Marc Brzustowski. Mohamed Merah, ou : il était une fois Al Qaïda à Gaza-sur-Garonne

Retour de boomerang : de l’idéologie de complaisance à l’état d’urgence

Une « légende urbaine », tout droit sortie d’un film de Luc Besson  

  1. Auto-radicalisation et blanchiment médiatique

Mohamed Merah est né le 10 octobre 1988, à Toulouse. Il entrait dans sa douzième année, le 30 septembre 2000, lorsque la Télévision Publique Fr 2 a diffusé, sans précaution, le modèle identificatoire de Mohamed Al-Dura, « âgé de 12 ans, tué dans les bras de son père… par des tirs israéliens », selon la doxa journalistique. Une même distorsion resurgit, en mars 2012, quand Merah justifie ses crimes, pour « venger les enfants de Gaza ». Il s’érige en liquidateur d’une question restée en suspens, sous la forme de l’injonction[1]: le reportage prétendait dénoncer une « Injustice », en quête de « réparation » ; Merah, douze ans passant, se présente au casting du « Justicier ». Peut-on échapper à cette clause de conscience, lorsque tout concourt à ce rapprochement ? Parmi de multiples causes, qu’est-ce qui a bien pu ôter toute commune humanité, aux soldats montalbanais, ainsi qu’à l’enseignant et aux enfants juifs de l’Ecole Ozar Hatorah, dans le regard oblique de ce (prétendu) « loup solitaire »? On le sait désormais, la meute ne tarde guère plus de trois ans, avant de faire surface, qu’elle provienne des réseaux de Cannes-Torcy, des Buttes-Chaumont, de Lunel ou d’ailleurs.

Le 22 mars 2012, au matin, Fil-Info-France.com nous le donne en mille : « L’homme a revendiqué les faits de terrorisme contre les soldats français, dont le régiment de parachutistes est impliqué en Afghanistan, et contre des Juifs franco-israéliensalors qu’Israëll’Etat juif, est impliqué dans l’assassinat d’enfants palestiniens à Gaza.Selon un voisin, Mohamed Merah avait « la rage d’assister impuissant à la tuerie d’enfants palestiniens »[2].

La boucle est bouclée, via le « journalisme » d’exaltation au meurtre. Merah (comme Amastaïbou, Fofana, Sydney, Benaldghem, Nemmouche, les Kouachi, Coulibaly, Ghlam, tous les clones homologués « al Firansi »…) a grandi sur le sol français. Il apparaît comme le produit de synthèse d’une génération perdue, nourrie au biberon de la complaisance à la haine, dont il se sert pour expurger son penchant au crime. Le « cas Merah » ne nous intéresse que comme révélateur, parce qu’il s’est donné les moyens de « faire école ». D’autres, plus ou moins aboutis, tentent une « carrière » dans l’éventail des déviances, des violences urbaines au grand banditisme, l’extorsion, voire plus, selon aptitudes et filières de recrutement de l’islamo-délinquance (le passage par la case prison étant une des voies royales). Ses petits frères sont élevés à l’ombre de l’école laïque, des stades de foot, parfois, de quartiers chics, prêts à rejoindre les terres du djihad.

Sans les procédés courants de blanchiment d’idéologies nocives, comment la compassion envers « l’enfant palestinien » se transmuterait-elle en permis de tuer d’autres enfants, juifs, en France, et en meurtre lâche de soldats français : sur leur sol, alors qu’ils ne sont actifs sur aucun théâtre de guerre, pas même armés pour faire face à leur exécuteur sans visage ? Comment le discours victimaire favorable aux droits des Palestiniens parvient-il à « faire la courte échelle » à l’islamisme prédateur ? Dans une première ligne de responsabilité, on fustige les prédicateurs écumant de haine qui justifient ouvertement des actions de cette nature : propagateurs de fatwas criminogènes, dirigeants de groupes non-étatiques et d’états terroristes. Mais, peut-on donner quitus au rôle facilitateur de notre société de complaisance, par le truchement de ses « leaders/dealers d’opinion », sur le marché des prestations intello-médiatiques ? La prédisposition au politiquement correct peut être dangereuse : des raccourcis idéologiques, des images, des mots ont tué ou permis de tuer.

A peine Merah mis en terre, la culture de l’excuse reprend ses droits, allant jusqu’à l’octroi de primes au terrorisme : son premier chef de chœur est Tariq Ramadan[3], transformant le tueur en « victime ». Puis, Djamel Debbouze s’affiche « ulcéré par l’affaire Merah », dans le Parisien. Yazid Sabegh, Commissaire à la Diversité et l’Egalité des Chances, enchaîne sur les « nombreux drames sociaux » (sic.) du même genre et la « vision fantasmée » qu’aurait la Communauté juive, de « l’antisémitisme dans les banlieues ». Vient le tour d’Henri Guaino – « éminence grise » de N. Sarkozy-, comparant, sans la moindre référence aux milices de la vertu du Hamas, sur Radio-J : « Gaza à une prison à ciel ouvert, où on n’a même pas le droit de se baigner ». Nathalie Artaud (L.O) et Eva Joly (Verts) font un pas de plus, le pas de trop : la « prison » devient « camp de concentration ». Le Maire de Paris, Bertrand Delanoë, joint le geste à la parole et reçoit, le 5 avril 2012, à l’Hôtel de Ville, le convaincu de terrorisme franco-palestinien Salah Hamouri. Il vient d’être relâché, avec 550 (sur 1.027) autres prisonniers de même engeance, contre l’otage Guilad Shalit, retenu cinq ans par le Hamas, en totale infraction de toutes lois internationales. Nombre de caciques du PS, anciens Gardes des Sceaux et Ministres (M. Lebranchu, E. Guigou, J. Lang, J.C. Gayssot…) lui fait une haie d’honneur, façon d’ôter toute valeur à la condamnation prononcée à son encontre par la Cour d’un pays démocratique. Hamouri a, pour lui, d’être membre d’un groupe terroriste réputé « laïc » : le FPLP –allié indéfectible du tueur en Syrie Assad et massacreur de rebelles syriens dans le camp de Yarmouk, près de Damas, d’être soutenu par le Parti Communiste, allié du Front de Gauche (alias France Insoumise), et d’avoir échoué à tuer un dignitaire religieux juif favorable aux accords de paix (le Rav Ovadia Yosef z’l), même s’il n’a jamais rien regretté. 

