L’artiste-peintre d’envergure internationale a réalisé un livre d’art qu’il a souhaité accessible à tout public illustré de 120 œuvres inédites
La transmission pourrait être le fil conducteur de l’œuvre du peintre contemporain Alain Kleinmann. Même s’il est difficile de réduire cet artiste majeur et son art à des mots, il faut savoir que l’immense talent d’Alain Kleinmann est proportionnel à sa modestie.
Considéré comme un artiste de la mémoire, celle de la Shoah et d’une identité juive ashkénaze que la Catastrophe a échoué à faire disparaître, ses réalisations redonnent vie à un monde disparu, celui du shtetl, la bourgade juive d’Europe centrale. Ses œuvres sont toujours habitées par des lettres, par des âmes, par un « je-ne-sais-quoi » d’humanité qui touchent celui qui la contemple.
Témoignage vivant, les sujets de ses réalisations n’ont jamais cessé d’évoluer par la diversité des supports employés et des techniques développées. Des ponts de différentes natures sont ainsi édifiés entre le sujet et la technique qui mixte l’emploi de matériaux nobles à l’état neuf et la récupération de supports usagés chargés d’histoire.
Tradition et mémoire, histoire et actualité, sont convoquées simultanément pour ouvrir un univers des possibles.Huile sur toile d’Alain Kleinmann. (Crédit : Collection Alain Kleinmann/DR)
D’ailleurs, Elie Wiesel disait : « Je trouve les images d’Alain Kleinmann émouvantes et même bouleversantes… » Ce que corroborait l’écrivain israélien Amos Oz en s’adressant à l’artiste : « Vos œuvres sont une puissante commémoration d’un monde qui a été assassiné. Votre travail est calme, murmuré, mais accablé de nostalgie, de compassion et de chaleur. Merci. »Alain Kleinmann, un artiste international. (Crédit : Collection Alain Kleinmann/DR)
Ces liens noués ont conquis un public de privilégiés à travers le monde. Des milliers d’expositions en témoignent sur tous les continents. Ce qui fait d’Alain Kleinmann un des artistes contemporains majeurs et son œuvre, la plus remarquable du monde de l’art (juif). Se jouant des oppositions communément admises, elle est un trait d’union entre un monde exigeant — celui de l’art — et le grand public.Alain Kleinmann dans son atelier parisien. (Crédit : Collection Alain Kleinmann/DR)
Son actualité illustre notamment cette volonté de rendre accessible l’art. La parution de sa Hagadah de Pessah qu’il a entièrement illustrée est en ce sens un événement à la portée de tous. Cent-vingt œuvres originales y accompagnent le récit de la Sortie d’Égypte prononcé lors des sédarim de Pessah.
Alain Kleinmann nous en explique la genèse : « Il y a quelques années, j’avais illustré de manière beaucoup plus allusive une Hagadah pour le rav Heymann d’Epinay. Il s’agissait d’un objet luxueux et coûteux. Je souhaitais poursuivre dans cette voie en réalisant une Hagadah plus populaire dont le prix serait accessible pour permettre d’être largement présente sur les tables des sédarim. C’est pourquoi, il a été fixé symboliquement à 26 euros même si l’objet en lui-même coûte bien davantage. Par ailleurs, j’avais envie que toutes les pages contiennent des illustrations qui nourrissent aussi bien l’aspect visuel, mais aussi l’étude. Ce long travail qui a duré trois années me tient particulièrement à cœur. »
Dans cet objet d’art rituel, les œuvres illustrent un texte ancestral et fondamental dans l’histoire du judaïsme : le récit de la sortie d’Égypte. « Je n’ai évidemment pas l’immodestie de penser que les images sont plus importantes que le texte », nous avoue-t-il. L’artiste a supervisé consciencieusement le contenu qui comprend les versions de rite ashkénaze et sépharade avec la phonétique, sa traduction et ses explications en français pour mettre tout le monde d’accord sur le récit à suivre.
« J’ai toujours été surpris de la cacophonie des tables des sédarim : chacun avec sa Hagadah suit des textes et un ordre différent. J’ai élucidé le mystère en me rendant compte qu’il y avait un rituel sépharade et un autre ashkénaze. Et l’on se trouve dans une sorte de contradiction avec même parfois des inversions. Avec cette Hagadah, je tenais à ce que ces aspects soient clarifiés. Elle comporte de manière très lisible les différents rituels et chacun peut selon son désir suivre le texte clairement identifié. Je voulais aussi pour que ce soit grand public qu’il y ait une version phonétique pour que ceux qui ne lisent pas l’hébreu puissent participer sereinement. Elle comporte également les commentaires indispensables pour comprendre pourquoi et comment les événements se déroulent. »
Quant aux illustrations, « elles permettent de naviguer entre le monde des textes et l’ambiance liée à mon univers pictural. Les choses peuvent coexister et rimer. C’est le seul texte traditionnel dont nous disposons qui a toujours suscité des illustrations. Et c’est un rendez-vous formidable pour un peintre de s’atteler à cette tâche. J’ai été très heureux de m’y mettre aussi. »
Un bel objet qui rend lisible le récit de la Hagadah de Pessah est la gageure qu’a relevée Alain Kleinmann. Mais pas seulement, puisqu’elle met également en évidence sa proximité avec les Textes de la tradition juive. Car si on connaît Alain Kleinmann comme un artiste dont la sincérité lui a permis de développer une œuvre qui plaît universellement, on connaît moins, celui qui est proche des Textes de la Tradition juive.
