Raphaël Jerusalmy. « Le Manuel bleu contre l’antisémitisme et la désinformation » ( 3 )

Extrait de la semaine

La semaine dernière, nous avons conclu le chapitre consacré à expliquer ce qu’était le Judaïsme en mentionnant l’attachement indéfectible du peuple juif à la Torah. Mais aussi à la terre d’Israël. Ce qui nous conduit tout naturellement à l’expression moderne de cet attachement.

Le sionisme

Le sionisme est la traduction politique de l’attachement du peuple juif à la terre d’Israël. Il a pour projet de bâtir un foyer national pour ce peuple et de restituer à cette terre le statut étatique dont les conquêtes et occupations successives l’ont privé pendant des siècles. En tant que mouvement, le sionisme est né d’un contexte historique bien précis qui en a motivé la création. En tant qu’idéal, il s’inscrit dans une aspiration doublement millénaire, datant de la première heure de l’exil : l’aspiration au ‘retour’.

1. A la pérennité de cette aspiration s’ajoute la pérennité d’une présence juive à Jérusalem et dans tout Israël, même après la destruction du Temple par les Romains. C’est dans les centres d’études florissants de Yavné, Safed, Tibériade que sera rédigée la majeure partie du Talmud. Des noyaux de population juive pratiquant l’agriculture et l’artisanat continueront de résider dans les villages de Judée ou de Galilée (dont celui de Péki’in, souvent cité à titre exemplaire pour illustrer cette présence juive ininterrompue jusqu’à nos jours). Sans compter l’afflux réduit mais constant d’immigrants revenant s’établir en Terre sainte, bien avant la naissance du projet sioniste.

2. En regard de la notion juive du ‘retour’ se place celle de la ‘restitution’, prônée par de nombreux penseurs non-Juifs. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Isaac Newton. Newton considère cette ‘restitution’ d’un point de vue théologique, la situant dans le plan divin comme condition préalable à l’advenue des temps messianiques. Des millions de chrétiens de par le monde partagent cette doctrine, principalement prêchée par le protestantisme et l’évangélisme. Mais au niveau politique, cette restitution s’avère bien moins envisageable. La possession de la terre d’Israël est un enjeu que les nations se disputent âprement depuis toujours. Les rois catholiques la brigueront, croisade après croisade. Ainsi que les souverains et chefs d’état musulmans, lesquels la convoitent jusqu’à l’heure actuelle. La domination de la Terre sainte est un atout inestimable pour quiconque veut se déclarer champion de la Chrétienté ou bien maître de l’Islam. Cette petite contrée sera aussi victime de l’expansion coloniale car elle représente un avantage stratégique de premier ordre, étant à la charnière de trois continents et des routes de commerce reliant l’orient à l’occident ainsi que l’un des points clés duquel exercer un contrôle tactique sur le bassin méditerranéen.

3. Les Juifs considèreront longtemps le ‘retour’, ou la ‘restitution’, comme utopique. Privés des droits civiques les plus élémentaires et de tout accès aux professions militaires, ils ne sont pas en position d’affronter les envahisseurs successifs qui s’emparent de leur terre ancestrale. Ni d’exercer la moindre pression politique. Mais les Lumières et la révolution industrielle vont marquer une nette amélioration de leur condition et rendre aux Juifs la dignité et les libertés dont ils avaient été si longtemps démunis. L’un des indices les plus tangibles de ce retournement sera l’ouverture des rangs de l’armée et l’apparition des premiers gradés juifs. Dont le capitaine Dreyfus.

4. L’affaire Dreyfus est célèbre. Le procès retentissant qui en est le centre va déclencher une polémique qui divisera la France, puis le reste de l’Europe, et restera inscrite dans l’histoire comme une étape cruciale de la lutte pour la défense du droit individuel face au pouvoir. Mais, de par son caractère antisémite, ce scandale judiciaire va faire date dans d’autres annales. Noyé dans la foule, le correspondant d’un journal viennois suit le procès avec intérêt. Agé de 34 ans, auteur de plusieurs pièces de théâtre, il rêve de gloire littéraire. Il se nomme Théodore Herzl. Et ignore encore que la démarche qu’il va entreprendre mènera à la création de l’Etat d’Israël.

5. Depuis quelques années déjà, des initiatives de ‘retour’ ont été entreprises. Moïse Montefiore, un riche mécène juif anglais, se rend en Israël dès 1827. Il y retournera à plusieurs reprises afin d’assister les Juifs démunis qui y vivent et d’encourager ceux qui sont persécutés en Europe à venir y bâtir une vie meilleure. En 1855, il fait construire les premières maisons hors de l’enceinte de la vieille ville de Jérusalem, et un moulin de meunerie pour procurer une source d’emploi et de revenus aux familles pionnières qui s’y installeront. Son exemple sera suivi par le baron Edmond de Rothschild qui va acquérir des terrains en Palestine ottomane, à partir de 1882, et établir des communautés agricoles telle celle, viticole, de Zichron Yaacov, sur le mont Carmel, destinée à accueillir les Juifs de Russie chassés par les pogroms. A la même période, les premières organisations structurées voient le jour. La plus importante, fondée à Odessa en 1881, se nomme les Amants de Sion. Elle créera un fonds d’achat de terres et encouragera la jeunesse juive à se former aux métiers agricoles et de l’industrie. Très tôt, le retour à Sion prend un caractère socialiste et communautaire dont l’expression la plus célèbre sera le kibboutz (ou collectivité). A l’ombre des persécutions de plus en plus sévères, surtout en Russie et en Europe de l’est, des rabbins tels que le Rav Kalisher, vont également manifester leur soutien à l’idée du ‘retour’. Se faisant ainsi les précurseurs du ‘sionisme religieux’.