Une telle uniformité d’attitudes, à peine sommes-nous sortis de la tragédie de Toulouse, relève d’un tropisme bien français, savamment entretenu. Toute « révolution » ne doit-elle pas, nécessairement, passer par une phase de Terreur toute jacobine ? Tous, chacun à sa mesure, exercent un même zèle, au cours de ce processus d’effacement de l’acte et/ou de l’intention terroriste.

Le fil analytique est double : 1) rechercher ce qui, préalablement, concourt à faciliter ou « comprendre » de tels crimes. 2) Relever comment se met en place un discours dénégateur, qui prépare le terrain à ses épigones, le sang à peine séché. Ce processus s’apparente au « négationnisme en temps réel », selon la formule d’Alain Finkielkraut, à propos de « L’effroyable Imposture » de Thierry Meyssan.

Mohamed Merah n’était pas un « désaxé » sujet à « l’auto-allumage », mais un terroriste de quatrième Génération[4]. Il est le fils naturel des lyncheurs de soldats américains à Mogadiscio, en 1993 ou israéliens à Ramallah, le 12 octobre 2000 ; de Khalid Cheikh Mohamed, revendiquant la décapitation de Daniel Pearl, une fois interné à Guantanamo. Merah était un sur- consommateur de séquences de décapitation, un capteur de la « guerre des images », s’auto-héroïsant, grâce à sa caméra GoPro autour du cou, pour jouir sans entrave de la résonance des meurtres commis. En cela, c’est aussi un précurseur de la propagande multimédia de Daesh, très en vogue, depuis les premiers réseaux décentralisés  d’Al Qaïda. Début juillet 2012, ses échanges enregistrés avec les médiateurs de la police ont « fuité » sur TF1, dans le Monde et Libération, hors de tout contrôle judiciaire. Le sensationnalisme prend le pas sur la recherche de verdict et de réparations en Justice. Dans ce contexte de dérégulation, où seule l’opinion sauvageonne prévaut, l’assassin transmet le flambeau au terroriste en état d’échec, mais accueilli en héros, sous les ors de la Mairie de la « Ville-Lumière » :

« Mon combat continuera pour les enfants de 7-8-9 ans qui sont encore en prison », déclame Hamouri, sur Citoyens94.com, au milieu des encouragements émus. Le porte-parole terroriste sait que ses compagnons de cellule : Marwan Barghouti, Samir Kuntar (avec lesquels il s’est fait prendre en photo), étaient tout, sauf des enfants de chœur. Mais le jeune garçon « captif ou déjà mort » est un produit-marketing sûr : cette forme de « tourisme politique » sait frapper les esprits crédules, accoutumés à l’opium toxique qu’il ramène d’Orient. Il a une « nouvelle mission ». D’autres font, régulièrement, des «croisières », flottilles ou flytilles, promues par des agences de voyage turques comme l’IHH, l’ISM, le CBSP, Free Gaza, EuroPalestine… A quand des flottilles pour la Syrie ? Ces procédés d’autosuggestion contribuent à maintenir comme vrai un univers de croyances ou dogme, selon lequel l’avenir du monde tournerait autour de la « question palestino-israélienne ». La manipulation, sans modération, de la cause palestinienne a achevé l’essentiel de sa mission historique : parvenir à semer le doute entre aspiration à la Justice pour un peuple, dumping au carburant de la haine aveugle envers un autre, et djihad tous azimuts, dans un monde en mal d’identité et d’institutions stables…

Le 29 avril 2015, la représentante du collectif Mamans toutes égales (association qui défend le droit des mères voilées d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires) s’est trouvée un modèle pour ses enfants en bas-âge :

« Qu’a vécu Mohamed Merah pour en arriver là ? L’un de mes enfants finira-t-il comme lui parce qu’on a exclu sa maman voilée lors des sorties scolaires ? ».

L’opposition à une loi de la République laïque est une raison suffisante pour commettre un sextuple meurtre, dans l’esprit amoral de cette mère-militante, qui, l’air ingénu, pousse ses petits à suivre l’exemple du tueur de Toulouse, au nom de l’étendard sanglant qu’elle entend conserver sur la tête et imposer à l’école.

Le rétablissement des faits, contextes et proportions n’est qu’un aspect d’une lutte plus vaste. Elle est d’autant plus âpre que l’adversaire a su conserver un maillage serré de relations sociales, reposant sur un ordre traditionnel, où l’élément individuel reste l’émanation subordonnée au groupe, prêt à se sacrifier pour lui. Abdelghani Merah[5] apparaît comme l’exception aux pressions familiales, échappant à son endoctrinement. Nos sociétés technocrates et fragmentées, au contraire, favorisent un épanouissement hédoniste du « quant-à-soi », protégé par l’œil borgne des caméras de surveillance, des satellites et saturé par un cumul d’informations qui anesthésie le « savoir qui pressent »[6].

2)  Déconstruction du « rêve brisé » d’un enfant gâté de Gaza- sur-Garonne.

Le 22 mars 2012, au lendemain d’un Printemps qui peut en cacher un autre, « arabe ou islamiste », des scènes de guerre donnent leur démesure en plein Toulouse, dans le quartier de la « Côte Pavée ». Un « atypique » ou « loup solitaire »[7], Français, d’origine algérienne, Mohamed Merah, se revendique d’Al Qaïda. En dix jours, il vient d’assassiner froidement sept personnes : trois parachutistes et quatre membres d’une école juive, dont trois enfants de 3, 5 et 7 ans et un père de famille, enseignant de 30 ans. Il s’est enfermé dans l’appartement d’un immeuble, avec des vivres, des armes et des munitions. Le « jeune chômeur au RSA » dispose d’un arsenal d’une valeur de plus de 20 000 €, amassé, grâce à ses talents de mécanicien-auto, une série de braquages à main armée, un soutien familial et logistique du djihad et de la voyoucratie locale : pistolets Colt 45, pistolet- mitrailleur mini-Uzi, voitures, caméra, le fameux scooter Yamaha T Max 530, recherché par toutes les polices de France…

Depuis 2008, il a traversé les frontières pakistano-afghanes (2010 et 2011), des zones tribales du Waziristân, où il s’est entraîné aux méthodes des mêmes filières « atypiques ». Il a livré à ses contacts de la DCRI (future DGSI),… une pleine clé USB de « photos de vacances ». Selon eux, il y était parti « chercher femme ». Pourtant, entre 1985 et 2001, les services français sont les premiers à alerter les Américains de la dangerosité des mouvances salafistes globales. Ils savent qu’on n’entre pas au Waziristân sans laisser-passer taliban et que le séjour est destiné à rendre l’impétrant opérationnel. Des dossiers de la DCRI, déclassifiés début août 2012, insistent sur le caractère de « cible privilégiée » et la dangerosité de cet homme, dont le portable échange cent quatre-vingt six appels avec plus de vingt pays… Reste la thèse de la tentation de manipuler un « infiltré » qui se retourne contre ses superviseurs et le rapport du 19 octobre 2012 sur les lenteurs, dysfonctionnements et cloisonnements régions-centre, entre services. Il semble que, si les services centralisés de Paris ont pu, un moment, songer à faire de Merah un informateur, cette hypothèse soit démentie par les services déconcentrés de Toulouse qui évaluent l’individu comme versatile et peu fiable.

