentielle.
François Bayrou explique que ce pourrait aussi être une protection contre une chambre des députés hégémonique si un parti extrémiste s’installait à l’Elysée. Il parle de « rail de protection »…
L’ironie de l’histoire, c’est que les nazis sont arrivés au pouvoir en Allemagne avec le scrutin proportionnel : c’est le Reichstag, élu à la proportionnelle, qui leur a confié les pleins pouvoirs. Drôle de rail de protection ! Soyons sérieux. Il faut savoir ce qu’on veut : ou bien on est favorable à la démocratie, ou bien on en a peur ! Si on pense qu’un parti extrémiste menace la démocratie, alors il faut l’interdire ! Mais aucun mode de scrutin ne protège la démocratie contre le risque qu’elle soit renversée. Le seul rempart contre la tyrannie, c’est le peuple lorsqu’il la refuse.
Je souligne au passage l’autre aspect ironique de cette affaire : lorsqu’il évoque un « parti extrémiste » contre lequel il faut se protéger par l’instauration du scrutin proportionnel, François Bayrou songe certainement au Rassemblement national ou peut-être à la France Insoumise… lesquels soutiennent à fond ce mode de scrutin ! Comprenne qui voudra. Il faut bien mesurer que tous les partis sont généralement favorables au mode de scrutin qui leur paraît dans l’instant le plus favorable à leurs intérêts électoraux. Quand François Mitterrand instaure la proportionnelle pour les élections législatives de 1986, c’est dans le seul but de faire entrer le Front national à l’Assemblée nationale pour gêner la droite. Aujourd’hui, on la veut pour empêcher le Rassemblement national d’être hégémonique. A chaque conjoncture électorale ses arguments… Et ceux-ci n’ont, le plus souvent, pas grand-chose à voir avec la défense de la démocratie.
Donc, il faudrait conserver le scrutin majoritaire ?
Uninominal, à deux tours, oui ! Contrairement au scrutin uninominal à un tour qui prévaut par exemple au Royaume Uni, notre mode de scrutin à deux tours offre l’avantage de préserver la diversité de la vie politique en préservant une grande pluralité de partis. Au second tour, la logique majoritaire s’impose : un seul candidat l’emporte. C’est la manière la plus démocratique de mettre chacun face à ses responsabilités.
En fait, le vrai progrès, serait de déverrouiller le financement public de la vie politique : ce dernier constitue aujourd’hui une rente pour les partis en place puisqu’il est attribué en fonction des résultats aux élections passées ; qu’il transite aussi par des déductions fiscales ne concernant que les citoyens assujettis au paiement de l’impôt sur le revenu, désormais minoritaires dans le corps électoral. Ce verrouillage est un frein considérable à l’émergence de nouveaux partis. Il y a aussi la question des parrainages pour l’élection présidentielle dont il faudrait débattre.
Plusieurs propositions ont été émises pour rénover la vie politique, comme la comptabilisation du vote blanc, le vote par anticipation que le gouvernement a tenté de faire passer il y a quelques semaines, ou encore un mandat présidentiel (de 6 ou 7 ans) non renouvelable défendu par Xavier Bertrand ou Arnaud Montebourg. Qu’en dîtes-vous ?
Qu’il est temps d’arrêter ce concours Lépine institutionnel ! Il nous a déjà infligé la bêtise du quinquennat, qui a déréglé toutes nos institutions…
La comptabilisation du vote blanc, pourquoi pas ? Mais je ne vois pas très bien ce qu’elle changerait en soi, à part souligner l’inéquation de l’offre politique avec la demande des citoyens qui de toutes les façons saute aux yeux. Le vote par anticipation ? On a vu aux Etats-Unis que ce n’était pas franchement la meilleure façon de renforcer la légitimité d’un scrutin. Le vote par correspondance ? On l’a supprimé en 1975 à cause des risques de fraude. Pourquoi ce risque aurait-il soudain disparu ? Généraliser le vote électronique ? Cela fait vingt ans que l’on s’écharpe sur les risques de fraude et la menace sur le secret du vote avec les machines à voter. Quant au vote en ligne, il cumule le risque de fraude, le risque sur l’anonymat et l’accentuation de la fracture numérique. Ce n’est pas en ruinant la confiance dans la sincérité du vote que l’on réduira le taux d’abstention qui a, hélas, des causes autrement plus profondes. Tous les spécialistes de contentieux électoral le disent : au bout du compte, un bulletin en papier dans l’isoloir qui solennise l’acte civique du vote, demeure la modalité la plus sûre.