Il a accepté de se confier. Alain Kleinmann est né à Paris après la guerre dans une famille ashkénaze dont le réflexe était que « les enfants soient le plus français possible et le moins reconnaissables par leurs différences ». Par exemple, sa grand-mère maternelle qui était russe n’a jamais voulu que sa mère apprenne sa langue « pour ne pas que dans l’autobus on puisse la soupçonner d’être étrangère » (dixit). Si Alain a fait sa bar-mitsva de manière traditionnelle, il n’a pas reçu une éducation spécifiquement juive liée à l’étude. Mais il aura la chance de rencontrer à 18 ans sa tante maternelle répondant au nom d’Olga Katunal. Sous sa férule, il aperçoit la beauté de l’étude des sources de la Tradition juive.
Il faut savoir que la destinée de l’intellectuelle juive Olga Katunal (1900-1988) rejoint celle des grandes figures de l’École de pensée juive de Paris à la Libération. Et pourtant elle reste méconnue. L’audace de son parcours de femme inscrite dans la modernité juive est vraiment exceptionnelle. Femme libre, polyglotte, érudite, initiée à l’étude des textes sacrés comme de la culture profane, sa formation poussée force l’admiration. Amie du cabaliste Oscar Goldberg et de son cercle d’érudition à Berlin dans les années 1920, elle est associée au milieu des intellectuels juifs parisiens à son arrivée en France dont font également partie ses pairs, l’écrivain et traducteur Joseph Gottfarstein ou l’universitaire Emmanuel Rais.L’intellectuelle juive russe Olga Katunal, tante d’Alain Kleinmann. (Crédit : Collection Alain Kleinmann/DR)
Lumineuse et inspirante, Olga Katunal a joué un rôle fondamental dans la formation intellectuelle et spirituelle de son neveu Alain Kleinmann. Sa devise est restée gravée jusqu’à aujourd’hui dans l’esprit du jeune homme d’alors : « Croire ou ne pas croire, c’est l’affaire de chacun. En revanche, ne pas savoir, c’est impardonnable ». Enfonçant le clou, elle lui dit : « Tu sais qui est Baudelaire et Victor Hugo, mais tu ignores qui sont le Maharal de Prague ou Rachi. Viens, on va étudier ensemble ! »
À ses côtés, Alain Kleinmann entrevoit la richesse et la beauté de la connaissance juive. « Commencer à étudier avec elle a été une illumination et un ressourcement religieux, philosophique et métaphysique hors du commun », nous confie l’artiste. Elle lui recommande alors de s’adresser au Rouv, le rav Rottenberg (Z »L) qui dirige la yeshiva de la rue Pavée, pour parfaire sa formation. « J’ai été naïvement le voir pour savoir si je pouvais apprendre avec lui » et le maître a accepté. « Je n’ai pas la prétention d’être un Talmid Khakham [élève intelligent], je n’ai fait que essayer de combler mes manques. Pendant de nombreuses années, j’ai eu le bonheur d’être invité à passer les sédarim chez le premier élève du Rouv, le Rav Eliézer Rissmak. Et cette Hagadah de Pessah est le reflet de ma formation », conclut-il.
D’aucuns ont pu percevoir ses réalisations comme un prolongement de l’étude des Textes. Il nous l’explique : « On peint avec tout ce que l’on est profondément. C’est un langage intérieur où se reflète ce qui est marquant dans la vie d’un artiste. Évidemment, il y a quelque chose de l’ordre d’une connexion immédiate puisque je fais de la peinture, mais comme tous les autres peintres, je suis celui que je suis. Il n’y a pas mon travail d’un côté et mon identité de l’autre. »
À ce titre, on comprend mieux ceux qui, comme Laurence Sigal, ancienne conservatrice du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, ont vu dans la composition de ses œuvres comme une page de Guemara, le commentaire de la loi orale, avec le sujet principal au centre et ses commentaires et explorations autour.
Aujourd’hui, Alain Kleinmann s’investit dans cette Hagadah de Pessah, un objet d’art rituel qu’il a souhaité accessible à toutes et à tous. Il nous explique qu’en période de crise sanitaire, le confinement ne dénote pas avec le lot quotidien des artistes qui ont l’habitude de s’isoler pour peindre : « Cependant, comme tout le monde, je suis très sensible au climat général marqué par l’atmosphère de menace, de résistance et de détresse psychologique. Évidemment, cela influence la sensibilité du quotidien et donc l’état dans lequel on est pour peindre. Je serai incapable de dire ce que cela produit dans le travail lui-même, mais structurellement, j’ai dû annuler cinq expositions ». Et Alain Kleinmann de conclure : « J’ai justement choisi d’appuyer mon travail sur la Hagadah. La sortie d’Égypte signifie beaucoup de choses. Pour chacun de nous, il faut avoir l’impression le soir des sédarim de sortir de nos propres Égypte, de nos lieux d’asservissement. Et cette célébration est un espoir immense de sortie de cette menace mondiale. Symboliquement, il y aura cette année une sorte d’adéquation entre le récit d’une résistance et le dépassement de la pesanteur de l’atmosphère ambiante. »
Alain Kleinmann, Hagadah de Pessa’h, 26 euros.
Pour toute commande, envoyer un message dans la rubrique « Contact » du site de l’artiste : www. alainkleinmann.com. Avec le mot de passe : « Times of Israël », une dédicace personnalisée sera inscrite par l’artiste.
Source: TOI
Poster un Commentaire