Quoi qu’il en soit, on n’est pas au bout de ce genre de chassés- croisés, entre des services de sécurité et les mouvances terroristes, autour des milieux interlopes qui les fournissent. En janvier 2015, le fournisseur d’armes d’Amedy Coulibaly n’est autre que Claude Hermant, un ancien mercenaire, ex-membre du service d’ordre du Front National, qui sert « d’indic » à la Gendarmerie Nationale, dans le but d’infiltrer les milieux du grand banditisme –à la porosité notoire avec le terrorisme- entre la Belgique et Lille. L’e-mail d’un gendarme, daté du 21 novembre 2014, à 8h 47, quinze jours avant les attentats, lui donne le feu vert, pour une opération qui n’a, peut-être, pas de lien direct avec ce qui va suivre, mais sème un trouble difficile à dissiper dans l’esprit des Juges lillois : « Salut Claude, nous avons vu avec notre hiérarchie… Nous sommes partant(s) pour les deux dossiers que tu nous as présentés (armes-Charleroi…)… ». On sait, depuis le début de l’enquête, que Coulibaly s’est fourni à Charleroi.

Que dire encore du parfait amour que filait l’Adjudante de la Gendarmerie Emmanuelle X[8], bretonne convertie à l’Islam, avec un proche de Coulibaly, Amar R., dont le téléphone fonctionne tout près de celui du tueur, les 7, 8 et 9 janvier ? Son amie, formatrice du renseignement, a pu l’introduire, en toute liberté, au fort de Rosny/Bois, centre national des renseignements gendarmes et temple de la police scientifique… Il fait « partie de la famille ». Elle fait aussi allusion à « Charleroi » dans ses courriers. Sans y déceler d’intentionnalité, plutôt une suite ahurissante d’incompétences face à des complicités probables, le tragique des affaires nous hôte, en tout cas, la moindre envie de sourire à ces mises en scène de pieds-nickelés multipliant les gaffes, à la Louis de Funès, dans la peau du mémorable Commissaire Cruchot.

Quant à Merah, il se serait aussi rendu en Espagne, pour une conférence salafiste, annonciatrice d’autres « loups solitaires » en quête de cibles, puis, en Egypte, Turquie, au Liban, en Syrie, Irak, Jordanie. A partir de là, il aurait séjourné en Cisjordanie/Judée-Samarie, en Israël, où il se fait photographier devant le Dôme du Rocher. Depuis Amman et l’Emirat d’Oman, en 2011, il se serait envolé pour les zones tribales. Merah a été remis par la police afghane aux Américains en 2010, qui ont pris soin de le notifier sur la liste noire des suspects de terrorisme, interdits de vol en direction ou à partir des Etats-Unis. Plus tard, on retrouve, également, les frères Kouachi sur cette même liste, alors que Coulibaly appartient à la liste TIDE[9], dans le collimateur des services américains. Merah a, aussi, su prendre ses précautions, en détournant l’attention, lors de ses phases de « retour à la normale ». Il se rendait à ses convocations la main sur le cœur et faisait preuve d’un esprit de coopération qui a bluffé ses honorables correspondants. Les études sur la menace intérieure et les processus de radicalisation insistent sur les pièges de l’identification[10]. Merah a même convoqué son contact de la DCRI, « Hassan », lors du siège de l’immeuble, arguant qu’il ne voulait parler qu’à lui, pour mieux lui annoncer qu’il regrettait ne pas « l’avoir fumé » (dixit). Dans les bandes diffusées, il lui fait amèrement comprendre sa naïveté : « Où tu as vu qu’on fait du tourisme au Waziristân ? La guerre, c’est la ruse, tu vois ? ».

Tout en négociant ferme les pseudo-conditions de son arrestation vivant, il se prépare à l’assaut du RAID, en disposant son mobilier pour tenir le siège. Il met en scène sa propre fin. Les échanges de tirs nourris, quelques trois cents cartouches, dureront plus de six minutes. Mais il aura fallu une heure, de 10h 30 à 11h 30, à la section spéciale de la police, déstabilisée, pour progresser dans l’appartement et venir à bout de l’homme retranché dans sa salle de bains. Il s’élance en tirant sur ses assaillants avant qu’ils n’atteignent leur objectif. C’est lorsque qu’il se penche au balcon, déchargeant le barillet de ses armes contre les policiers du RAID, en « boule de feu », que les snipers logés en contrebas, au premier étage de l’église qui fait face, ont ordre de l’abattre. Il est définitivement stoppé par une balle en pleine tête et une seconde dans l’estomac. Les autres impacts, dans les membres supérieurs et inférieurs, attestent que les commandos avaient ordre de tout faire pour le neutraliser blessé, mais vivant. Il avait affirmé que ses commanditaires lui avaient proposé des ceintures d’explosifs, en vue d’attentats-suicide. Il a préféré renoué avec la tradition des guerriers, en mourant les armes à la main.

Mohamed Merah a tenu la France en haleine et, selon ses termes, l’a « mise à genoux », durant plus de dix jours. Si le pays, son élite politique, la population sont « soulagés », la fin spectaculaire qu’il s’est choisie, défie la débauche de temps et de moyens mis en œuvre pour l’amener à la reddition. Elle signe l’échec du renseignement français à mettre, rapidement, un nom sur une série de crimes et à le capturer, pour le déférer en Justice. S’il y a un procès Merah, se sera celui de son frère, Abdelkader, l’idéologue-logisticien de la fratrie. Sa sœur, inquiétée pour « apologie du terrorisme », y échappe, pour prendre le chemin de la Syrie, courant 2014. Tout comme Hayat Boumeddiene, petite amie de Coulibaly, et tant d’autres. Les principaux médias restent longtemps fascinés par le profil, le parcours non-détecté et la « résistance », « les armes à la main » de ce nouveau prototype de terroriste du « Just do It », en baskets Nike « made in France ».