6. Théodore Herzl, pour sa part, n’est ni pratiquant, ni mécène, ni membre d’un groupement militant tel qu’il en existe en Ukraine ou en Russie. C’est pourtant lui qui va formuler le plus clairement l’objectif, « un abri permanent pour le peuple juif », et la voie à suivre pour l’atteindre, dans un ouvrage qui est le manifeste du sionisme : Der Judenstaat, soit L’Etat juif (1896). Le titre choqua, bien entendu. Et une opposition virulente à l’idée d’un tel état s’éleva aussitôt. L’antisionisme était né, du moins sous sa forme première.

7. Herzl est bien plus que le théoricien du sionisme. C’est lui qui met le projet sur les rails. Il va mener une campagne internationale afin de gagner les puissants et les élites d’Europe à sa cause. Mais aussi les Juifs eux-mêmes. Il va briguer des soutiens politiques (il obtiendra celui de l’empereur Guillaume II), réunir des fonds, tenir des ‘congrès sionistes’ annuels dont le but sera de définir les modalités et principes de l’état à venir. L’un de ces principes énonce que la nation juive ne peut être rebâtie sur aucune autre terre que celle d’Israël. En 1905, le congrès sioniste déclinera l’offre du Royaume-Uni d’ériger un état juif en Ouganda.

8. Au cours des années qui suivirent, plusieurs vagues d’émigration juive parvinrent en Terre promise, devenue terre de refuge pour les Juifs d’Europe fuyant une oppression grandissante qui atteignit son summum lors de la Shoah. Ces mouvements de population sont désignés par le terme hébreu Alyah (la montée). Le KKL (ou Fonds National Juif, fondé en 1901) a pour mission d’acquérir terrains et propriétés pour accueillir ces populations. La Histadrout (ou Fédération des travailleurs) va former et encadrer les pionniers sionistes, et leur procurer les aides médicale, sociale et pédagogique de base. L’Agence Juive et l’Organisation Sioniste Mondiale (créées en 1922) vont être chargées de regrouper et assister tous ces réfugiés mais aussi de les représenter politiquement sur la scène internationale et face au gouvernement britannique sous la botte duquel vit la Palestine dite mandataire.

9. Au plan politique, les obstacles ne manquent pas. Mais ils vont tomber les uns après les autres. Rédigée par les britanniques en 1917, la déclaration Balfour est la première reconnaissance officielle d’un ‘foyer national juif’. Lequel existe de toute manière, à l’époque, pionniers et réfugiés ayant déjà fondé et peuplé de multiples localités et kibboutzim. Cette légitimité diplomatique sera confirmée lors de la conférence de San Remo (1920) puis par mandat de la Société des Nations (1922) qui autorisent l’établissement d’implantations juives sur le territoire de la Palestine mandataire s’étendant de la mer à la rivière du Jourdain, comme assise du futur foyer national juif. Ces décisions, elles aussi, ne font que corroborer la réalité sur le terrain. Tel-Aviv, fondée par une poignée d’immigrants en 1909, compte 150.000 habitants en 1937. La création de l’Etat d’Israël est communément présentée comme étant due à une ‘restitution’. Laquelle aurait été concédée des suites de la Shoah. Lorsque, le 29 novembre 1947, les Nations Unies votent la partition de la Palestine, elles ne font qu’entériner cent ans d’efforts et de lutte. Et qu’apposer leur cachet sur l’existence de fait d’une entité nationale alors forte de 650.000 âmes, et possédant sa langue, ses institutions, son agriculture, son industrie, sa culture.

10. En tant que mouvement s’étant fixé pour but la création d’un Etat juif, le sionisme prend historiquement fin le 14 mai 1948, jour de la naissance de cet état. Mais un second ouvrage signé de la plume de Théodore Herzl confère au sionisme une dimension supplémentaire, celle d’un idéal. Publié en 1902, Altneuland (Nouveau pays ancien), est un récit évoquant une contrée utopique et posant des questions qui demeurent d’actualité. C’est en regard de cet idéal que les Israéliens sont souvent jugés. Et surtout, qu’ils se jugent eux-mêmes lorsqu’ils font le bilan de leur société et discutent de leurs valeurs nationales. Dans ce cas, le ‘retour’ ne serait que la première étape du sionisme. La seconde étant la poursuite d’un idéal de société.

Le principe de droit au ‘retour’ dont se réclame le sionisme n’est pas invoqué au nom d’une quelconque prétention territoriale mais d’une filiation. Autrement dit, les Juifs ne possèdent pas la Terre promise. Ce sont eux qui lui appartiennent. C’est pour cela qu’ils se prénomment ‘enfants d’Israël’. Notre prochain chapitre évoquera Israël, historiquement et politiquement.


Participez à la diffusion du Manuel bleu auprès du public juif (synagogues, mouvements de jeunesse, institutions…) aussi bien que non-juif (étudiants, décideurs, journalistes). Offrez-le à vos amis et à vos proches. Concernant les associations ou les institutions, il est possible de commander des exemplaires « personnalisés », avec le logo de l’institution et une préface de son président.

Ecrire à la maison d’édition. Par courrier : Editions Valensin-David Reinharc, 16 boulevard Saint-Germain, 75005 – Paris. Par mail : editions.valensin@gmail.com.

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Manuel bleu contre l’antisémitisme et la désinformation. Octobre 2019. Editions Valensin David Reinharc

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Raphaël Jerusalmy

Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, Raphaël Jerusalmy a fait carrière au sein des services de renseignements militaires israéliens avant de mener des actions humanitaires puis de devenir Marchand de Livres anciens à Tel-Aviv. Il est aujourd’hui écrivain, auteur de plusieurs romans publiés chez Acte Sud. Il est également expert sur la chaîne de télévision i24news.

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