Le fait qu’elle ait répudié trois maris, et qu’elle s’en est vantée, a pu faire croire que Nawal Saadaoui détestait les hommes, ce qui était faux. Elle n’aimait pas les dictateurs, quand ils sont à la tête d’un pays, mais elle les aimait encore moins quand ils voulaient instaurer une dictature conjugale. Et cette dictature là, selon elle, était la pire, et la pierre angulaire des dictatures, et elle l’a combattue en priorité. La dernière fois que j’ai revu Nawal Saadaoui, c’était en mars 1995 au cimetière du Père Lachaise, à Paris, à l’enterrement de l’opposante iranienne Zahra Rajavi, assassinée par les spadassins des ayatollahs à Istanbul. Je ne l’ai plus revue, mais je n’ai jamais cessé de suivre ses combats, et ses écrits, puisqu’elle a été souvent présente dans mes chroniques. Elle n’était pas seulement une militante féministe de son pays l’Égypte, rôle dans lequel certains ont voulu l’enfermer, mais elle était partie prenante de toutes les causes justes, à commencer par celle des femmes. Mais avant de se faire l’apôtre de la liberté des femmes, et l’avocate de l’interdiction de l’excision, Nawal Saadaoui s’est battue pour sa propre liberté, et à l’intérieur de sa famille, la cellule familiale étant de son point de vue la première prison des femmes. Outre ses mémoires, et ses livres*, qui lui ont valu des poursuites, et l’emprisonnement, Nawal écrivait régulièrement dans la presse égyptienne, en particulier dans le quotidien « Al-Masri-Alyoum ». J’ai particulièrement apprécié les retours sur ses souvenirs d’enfance, cette période de sa vie où elle a détesté sa féminité. D’abord parce que son frère, plus jeune qu’elle, pouvait sortir et aller jouer dehors sans permission, alors qu’elle était obligée, en tant que fille, de passer sous les fourches caudines de l’autorité parentale, et à ce titre sa mère était encore plus sévère que son père. Elle n’était même pas autorisée à regarder jouer les autres garçons, comme le lui a rappelé, plutôt rudement, le gardien de son immeuble, en la chassant des marches de sa loge, où elle s’asseyait pour voir de loin, comme sur un gradin. Sa maman avait évidemment donné raison au gardien, qui savait où devait être la place des filles, et qui avait aussi le droit de suppléer l’autorité parentale. Son petit frère avait aussi le droit de ne pas coiffer ses cheveux, de les laisser pousser, et de ne pas les peigner, alors qu’elle était obligée de les garder longs, et de les peigner tous les jours. Elle a donc détesté ses cheveux, et son premier acte de liberté a été de ses couper les cheveux, et de savourer la joie de soir ses logues mèches répandues sur le sol. Elle n’aimait pas aussi ces deux bouts de chair qui dépassaient de son corps, ses seins, marque de sa féminité, et qu’elle aurait voulu couper aussi, mais…Quant à son cycle menstruel, elle s’obligeait à vivre en recluse, et à manquer même l’école, lors de ses règles périodiques. Sa première bataille physique, elle l’a menée aussi dans sa famille, et contre son propre frère, qui était traité comme un petit roi, et qui se comportait comme tel. Eduqué, et habitué, en tant que mâle, à commander, et à être obéi de la féminine engeance, il lu avait ordonné un jour d’aller lui chercher de l’eau. Toute sœur égyptienne soumise, comme il se doit, aurait obtempéré, et aurait étanché la soif de son royal frère, mais Nawal se contenta de lui dire: « si tu as soif, vas te chercher à boire ». Ce qui eut le don de rendre furieux le petit prince autoritaire qui fonça sur l’insolente fille pour la corriger, mais l’insolente savait se défendre. Nawal se fit gronder par sa mère, mais comme son père en fit de même avec son frère, il y eut comme un sorte d’équité, mais elle n’en tira aucune satisfaction, sinon celle d’avoir été meilleure au pugilat. Son second acte de révolte touche précisément au mariage, évoqué plus haut, et c’est lorsque sa mère lui demanda de mettre sa belle robe marron qui mettait en valeur ses formes, car les parents recevaient un visiteur. Nawal comprit tout de suite qu’il s’agissait d’un prétendant, car dès les premières minutes, il s’était mis à l’examiner en détail comme s’il la déshabillait du regard. Révoltée, et sans dire un mot ou s’excuser, elle quitta brusquement le salon où était reçu le visiteur, et c’est ainsi que prit fin la visite du premier prétendant. Voilà quelques souvenirs qui peuvent éclairer la personnalité attachante de Nawal Saadaoui, et aider à mieux comprendre ses engagements, et ses prises de position.
© Halli Ahmed
Halli Ahmed est journaliste
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