3) Le serpent circule librement à travers les mailles du filet

Les dix jours précédents, il a exécuté de sang-froid trois parachutistes français, Imad Ibn Ziaten (le 11 mars, date des attentats de Madrid, en 2004), Abel Chennouf et Mohamed Legouade, de sortie et désarmés. Loïc Liber, laissé pour mort, est resté tétraplégique. Chaque fois, sauf s’il doit fuir précipitamment, il applique à ses victimes la signature de ses crimes : il vient très près les achever d’une balle dans la tête. Immédiatement, la presse française veut voir, dans les patronymes des suppliciés, l’indice en attente de preuve, qu’il s’agit bien d’un coup de « l’extrême-droite xénophobe ». La concorde nationale peut sonner le tocsin du rassemblement antiraciste. Trois néo-nazis ont fait scandale, en 2008, au sein de ce même 17ème Régiment du Génie Parachutiste, par leur profession de foi au drapeau du Troisième Reich et ont été exclus, manu-militari. Ils sont rapidement mis hors de cause…

Le 19 mars (date du lendemain des « Accords d’Evian », fin de la Guerre d’Algérie -1962- ; et d’entrée en guerre des Etats-Unis en Irak, en 2003), il se rend devant l’école juive Ozar Hatorah. Il tue, avec les mêmes gestes glacials et méthodiques : Yonathan Sandler z’l, un enseignant de 30 ans, ses deux très jeunes fils, Gavriel z’l, 3 ans, et Arieh z’l, 5 ans. Il blesse grièvement au thorax un jeune homme de 15 ans, Bryan Bijaoui, qui, héroïque, s’interpose pour tenter de protéger la petite Miriam Monsenego z’l, 7 ans, la fille du directeur de l’école. Mais le tueur s’intéresse surtout à la jeune enfant, qu’il poursuit dans l’enceinte de l’école, ajuste sa cible vivante d’une balle dans le dos, alors qu’elle court, éperdue, la saisit par les cheveux et lui loge une balle dans la tête.

Mohamed Merah déclare avoir pris un « plaisir infini » à ses crimes, regrettant seulement sa « frustration » de ne pas avoir massacré plus… Il voulait encore tuer des militaires, des policiers, d’autres Juifs, étendre son rayon d’action vers Lyon, Marseille et Paris. Adolf Eichmann prononça cette phrase : «Je descendrai dans la tombe le sourire aux lèvres à la pensée que j’ai tué six millions de Juifs. Cela me procure une grande satisfaction et beaucoup de plaisir ». Mais le terme « loup solitaire » reste plus convenable que celui d’Islamo-nazi. Pour le monde juif, cette passion de tuer réplique d’autres actes terroristes du même type : comme le quintuple meurtre de la famille Fögel, à Itamar, le 6 mars 2011, que, précisément, la presse hexagonale a massivement choisi de taire, parce que se déroulant « dans les implantations ». Comme si une localisation géographique retranchait, de facto, toute humanité à ses résidents. Les poncifs tuent deux fois.

Avant l’identification définitive du « présumé coupable », c’est l’effervescence au sein des instances musulmanes de France. Le pogrom antisémite laisse, cette fois, grande ouverte la probabilité d’une piste islamiste. Il faut donc prévenir d’urgence les « amalgames », selon la formule consensuelle éprouvée, de retour dans tous les discours politiques, en janvier 2015. Les dignitaires des diverses confessions s’appliqueront à condamner les risques de « dérives ». Mais, ne faut-il pas, d’abord, chercher celles qui ont rendu possibles les actes de Merah ? Quels sont les mantras, slogans, références et points de repère, qui l’ont, graduellement, « missionné »? Quels sont ceux qu’on retrouve dans les lieux communs de la presse, des « intellectuels » et des politiques ?

A l’école juive, il aurait agi « pour venger les enfants palestiniens de Gaza », dit-il. En exécutant les parachutistes, il a voulu punir la présence française contre les Talibans, ses frères, en Afghanistan (que le gouvernement suivant s’empresse de démobiliser, en rupture des accords passés avec les alliés –Comme l’Espagne l’a fait d’Irak, en 2004). Pour l’assassin, la mort d’un seul soldat sur le territoire vaut celle de six de ses compagnons en Opex (opération extérieure). Les vidéos très explicites, qu’il a pris soin d’enregistrer, répercutent ses paroles cinglantes : « Tu tues mes frères, je te tue », assène t-il à Abel Chennouf, avant de l’achever. Il lui fallait « gagner la guerre de l’image » en fixant la mort d’enfants juifs et de soldats français, comme ennemis de même valeur. Le 26 mars au soir, ce matériel a abouti dans les studios d’Al Jazeera, à Paris, transmis au Qatar, d’où officie le Prédicateur Youssouf Al-Qaradawi, guide spirituel de l’UOIF, vitrine légale en Europe et en France. Celui-ci, ainsi que Youssouf Al Masri, prédicateur salafiste, sont, in extremis, interdits de congrès au Bourget, le 6 avril, du fait d’un contexte, momentanément jugé « inapproprié ». L’Emir Ahmad Bin-Khalifa Al-Thani, puis son Fils Tamim ben Ahmad, leur protecteur régnant sur le Qatar, sont aussi les « bienfaiteurs » du Hamas à Gaza, qui prône l’extermination des Juifs.