Certaines initiatives de modernisation de la représentation politique ont déjà été tentées l’an dernier, comme les conventions citoyennes tirées au sort. Qu’en pensez-vous ?
L’épilogue du spectacle pitoyable de cette expérience parle de lui-même. Qu’a-t-on vu ? Un groupe de citoyens manipulé par les experts chargés de l’assister et, à la fin, un gouvernement qui avait imprudemment promis de reprendre à son compte toutes les propositions et qui, se retrouvant dans l’impossibilité de les assumer, est contraint de se renier. Il faut prendre cette histoire de tirage au sort pour ce qu’elle est : un mépris non seulement pour le Parlement mais aussi pour le citoyen que l’on juge incapable de faire un usage correct de sa raison lorsqu’il met son bulletin dans l’urne. Le hasard contre la raison : la négation de l’idéal des Lumières, voilà ce que sont ces conventions citoyennes. Si l’on veut vraiment rééquilibrer la démocratie représentative par la démocratie directe, la solution réside dans un usage élargi du référendum.
Il faut replacer la réflexion sur tous ces sujets dans la logique d’ensemble des institutions. Le vrai débat est encore et toujours celui qui oppose ceux qui veulent revenir à l’esprit des institutions de la Cinquième République et ceux qui, sous couvert d’en faire une sixième, veulent en fait nous ramener à la Quatrième. Au fond, ces derniers misent sur le fait que, les questions constitutionnelles ne faisant pas partie des préoccupations immédiates des Français assaillis par toutes sortes de difficultés, ils auront le champ libre pour faire ce qu’ils veulent. L’Histoire nous a enseigné que si on les laisse faire, nous en paierons tous le prix.
Propos recueillis pas Carole Barjon
l’avis de Henri GUAINO est très intéressant… Je pense cependant que :
-> le vote majoritaire à un tour (au lieu du vote majoritaire à un tour), comme en Angleterre, permettrait de faire un meilleur choix pour les élections présidentielles, législatives, municipales : le parti majoritaire aux élections à un tour gagne, sans retomber dans les dérives de la 4ème République
-> il faudrait aussi dissocier les deux mandats : le quinquennat du Président de la République et le mandat de 5 ans des députés : on pourrait s’inspirer des USA où l’élection du Président l’est pour un mandat de 4 ans, et les élections des représentants au Congrès (= équivalent de nos députés à l’Assemblée Nationale) le sont pour un mandat de 2 ans : ainsi à mi-mandat du Président des USA (4 ans) ont lieu des élections législatives de mid-term et le Congrès (équivalent de notre Assemblée Nationale) est à 100% soumis aux élections pour élire tous les représentants (= députés) : si en FRANCE on implantait cette possibilité, avec des mandats de députés de 2 ans 1/2 au lieu de 5 ans, en conservant le quinquennat pour le Président de la République, on obtiendrait une élection législative de mid-term en FRANCE (un peu c’était avant d’avoir créé le quinquennat du Président à partir des élections présidentielles de 2002, alors qu’auparavant le Président avait un septennat et les députés un mandat de 5 ans : ce qui pouvait entrainer une cohabitation et donc réorienter la politique du Gouvernement, si le Président de la République perdait la majorité à l’Assemblée Nationale : le système actuel (quinquennat du Président de la République, et mandat de 5 ans des députés) fait que le Président de la République (MACRON) tient les deux pouvoirs dans une seule main (Exécutif + Législatif) car il a la majorité à l’Assemblée Nationale avec son parti LREM depuis l’élection présidentielle de mai 2017 et l’élection législative de juin 2017 : donc il n’y a plus de séparation des pouvoirs, dans ce cas, on n’est plus en République, ni en démocratie.