Jusqu’à présent, l’émirat s’est abstenu de mettre son client et vassal dans la crise économique, en difficulté, lors de la réception de ces vidéos sanglantes. Le Qatar préfère s’acheter la France au Monopoly (Immeuble Virgin sur les Champs-Elysées, Hôtel Raffles, ex-Royal Monceau, Centre de Conférences de l’avenue Kléber à Paris, Société fermière des Casinos de Cannes, Hôtels Majestic et Gray d’Albion, des investissements en Seine-Saint-Denis), entreprises (2 milliards de $ d’actions dans Total, Cegelec, participation de 5, 8% dans Vinci –BTP-, Véolia (5%), Suez-environnement (1%) 13% de Lagardère, soit plus que son prête-nom héritier, notamment, lié à divers groupes de luxe –LVMH- ou de presse, dont Canal+, du sport, de la télévision, Le « Printemps »…) et par symboles capitaux (le Paris-Saint-Germain, Barça Barcelone). Une convention fiscale, modifiée en 2009, offre un régime préférentiel aux ressortissants du Qatar, exonérés de taxation sur les plus-values immobilières. En novembre 2012, l’Emirat investit dix milliards d’Euros dans les entreprises françaises. Il possède, également, au Royaume Uni : Harrods, London Stock Exchange (56% de la City), Shell, Barclays, Sainsbury, Canary Wharf ; et en Allemagne : Volkswagen, Porsche, en Espagne et Portugal, des compagnies d’électricité Iberdrola et Energias. Il est actionnaire des 1.000 plus importantes entreprises du monde. Selon le New-York Times (06 décembre 12), lors de l’intervention en Libye, le Qatar a largement détourné l’argent et l’armement américain au profit de groupes salafistes islamistes, leur offrant les moyens de devenir une force déstabilisatrice, après la chute de Kadhafi. Il a procédé aux mêmes manœuvres au Mali, en Syrie, puis en Irak, au profit de l’Etat Islamique. Les réseaux Sarkozy et Fabius, au pays de l’or noir, jurent mordicus que Doha est « de notre côté ». L’achat de vingt-quatre Rafale redore l’honneur bafoué de nos bienfaiteurs.

4)La rumeur de Damas, expression moderne de la « Causalité Diabolique »[11]

Dans les dix jours suivant les crimes de Merah, on enregistre plus de quatre-vingt- dix incidents de cette nature, et cent quarante-huit pour mars et avril, dont quarante trois sont particulièrement violents. Trois jeunes Juifs sont agressés à coups de marteau et de barres de fer à Villeurbanne, le 2 juin 2012. Un jeune Juif, issu de la même école (rebaptisée Ohr Hatorah) de Toulouse, est roué de coups, début juillet, dans le train le ramenant à Lyon, des synagogues du « 9.3 » sont vandalisées, une épicerie casher de Sarcelles essuie une grenade et un jet de pavés, le 19 septembre, de la part d’un duo motorisé. Le cycle infernal se poursuit, au cours des trois années suivantes, montant chaque fois d’un cran. Simon Epstein, expert de l’antisémitisme, a étudié la morphologie de différentes phases d’incidents. Il conclut que ces vagues sont rythmées par des lois autonomes. L’antisémitisme se caractérise par le syndrome de « la montée dans le train en marche » : quelqu’un déclenche les incidents, mais ce sont d’autres individus, sans lien avec lui, qui commettent des actes supplémentaires et ainsi de suite. L’écho apporté aux assassinats de Merah semble, ainsi, indiquer une perspective effrayante, qui rebondit dès le printemps 2012, avec l’activation de la cellule de Cannes-Strasbourg-Torcy, jusqu’à la prise d’otages de l’HyperCacher de Porte de Vincennes, par Coulibaly. Non seulement les évènements au Moyen-Orient accentuent gravement les risques de violence antisémite (été 2014), mais même en leur absence, un acte criminel majeur – qui visait d’autres victimes institutionnelles (l’armée française)- duplique beaucoup d’autres incidents similaires. Plus de quinze ans de couverture médiatique intensive, presque sans interruption, continuent d’avoir des répercussions dans les esprits et laissent des séquelles statistiques profondes. En 2012, année marquée par les meurtres abominables de Merah, le SPCJ[12] observe une augmentation de + 58% des actes antisémites, en France[13]. Fin 2013, l’affaire Dieudonné et sa « quenelle » occupent les esprits et le 26 janvier 2014, des hordes du « Jour de Colère » (à l’origine, contre la politique de François Hollande) déversent des slogans appelant à l’exclusion des Juifs de France. 2014 connaît encore un doublement (+101%) de ce triste palmarès, jusqu’à cette sorte de point d’orgue que constituent les meurtres d’Amedy Coulibaly, le 9 janvier 2015. Or, les écrans se sont détournés d’Israël et des territoires, pour se focaliser sur leur proche environnement, en profond remaniement (« Printemps Arabe », Guerre civile en Syrie, Califat en Irak, guerre antiterroriste dans le Sinaï, demain la Libye…). L’antisémitisme réaffirme qu’il n’a nul besoin de contexte conflictuel exotique, pour trahir son anachronisme.

Simon Epstein s’autorise ainsi à penser que l’impact de ses crimes ne porte pas seulement sur ceux qu’il tue, mais sur bien d’autres, dont il provoque indirectement les agressions répétées. D’où le soin particulier apporté aux mises en scène de la mort (Merah, les Kouachi, Coulibaly) ou du procès (Fofana, Amastaïbou). C’est un « fertilisant » sur terreau propice. Comment la France et l’Europe, -qui ont globalement rompu avec les doctrines antisémites, excepté quelques isolats (les duettistes Dieudonné-Faurisson, Soral, ou Jean-Marie Le Pen dans son One-man-show pathétique)- deviennent les « mères-porteuses » de ce mauvais remake ?

C’est dans l’extrême « banalité du mal » (Hannah Arendt) qu’il faut chercher ce qui rend le Toulousain (ou ses semblables) si étrangement proche et « excusable » aux yeux des commentateurs cités. Or, c’est précisément tout ce qu’il pouvait avoir de « français » en lui qu’il a froidement liquidé pour achever sa métamorphose en djihadiste palestino-afghan. Cela ne devait se produire ni à Kandahar, ni à partir de Gaza, mais là où les anneaux du serpent féconderaient des « petits », au pays où sa mère a accouché de ce « Rosemary baby ». Dans sa vision du monde, il est venu porter la guerre (Dar al-Harb) en France, en assassinant l’ennemi désarmé : les soldats de l’armée « croisée » (surtout si musulmans), les Juifs et leurs enfants.

Merah, au moment de « s’expliquer », s’en tire par une pirouette en tenant pour acquis que les Juifs seraient, en eux-mêmes, des meurtriers ontologiques d’enfants. La notion de « crime rituel » est ancienne, dans l’imagerie antisémite. Elle n’est pas, au départ, typiquement islamique. On la date de la « rumeur de Norwich », en 1144, en Angleterre[14]. Elle alimente presque toutes les accusations de complot, de « meurtres d’enfants chrétiens » pour « adjoindre leur sang à la matzah de Pessah », qui ont donné corps à la plupart des pogroms, en Europe. A l’ère moderne, alors que les Juifs occidentaux ont, majoritairement, choisi la voie de « l’émancipation », elle rebondit, au cours de « l’Affaire de Damas », en février 1840, lors de la disparition d’un moine et de son domestique. L’ordre des Capucins est placé sous la vigilance de la France, protectrice des Chrétiens d’Orient. A l’époque, Paris, en quête d’influence en Méditerranée, encourage le vice-roi d’Egypte, Muhammad Ali, à se libérer de la tutelle de la « Sublime Porte » ottomane. Ces projets sont contrecarrés par la Russie, l’Angleterre, l’Autriche et la Prusse. Il est logique que le Consul français intervienne pour démontrer sa célérité à démêler l’affaire. Ce qui l’est moins, c’est le rôle inflammatoire qu’il va jouer, avec les services du Quai d’Orsay, dans l’amplification de cette rumeur antijuive, qui devient croyance populaire en terre d’Orient. Chrétien pratiquant, il est évident, pour lui, que les Juifs sont les seuls coupables. Mais, puisque ceux-ci sont « très rusés et manipulateurs », il ne peut, bien entendu, fournir la moindre preuve de ce qu’il avance. Le mécanisme du renfort du préjugé en boucle est connu.

La communauté juive d’Europe, dont Salomon de Rothschild (de la branche viennoise), Adolphe Crémieux, Moses Montefiore, se mobilise pour voler au secours des Juifs torturés, alors que huit sont déjà morts entre les mains de leurs bourreaux, en présence de Jean-Baptiste Beaudin, bras droit du Consul de France, à Damas. Isaac Piciotto, un riche commerçant, fils de l’ancien représentant officieux d’Autriche à Alep, est incarcéré. Il fait appel à son propre Consul, Merlatto, qui parvient à des conclusions opposées à celle des Français. Il proclame l’innocence des accusés et fait parvenir son rapport au chancelier autrichien. Metternich affirme qu’il ne s’agit que de résurgences des calomnies ayant eu cours au Moyen-Âge et ridiculise l’arriération médiévale de la déjà très « arabe  politique de la France ».

La « modernité à rebours » de cette affaire franco-syrienne, antérieure à l’Affaire Dreyfus, de 1894, aux décrets de Pétain et à la vague judéophobe des années 2000, n’est pas différente de la manipulation des croyances populistes par les nobles polonais, russes[15], ou les hordes cosaques, des XVIIème au XIXème siècle. Des appétits d’influence, dans cette partie d’Orient, poussent le Quai d’Orsay à devenir l’un des principaux promoteurs chrétiens des rumeurs nées en Angleterre, à la fin des Croisades. Ce rappel n’est pas neutre, à l’heure où la dynastie Assad, poste avancé de la lutte contre les « Sionistes », achève son règne dans le sang de ses propres enfants, depuis bientôt cinq ans [en 2015 – 10 ans en 2021]. Retour de balancier postcolonial, plus aucune puissance occidentale n’ose intervenir ouvertement, sinon depuis les cieux, en se servant de milices, comme autant de légions étrangères, au sol.

Un siècle avant la renaissance de l’Etat d’Israël, l’antisémitisme, s’il se nourrit encore de quelques solides « canons de l’Eglise », sert des desseins impérieux, purement politiques. Penser que la doxa antisioniste, un siècle et demi plus tard, en Europe, ne vise que la « critique d’opinion », relève du piège sémantique : toute diabolisation suppose, en retour, une victimisation. Le théâtre conflictuel moderne offre tous les accessoires dont cette mise en scène a besoin, depuis Shylock, dans le Marchand de Venise (W. Shakespeare). Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil, lorsqu’on cherche à mettre Israël, Etat, peuple et armée populaire de défense au ban des nations. Ou, comme on l’a attribué par erreur à Beaumarchais, en fait, de Francis Bacon, repris par Goebbels : « Calomniez-calomniez, il en restera toujours quelque chose ! »[16].

En-deçà des influences françaises en Orient, l’Islam, puis le Califat ottoman et ses Janissaires, régnant longtemps sur l’Algérie, sont loin d’être indemnes d’une tradition antijuive intrinsèque : elle naît avec la confiscation des biens, l’expulsion et l’exécution des tribus juives Qoreichites (vaincues par Mahomet, en 624 à la bataille de Badr) Qainukaa,  Badu Nadhir et Quraïza de Médine (à Khaybar, 629). Cette haine fondatrice et ce mépris pour « Les Gens du Livre » (soumis à la Jiziya) feront du monde islamique un repreneur intéressé du vieil antisémitisme européen, lorsqu’il devient honteux, après les monstruosités du Nazisme, puis, au moment de la décolonisation. La plupart des pays arabes expulsera des populations juives présentes depuis les comptoirs de Carthage (soit bien avant l’Islam) : « L’exil au Maghreb ; la condition juive sous l’Islam, 1148-1912[17] », de P. Fenton et D. Littman, expose la précarité de la vie juive sous la domination musulmane, tout au long des siècles, là où ne subsiste pas de Chrétiens : entre dhimmitude, humiliation, soumission, conversions forcées, massacres intermittents, « l’Âge d’Or » d’Al Andalus est renvoyé au Musée des Contes à mourir debout… Puis, les Juifs deviennent les bouc-émissaires de la Colonisation française, aux yeux des Indigènes : le pogrom de Fès, en 1912, fait soixante victimes et douze mille sans-abri. C’est, encore, un modèle de duplicité machiavélique, entre le pouvoir chérifien et Paris, pour détourner la colère des masses.

5) Solution à Deux-Etats ou Figure Fractale d’Etats Faillis ?

Pour contrer les premières vagues migratoires juives en « Palestine mandataire », Hadj-Amine Al-Husseini est l’instigateur des pogroms de 1921, 29 et de 36 à 39, puis d’avril 1941, à Bagdad, où périrent cent cinquante Juifs irakiens, lors de son coup d’Etat pronazi manqué en Irak. Le Grand Mufti de Jérusalem forme, ensuite, les « SS-Musulmans » de la 13ème Division de Montagne de la Waffen-SS Hanschar, en Bosnie, dès mai 1942. Elle exécute le massacre de 90% de la communauté juive bosniaque, forte de douze mille âmes. Husseini organise, ensuite, l’unité Afrika des Einsatzgrüppen, rattachée à l’armée de Rommel, sous le commandement du Standartenführer Walter Rauff –responsable du développement des Gaswagen, camions à Gaz, expérimentés sur les Allemands handicapés, puis à Chelmno, en Pologne-, chargé d’exterminer les un million cinq cent mille Juifs d’Afrique du Nord et d’Orient. Rommel est défait à El Alamein par les Britanniques, avec le soutien massif de commandos juifs et d’unités du génie venus du Foyer Juif, futur Israël.

A la fin de la guerre, Husseini est l’invité privilégié du Quai d’Orsay–qui l’a déjà protégé des Anglais à Beyrouth en 1937-39-. Il réside à St-Maur, puis à « La Roseraie » de Bougival[18], malgré sa stature de criminel de guerre, sa présence assidue auprès du Führer, son service actif à la propagande S.S dans le monde arabe et son projet avorté de construire un Camp d’extermination à Naplouse-Sichem. Il reste le leader emblématique de ce basculement, d’un totalitarisme à l’autre[19]. Une fois encore, le Quai d’Orsay joue le rôle-charnière d’accélérateur de particules antisémites, dans sa reformulation d’après-guerre : l’antisionisme viscéral. La Maison France récidivera, plus tard, en offrant l’hospitalité au grand Ayatollah Khomeiny, à Neauphle-le-Château. Selon les biographes, le Mufti, rêveur impénitent d’une « Solution Finale au Moyen-Orient »,  endosse une lourde responsabilité dans l’absence de tout compromis entre Juifs et Arabes, avant 1948, et le déclenchement des conflits en chaîne qui s’en suivent.

Là où l’industrialisation de la mort a échoué, le terrorisme des Fedayyin, venus du Liban ou de Syrie, dès les années 1950, pense trouver une justification doctrinaire, centrée sur la victimisation. Un peuple entier, bénéficiant du label de l’UNRWA, va être mobilisé à incarner les « Juifs des Juifs » : les réfugiés palestiniens, encouragés à fuir leurs foyers, le temps que cinq puissances arabes – chacune cherchant à s’accaparer une part de territoires – rejettent les Sionistes à la mer.

Bien qu’entretenus jusqu’à ce jour dans cette fiction du retour, les Palestiniens de Syrie, cherchant refuge en Jordanie, s’attirent la méfiance et le rejet de leurs pairs exilés syriens : ils sont considérés comme les collaborateurs de la dictature. Certains membres de leurs milices sont froidement exécutés par les rebelles, pendant que l’armée d’Assad tire des roquettes contre le camp de Yarmouk, pour maintenir la mainmise du FPLP d’Ahmed Jibril sur les autres résidents, dont certains groupes (entre autres, liés au Hamas) basculent dans la rébellion. Puis l’Etat Islamique envahit momentanément 90% du camp et exécute un millier de réfugiés, en mars 2015. Samir Kuntar, le codétenu de Salah Hamouri, a bien failli être lynché par des Salafistes, à Bizerte, en Tunisie, le 16 août 2012, du fait de sa collaboration ouverte avec le Hezbollah et Assad. Au total, ce sont, environ, soixante mille Palestiniens du « Mouvement des Jeunes Palestiniens pour le Retour » et des « Forces de Galilée », du Liwa Al-Quds et du bras armé de l’OLP, qui soutiennent ou combattent pour la dictature syrienne et le Hezbollah, dans les Monts Qalamoun et ailleurs[20].

Le Roi Hussein, menacé d’être renversé et exécuté, lors d’un attentat, par Arafat et G. Habache, avec l’aide de l’armée syrienne, n’a pas hésité à en massacrer plus de 10. 000, lors de la rébellion de « Septembre Noir », en 1970. Ils ont été détestés au Liban, malmenés, puis expulsés, lors de la chute de Saddam en Irak, car bénéficiaires d’un statut de protégés et traités en parias, par les « pays-frères »…  Lorsque neuf cent mille Juifs sont expulsés des pays arabes, jamais un échange de populations ne sera seulement envisageable…

Néanmoins, la cause palestinienne, qui n’a fait qu’instrumentaliser la même rumeur de meurtre délibéré d’enfant, a réussi l’exploit technique de la faire relayer par les chaînes du monde entier. Pour réaliser ce tour de force, il lui suffisait de la coupler à la notion « d’occupation », occultant le rejectionnisme arabo-musulman, viscéralement opposé à toute présence et souveraineté juives, depuis les débuts de cet Etat. Elle permet de s’attirer l’empathie de l’Occident, sur le même registre que la légende de « Jésus le Palestinien de Nazareth», appuyée par l’UNESCO, et de toute la sous-culture sacrificielle et doloriste qui nourrit la mythologie des Shahid, les réjouissances offertes par leurs mères, transfigurées en machines à produire des bombes humaines.

La souffrance palestinienne est bien réelle, pourtant. Mais elle résulte autant de l’absence de volonté politique de ses cadres à mettre un terme à la guerre asymétrique dont ils se nourrissent, que de l’implication existentielle de la partie adverse. Elle est automatiquement encadrée par les gangs dont elle reste otage, au nom d’un agenda qui ne laisse aucune place à l’existence du voisin (voir : les déclarations d’Abu Mazen, devant l’ONU). Au mieux n’est-il représenté qu’à travers le prisme déformant de la monstruosité, visant à empêcher toute résolution du problème : sans le conflit permanent qui le fait exister, en miroir de l’Etat qu’il dénonce, le système idéologique généré par l’OLP, devenue Autorité Palestinienne, risque l’effondrement aux yeux de ses pourvoyeurs et contributeurs. Actuellement, le Fatah n’est plus réellement le groupe dominant (l’a-t-il jamais été ?) : il ne dirige que des infrastructures, pas les « esprits et les cœurs ». Les Frères Musulmans d’Egypte, devenus hors-la-loi, après juillet 2013 et majoritairement réfugiés à Istanbul, ont, désormais, besoin du soutien du Hamas, se rapprochent de l’Iran, négocient avec les Salafistes du Sinaï, mais ont échoué à tarir les sources de tout compromis avec Israël. Comme une vaste partie du Pakistan, de l’Afghanistan, de l’Irak, de 90% du territoire syrien, du Sud-Liban, du Yémen, de la Somalie, du Soudan, les zones immenses du Sahel et d’autres, le proto-Etat palestinien, sur-dépendant de l’aide extérieure, selon la Banque Mondiale, est, d’abord et avant tout, un embryon d’Etat délibérément Failli[21] et subdivisé en deux clans. Il est marqué par l’impossibilité chronique de cohabiter avec « l’Autre », essentialisé, depuis les origines du refus arabe (1948, Khartoum 1967, dont le vote à l’Assemblée Générale de l’ONU du 29 novembre 2012, puis du 29 novembre 2014, sont l’ultime avatar…). C’est un laboratoire expérimental de la guerre de basse intensité, avec ses arrière-cours du Liban, de Gaza, du Golan et du Sinaï, fondé sur le désir d’anéantissement, qui tend à se répandre à l’échelon de plus vastes parties de la planète. C’est, en partie, pourquoi il s’agit d’un des joyaux de la couronne, pour le djihad à ambition globale… Voici venu le temps des Assassins[22]

Par Marc Brzustowski

Terre-des-Juifs.com

Ce site traite de l’actualité et des évolutions géopolitiques au Moyen-Orient, de la société israélienne et de la diaspora juive


[1] Une injonction paradoxale est un ordre donné auquel l’autre ne peut obéir sans désobéir. L’exemple type dans les écrits de Palo Alto est l’ordre : « Sois spontané ! ». Car si l’on essaie d’y obéir, on ne peut plus être spontané, et si on refuse d’obéir non plus. Il met la personne qui le reçoit dans une situation psychologiquement inconfortable et peut engendrer des névroses d’origine relationnelle. Que dire du fameux : « Indignez-vous ! » du fabriquant de génération spontanée, Stéphane Hessel ?  

[2] http://www.fil-info-france.com/

[3] T. Ramadan, “Les enseignements de Toulouse,” Communiqué de Presse, 22 Mars 2012. [French] www.tariqramadan.com/LES-ENSEIGNEMENTS-DE-TOULOUSE,11912.html

[4] http://www.terrorisme.net/p/article_210.shtml. Théorie d’Abu Musab al Suri : « Nizam, la Tanzim » (Système, pas organisation) : dans le système individualisé du djihad d’Al-Suri, la fonction de commande et de contrôle revient à chaque agent ou à chaque chef de cellule. En essence, il n’y a pas de hiérarchie organisationnelle de laquelle tirer une quelconque instruction au niveau opérationnel. De fait, comme éléments inhérents d’une structure disséminée et inexistante en tant qu’organisation, les individus fonctionnent de manière autonome.

[5] A. Merah, avec M. Sifaoui : Mon frère, ce terroriste. Paris, Calmann-Lévy, nov. 2012.

[6] A. Bauer et X. Raufer : La guerre ne fait que commencerRéseaux, financements, armements, attentats les scénarios de demain, JC Lattès, Paris, 2002.

[7] L’abécédaire du Jihadiste solitaire et de la décentralisation maximale est élaboré par Abu Musab Al Suri dix ans avant le 11 septembre 2001 : Brynjar Lia : Architect of Global Jihad, The Life of Al Qaeda Strategist Abu Musab Al-Suri, Columbia University Press, janv. 2008. Abdelghani Merah réfute la thèse du « loup solitaire », mise en avant par B. Squarcini et la DCRI. Souad, sa sœur – partie en Syrie avec une partie de la famille, dont un membre apparaît sur des vidéos d’exécution de l’Etat Islamique- prêtait sa carte bleue, Kader, le frère l’accueillait en Egypte, le « Gourou » Olivier Corel l’influençait, ainsi que tout un « noyau dur » salafiste toulousain. Abdelghani Merah/entretiens avec Mohamed Sifaoui : Mon Frère, ce Terroristeop.cit.

[8] L’incroyable liaison amoureuse d’une Gendarmette avec un proche de Coulibaly :http://www.lefigaro.fr

[9] Terrorist Identities Datamart Environment. Ce système enregistre des données personnelles concernant tout « terroriste » soupçonné ou connu, et contient des informations classifiées provenant de la communauté nationale du renseignement (CIA, DIA, FBI, NSA, etc.). À ce jour, la base contient plus d’un million de noms.

[10] M. D. Silber, A. Bhatt : Rapport du NYDP (police new-yorkaise) : Radicalization in the West. The homegrown threat. Août 2007. Cité par Claude Moniquet, p.256 : Guerre Secrète, services secrets, diplomatie parallèle et opérations spéciales, dans la guerre contre le terrorisme depuis septembre 2001. Paris, Encre d’Orient, septembre 2011.

[11] L. Poliakov : La Causalité Diabolique, Paris, Calmann-Lévy, 2006

[12] Le Service de Protection de la Communauté Juive de France.

[13] La France détient, déjà, l’honneur douteux d’occuper la première place, avec l’enregistrement de 200 actes antisémites, en 2012, selon une étude du Centre Kantor, pour le Congrès Juif Européen. Les Etats-Unis relèvent 99 actes de ce type, la Grande-Bretagne 84, le Canada 74 et l’Australie 3. La tendance se poursuit, en 2014, mais l’Angleterre observe le saut quantitatif le plus inquiétant, la France étant à +101%.

[14] Les premières traces d’antisémitisme datent du 3ème siècle avant l’ère ordinaire. Il serait né à Alexandrie,  dans les écrits du Prêtre égyptien Manethon, au temps de l’Exode, selon Pieter Van Der Horst, philologue.

[15] -« Le protocole des Sages de Sion », rédigé à Paris, par un informateur et publiciste, M. Golovinski, peut être considéré, à l’instar de la rumeur de Damas, comme l’acte de naissance du Conspirationnisme antijuif moderne. Il est bien précédé d’au moins 7 ans, par l’Affaire Dreyfus.

[16] F. Bacon : Audaciter calomniare semper aliquid haeretin De dignitate et augmentis scientiarum, VIII, 2.

[17] D. Littman, P. Fenton : L’exil au Maghreb ; la condition juive sous l’Islam, 1148-1912. Presses universitaires de la Sorbonne, PUPS, Paris, 2010.

[18] T. Herschco : Le Grand Mufti en France : Histoire d’une évasion. http://www.controverses.fr/pdf/n1/grand_mufti.pdf

[19] M. Küntzel, Jihad et haine des Juifs, éditions L’Œuvre, Paris 2009.

[20] http://www.memri.org/report/en/0/0/0/0/0/0/8571.htm

[21]  M. L. Van Crevald, The Transformation of War, Free Press Eds., 1991. Paru en français en 1998 : La Transformation de la guerre, Editions du RocherLa guerre non-trinitaire ou non-Clautsewitzienne, soit « de basse intensité », « asymétrique » devient la norme, contraignant les Etats-Nations à s’y adapter.

[22] Arthur Rimbaud : IlluminationsMatinée d’ivresse, 1ère édition : 1886, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2004.

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